Tamataroa : le marquage innovant des grands requins-marteaux à Rangiroa

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Marquer les grands requins marteaux de Rangiroa sans les capturer, c'est tout le défi du projet Tamataroa mené par la Mokarran Protection Society et l'expédition Gombessa aux Tuamotu. Pour y répondre, les deux entités ont développé un puhi puhi capable de filmer l’animal, de le mesurer, de poser une balise, mais aussi de prélever un petit bout de tissu. Le tout, en l'espace de quelques secondes.

Publié le 03/03/2024 à 20:07 - Mise à jour le 04/03/2024 à 10:13

Marquer les grands requins marteaux de Rangiroa sans les capturer, c'est tout le défi du projet Tamataroa mené par la Mokarran Protection Society et l'expédition Gombessa aux Tuamotu. Pour y répondre, les deux entités ont développé un puhi puhi capable de filmer l’animal, de le mesurer, de poser une balise, mais aussi de prélever un petit bout de tissu. Le tout, en l'espace de quelques secondes.


Contrairement aux images de requins-marteaux qu’on peut voir sur la toile, celles de la passe de Tiputa n’ont pas nécessité de feeding. « Il n’y a quasiment aucun autre endroit au monde où on peut plonger et voir des requins marteaux sans appâter » assure le coordinateur du projet Tamataroa, Antonin Guilbert. C’est cette philosophie que la Mokarran Protection society et l’expédition Gombessa ont voulu conserver pour le projet de recherche Tamataroa, ou grand requin marteau en reo tahiti.

Ils ont donc développé un puhi puhi couteau suisse capable de collecter un large éventail de données sur l’animal, sans le contraindre, ni le capturer. De quoi le filmer, le mesurer, poser une balise, mais aussi prélever un petit bout de tissu. Le tout en une interaction très courte.

« C’est très rapide : quelques secondes » résume l’architecte du projet, Antonin Guilbert. « On se pose sur le plateau et on attend que le requin veuille bien venir nous voir par curiosité. Il va s’approcher, on va le filmer, il va tourner, on va le mesurer et au moment où il va partir, on va pouvoir tirer sous la dorsale, fixer cette petite balise et en même temps prélever un bout de tissu ». Etudiée pour être le moins invasif possible, la flèche ne pénètre que de quelques centimètres.  Elle est équipée d’un « stoppeur » qui l’empêche d’aller plus loin. « Pour l’animal, c’est l’équivalent d’un vaccin », indique le scientifique. « D’ailleurs les animaux qu’on marque reviennent nous voir ».  

Un fusil imaginé par les équipes du projet Tamataroa permet de filmer l’animal, de le mesurer, de poser une balise, mais aussi de prélever un bout de tissu pour les analyses génétiques. (Crédit photo Mokarran protection soociety/Expédition Gombessa)

Si l’interaction est brève, les plongées, elles, peuvent durer près de quatre heures à plus de 60 mètres de fond, dans le courant. Difficile de faire autrement si les plongeurs veulent optimiser leurs chances d’observations. Dans ces conditions très techniques, l’intervention de plongeurs équipés de recycleurs s’impose. Particulièrement silencieux, ces appareils ne font pas de bulles. « Pour peu qu’on soit immobile, on devient très discret et c’est très important pour approcher le requin marteau qui est paradoxalement très puissant, c’est le king de la passe, mais il est aussi extrêmement farouche qui s’enfuit à la moindre inquiétude » précise le biologiste marin et photographe Laurent Bellesta, à la tête de l’expédition Gombessa.   

Il fallait bien l’expertise d’une expédition comme celle de Gombessa, rompue à l’observation des animaux marins dans des conditions extrêmes, pour s’inscrire dans l’esprit du programme. Celui de s’adapter aux conditions de vie du squale, par opposition aux systèmes de marquage classique et les risques de blessures associés pour l’animal. « Ce n’est plus le scientifique qui amène le requin dans son laboratoire ou sur son bateau, c’est lui qui va dans le milieu de l’animal, c’est à lui à s’adapter » poursuit Antonin.

Pour la pose des balises, ce sont les plongeurs expérimentés de l’expédition Gombessa menée par Laurent Ballesta qui interviennent. (Crédit photo TNTV/Esther Cuneo)

Elle-même programmée pour collecter des données pendant neuf mois, la balise se détache ensuite toute seule de l’animal. A la réception des données ? La doctorante en biologie marine de la Mokarran Protection Society, Tatiana Boube. « Depuis cette année, j’ai démarré mon projet de thèse avec l’UPF pour étudier les déplacements des grands requins marteaux dans les Tuamotu de l’ouest afin d’identifier des habitats clés et donc essentiels au cycle de vie de l’animal ».

D’abord bénévole pour coordonner le pôle scientifique du projet, elle se concentre aujourd’hui sur sa thèse qui vient analyser les données récoltées. « Jusqu’à présent, la Mokarran Protection Society faisait un travail de photo identification et de photogrammétrie laser qui a permis d’apporter des résultats inédits, mais le problème de cette technique, c’est qu’il faut bien observer l’animal pour savoir qu’il est là. Le projet Tamataroa permet d’aller beaucoup plus loin avec ce type de balises ».  

Les données permettront de comprendre les déplacements de l’animal, ces mouvements verticaux et horizontaux et d’identifier les zones importantes pour l’espèce. Même objectif pour l’échantillon prélevé : en savoir plus sur les proies favorites de l’animal et donc, sur son terrain de jeu. « Nous avec ce bout de tissu, on va pouvoir faire des recherches génétiques, dont des analyses en isotope stable. Ce qui va nous permettre de savoir grâce à un bout de muscle ce que l’animal a consommé les dernières semaines ou les derniers mois, mais surtout à quel endroit : dans un habitat pélagique, lagonaire ou récifale ? »

Car pour protéger ces grands prédateurs efficacement, il ne suffit pas d’empêcher leur capture. Il faut aussi protéger leur habitat ici dans les Tuamotu, l’un de leur dernier refuge. « Le programme s’intéresse aux habitats, est-ce que le requin va dans les passes, le lagon, les hoa ? Qu’est-ce qu’il va faire dans toutes ces zones-là ? » interroge Antonin Guilbert.« On cherche à caractériser tous ces endroits. C’est un programme de recherche appliqué à la gestion. Il s’agit ensuite de pouvoir donner aux décideurs toutes les connaissances adaptées à la protection de l’espèce ».

Spécialiste des requins marteaux aux Etats-Unis, Yannis Peter Papastamatiou s’intéresse à la différence de comportement entre deux populations d’une même espèce, dans deux environnements radicalement différents. Crédit photo TNTV/Esther Cuneo

La présence en nombre de ces grands prédateurs à un endroit précis et sans shark feeding n’a pas manqué d’attirer l’attention de chercheurs étrangers. Spécialiste des requins marteaux aux États-Unis et professeur à l’université internationale de Floride, Yannis Peter Papastamatiou apporte son expertise. C’est justement, la différence de comportement entre deux populations d’une même espèce, dans deux environnements radicalement opposés, qui l’intéresse.

« En Floride, l’eau est bien plus fraîche, il n’y a pas d’attol, ni ce genre de chenal avec de puissants courants. On voit des requins marteaux se déplacer le long de la côte sur de très grandes zones et souvent à la recherche de requins pour chasser. Ici à Rangiroa, on les trouve justement dans cette passe où il y a beaucoup de requins de récif, ce n’est pas quelque chose qu’on voit dans l’atlantique » souligne Yannis Peter Papastamatiou. « Mais surtout, ici, personne n’appâte les requins. Ils sont naturellement très nombreux en un seul endroit, probablement plus que ce qu’on a pu voir n’importe où dans le monde. C’est donc une opportunité unique de les étudier. »


En l’espace d’un an, une trentaine de marquages ont été réalisés avec succès. Mais le programme se poursuivra encore cette année et l’année prochaine. Un temps long qui dépend de la curiosité de l’animal envers ses grands admirateurs : les hommes-grenouilles du projet Tamataroa.

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