Tahiti Nui Télévision : Jusqu’alors conseiller technique de Tevaiti Pomare, vous êtes aujourd’hui le nouveau ministre de l’Économie, du budget et des finances. Un poste qu’on vous a déjà proposé il y a plus d’un an et que vous aviez refusé. Pourquoi dire oui aujourd’hui ?
Warren Dexter, nouveau ministre de l’Économie, du budget et des finances, en charge des énergies : « Disons que moi, je suis technicien de métier. La politique, c’est un métier différent. Je suis d’abord un homme de dossier, un homme au contact des gens. Mais c’est vrai que là, ça fait des années et des années que j’observe les politiciens faire. Et puis bon, quand le président m’a dit qu’il souhaitait un changement, cette fois, j’ai accepté après un an de réflexion. Donc je m’engage dans ce qui est pour moi un nouveau métier. »
On a souvent reproché à votre prédécesseur un manque de concertation avec les acteurs économiques sur certains dossiers. Vous, vous avez une certaine proximité avec eux, notamment avec le président de la CPME. C’est ce qui va faire la différence ?
« Je dirais qu’effectivement, l’atout que j’ai, c’est que je connais très bien pas mal de chefs d’entreprise, y compris des organisations patronales. Et effectivement, c’est vrai que je peux comprendre leur colère parce que c’est un certain nombre de dossiers, pas des moindres, des dossiers importants. On a omis de les consulter. »
Et vous avez tenté d’alerter le ministre lorsque vous étiez son conseiller technique ?
« Alors oui, mais c’est des loupés parce qu’il n’y a pas eu des dossiers où il y a eu des concertations. Par exemple, le dossier des PPN qui est tant décrié actuellement, il y a bien eu des réunions avec la FGC et tout. Mais il y a d’autres dossiers qui, par contre, sont passés à l’as, sont présentés directement au CESEC, sont même consultés des professionnels. Je pense que c’est ça qui a mis le feu aux poudres. »
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On reviendra sur le dossier des PPN un peu plus tard. Moetai Brotherson a dit ce matin : ‘la feuille de route ne change pas, le cap ne change pas. C’est la méthode qu’il faut changer’. Quelle sera votre méthode ?
« C’est la concertation. Vous savez qu’en un an, on a eu le temps de bien réfléchir, de mettre en place un plan d’action qui contient des mesures intéressantes. On a déjà commencé à les déployer. Sur le plan de la fiscalité, c’est pour lutter contre la vie chère parce que ça reste l’objectif prioritaire, c’est de réduire la fiscalité indirecte qui, comme vous le savez, dans notre Pays, est prépondérante. Donc c’est de réduire la fiscalité indirecte qui est principalement à l’origine de l’inflation. On peut trouver d’autres sources de financement qui vont davantage aller vers les impôts directs. Mais effectivement, tout ça se fera toujours en concertation avec les entreprises. »
Justement, sur la forme, il y a eu les journées de prospectives économiques pour favoriser la concertation. Vous, qu’avez-vous prévu ?
« En fait, j’ai envie de dire que pour l’instant, on n’a plus besoin de journées de prospectives de l’économie puisqu’on a entendu, on a déjà fait trois éditions. On a, comme je disais, pendant l’année coulée, eu l’occasion de mettre en place un plan d’action intéressant. Maintenant, il faudra discuter chacune d’elles avec les organisations. »
Le budget de 2025 du Pays se prépare déjà. À quoi ressemblera-t-il ? Il y aura des mesures fortes et innovantes ?
« C’est vrai qu’on parle beaucoup de réforme fiscale, mais c’est davantage des ajustements. Il y a des mesures qui ont des impacts très importants qui ne seront pas présentées cette année, qui nécessiteront beaucoup de concertation et beaucoup d’analyse technique.
Je pense que cette année, il n’y aura pas de mesures importantes. Mon projet de texte est prêt. Encore une fois, je ne manquerai pas d’aller solliciter l’avis des organisations pour connaître leur avis. Je dis concertation, ça ne veut pas dire qu’on va être d’accord sur tout. J’ai déjà eu l’occasion de leur dire qu’il y aura certainement des désaccords. Et si on maintient notre position, c’est qu’on aura essayé de la motiver. Et surtout, dorénavant, les chefs d’entreprise, ça ne sera plus fait dans leur dos. Ils seront au courant. »
En parlant de gros dossiers, vous en parliez un peu plus tôt, le dossier des PPN que vous voulez supprimer progressivement. Pourquoi ?
« Pour l’instant, ça reste un objectif. Je n’ai même pas encore l’occasion de développer en détail la mesure dans mon gouvernement. C’est vraiment à l’état de réflexion. Mais en tout cas, une certitude qu’on peut avoir, c’est que, comme je disais dans le reportage (ci-dessus, Ndlr), le système des PPN a en réalité un effet inflationniste. Parce que quand vous écrasez les marches d’une partie des produits dans un magasin, le chef d’entreprise n’est pas content. Qu’est-ce qu’il fait ? Il surmarge sur tout le reste. C’est pour ça que les gens, quand ils achètent des PPN, disent que ce n’est pas cher, mais qu’ils ne peuvent pas se payer le reste parce que les prix deviennent exorbitants. Donc, au bout d’un moment, il faut se poser la question. Est-ce que ce n’est pas mieux de faire table rase, de revenir à un système où il n’y a plus de PPN, où on met tout à des marges convenues avec les chefs d’entreprise, discuter avec eux pour des engagements contractuels, ce qu’on appelle des accords de modération ? C’est l’alternative vers laquelle on aimerait bien aller. »
Et vous pensez que les commerçants, les industriels, joueront le jeu ?
« Complètement, parce que là, dans la grande distribution, les PPN, ça représente à peu près 10% du chiffre d’affaires. Les magasins de proximité, ça peut représenter jusqu’à 50% de chiffre d’affaires. Les produits dont on étrangle les marges, en moyenne, les PPN, c’est 7% de marge. C’est rien du tout. Et donc, je pense qu’ils seront tous partants. Après, c’est vrai que la moyenne des prix, par exemple, si on dit que tout le magasin sera à 15%, du coup, ça va devenir un peu plus cher que ce qui était autrefois PPN. Donc, il faut qu’on trouve un moyen de compenser. Et on pense à un système d’aide directe, la fameuse carte Faatupu (nouveau nom de la carte Auti’a, Ndlr) qui était prévue dans les engagements électoraux du Tavini Huiraatira. On est en train de travailler dessus. »
Vous dites aussi que l’emploi, c’est la clé. Patrick Galenon, président du CA de la CPS, a dit qu’il faut créer 10 000 emplois pour compenser la suppression de la TVA sociale. C’est possible ?
« Il faut s’en donner les moyens. J’ai envie de dire qu’effectivement, l’emploi, c’est la clé de tout. C’est-à-dire que quand vous créez des emplois, du coup, ça rentre dans la consommation, ça alimente l’économie, ça a des effets vertueux. En plus, ça réduit les coûts sociaux. Parce que ce qui était auparavant des aides sociales, ça devient des salaires, le paiement d’un travail effectué. Donc, j’aurais envie de dire que si les chefs d’entreprise, à un moment donné, trouvent leurs limites et n’arrivent plus à embaucher, il faut que le territoire vienne par ces fameuses mesures d’aide à l’emploi sur lesquelles travaille Mme Crolas. »
Vous avez identifié des secteurs ?
« Pas encore, mais c’est un travail que l’on doit faire en partenariat avec le ministère de Mme Crolas. »
Un gros dossier du gouvernement, c’est aussi la réforme de la PSG. Un calendrier de travaux a été mis en place par le ministre de la Santé, Cédric Mercadal. Où en est-on ?
« C’est vrai que c’est un sujet d’inquiétude. En tout cas, pour nous, au ministère des Finances, pour rien vous cacher, quand le Conseil de gouvernement avait été constitué, on avait demandé à reprendre le même format que le précédent gouvernement, c’est-à-dire rattacher la PSG aux finances, parce que ça reste le poste de dépense le plus inquiétant en termes d’évolution. C’est bien que les financiers puissent avoir l’œil dessus tous les jours. Finalement, ça ne s’est pas fait comme ça. Mais on est heureux de constater aujourd’hui que, sous le ministère Mercadal, ils sont davantage à proposer des économies par les réformes qu’ils vont engager qu’à demander de l’argent supplémentaire. Parce que nous, ce qu’on explique, c’est que l’argent supplémentaire, il faut augmenter les taxes. »
Une dernière question, M. le ministre. L’annulation de la rétroactivité de la loi fiscale de votre prédécesseur a des conséquences. Le président du Pays a dit qu’il veut éviter de réclamer de l’argent aux acteurs concernés par cette annulation. Plusieurs centaines de millions de francs. Est-ce légal d’y renoncer ?
« C’est toute la question. Aujourd’hui, il est question de rappeler 350 millions de francs, dont à peu près 60 millions auprès des fameux primo-acquéreurs, parce que le reste, c’est des sociétés. Mais il faut bien se dire qu’il y a aussi des particuliers, des primo-acquéreurs qui se sont lourdement endettés pour acheter leur logement et à qui on va donc réclamer des impôts et taxes. Ça risque d’être dramatique. Et donc, effectivement, on met toute notre énergie à trouver un moyen et on va saisir le tribunal administratif pour sécuriser notre position si véritablement on pense qu’on a le droit de renoncer. Pour l’instant, la question n’est pas tranchée. »
Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui, en ce premier jour, en tant que ministre des Finances ?
« Demain. Ça sera demain. Je suis quelqu’un qui aime bien relever les challenges. Après la cinquantaine, je me dis que j’ai encore envie de découvrir de nouvelles choses dans ma vie. Et là, c’est le prochain challenge. Je sais que ça va être dur. C’est de la politique. Je ne dis pas que je ne connais pas. Encore une fois, j’ai baigné dedans depuis plus de 20 ans. Pendant toutes ces années, j’étais derrière les feux de projecteurs, et là, je me retrouve devant. On verra bien. Mais je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur. On va y aller. »