Défauts d’hygiène, privations de soin, ou prédation économique : les risques de vieillir en famille

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Le maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées permet-il vraiment de protéger de l’isolement social, de la précarité et des violences ? C’est la question que pose la sociologue de la Maison des sciences de l’homme du Pacifique, Laurianne Dos Santos dans l'enquête "Vieillir en famille". Publiés récemment, les résultats viennent nuancer cette idée de la famille comme "premier rempart" contre les violences.

Publié le 31/07/2023 à 11:27 - Mise à jour le 01/08/2023 à 16:28

Le maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées permet-il vraiment de protéger de l’isolement social, de la précarité et des violences ? C’est la question que pose la sociologue de la Maison des sciences de l’homme du Pacifique, Laurianne Dos Santos dans l'enquête "Vieillir en famille". Publiés récemment, les résultats viennent nuancer cette idée de la famille comme "premier rempart" contre les violences.

Elles sont moins visibles, voire absentes du débat public. Sujet tabou, les violences contre les personnes âgées et handicapées sont pourtant une réalité. Devant l’absence de données, le ministère de la Solidarité et la DSFE se sont tournés vers la maison des sciences de l’homme du Pacifique (MSHP) en partenariat avec la croix rouge française pour documenter les conditions de vie des personnes âgées dans un contexte de maintien à domicile. Pionnière en Polynésie, l’enquête menée par la sociologue Lauriane Dos Santos s’appuie sur 60 entretiens, réalisés auprès de personnes âgées de 60 et plus, mais aussi de travailleurs du secteur médico-social, d’associations ou d’aidants familiaux.

« L’objectif de cette étude était de produire la première enquête d’ampleur basée sur des données de terrain, avec des témoignages approfondis sur les questions de condition de vie des personnes âgées, comment vivent les matahiapo, et quelles sont les difficultés des familles dans la prise en charge à domicile« , détaille Lauriane Dos Santos. L’enquête s’inscrit « plus en profondeur » dans une réflexion sur « les limites des solidarités familiales comme socle prédominant, voire exclusif, d’une politique sociale de la vieillesse ».

Or, le modèle polynésien s’appuie essentiellement sur la solidarité au sein des familles. Et pourtant, seules 200 personnes âgées vivent dans des unités de vie conventionnées selon les données de l’ISPF. Et souvent, elles y arrivent à contrecœur.

« Ce n’est pas évident pour les familles, elles souhaitent les garder à la maison, estime la responsable de la cellule personnes âgées à la DSFE Josiane Bonnet : C’est vraiment dans la situation où ils sont contraints de devoir placer la personne qu’ils vont venir vers nous. On est encore dans la contrainte de devoir placer. En grande majorité, les gens veulent garder leurs proches chez eux »

Privations de soin et atteintes à la dignité

Dans ces familles d’accueil conventionnées par la DSFE, la prise en charge est pourtant complète : infirmières, kinésithérapeutes, animateurs… « La prise en charge pour chaque personne est très différente, analyse Heipua Roussel, responsable de l’unité de vie. Pour une personne aveugle et sourde, on doit se rapprocher, la caresser et lui expliquer que l’on va la nourrir, sinon elle a peur pour rien du tout » .

Des personnes particulièrement vulnérables, parfois piégées dans leur propre famille, où les violences prennent une autre forme. « Négligences », « défauts d’hygiène », « privations de soin » ou encore « atteintes à la dignité » sont les premiers motifs de signalement aux services sociaux.
Ces personnes sont parfois cantonnées à une pièce, voire ligotées. Des méthodes qui ne traduisent pas forcément de mauvaises intentions, nuance Lauriane Dos Santos.

« Ce qui ressort de l’enquête, c’est que les violences s’inscrivent très rarement dans une volonté de nuire à la personne âgée. Souvent, on ne sait pas comment faire avec une personne difficile à vivre au quotidien, par exemple dans le cas de la maladie d’alzheimer ou de maladies neuro-dégénératives. Les maltraitances peuvent arriver dans des contextes d’épuisement, dans des contextes familiaux difficiles, autour des questions d’héritage par exemple« .

Le moni ru’au et la « prédation économique »

C’est la troisième forme de risque social identifié : la « prédation économique ». Depuis la mise en place du moni ru’au (minimum vieillesse) notamment, les personnes âgées qui étaient un poids sont devenues une source de revenus non négligeable pour beaucoup de foyers. Certains acteurs de terrains évoquent d’ailleurs « une relation monnayée ». Dans les cas les plus extrêmes, certains membres de la famille s’accaparent de la personne vulnérable et de ses revenus. C’est souvent là qu’interviennent les tuteurs légaux de l’association Te Mau Aratai. C’est à eux que la juge des tutelles, elle-même saisie par le procureur de la République, confie les personnes mises sous protection judiciaire, qu’on appelle aussi les « majeurs protégés ».

Les tuteurs légaux se chargent dès lors de la « protection et de la gestion de ses biens ». Sans eux, les familles s’approprient les prestations sociales d’une personne dans un « mode de gestion communautaire ». Des familles où il y a généralement peu d’argent. D’où une « surreprésentation des familles pauvres dans les signalements de violence adressés aux services sociaux ».

« S’occuper d’une personne âgée c’est souvent un métier à part entière »

Lauriane Dos Santos, sociologue à la Maison des sciences de l’homme et du Pacifique

« La plupart des personnes âgées ont fait l’objet de souffrance particulières au sein de leur famille et que certaines préfèrent être mises en famille d’accueil, commente le président de Te Mau Aratai, Bernard Collorig. La plupart veulent rester chez elles, parce qu’elles veulent finir leur vie dans un lieu où elles ont élevé leurs enfants, où elles ont vécu toute leur vie, mais il est difficile de les laisser là parce qu’il se passe des choses étranges dans ces familles ».

Pas de doute pour l’association comme pour la sociologue. Face au vieillissement accéléré de la population, les familles tout comme les professionnels du secteur sanitaire ou sociale ont besoin d’être davantage soutenus. « En fait s’occuper d’une personne âgée c’est souvent un métier à part entière » rappelle Lauriane Dos Santos. « Le nombre de personnes qui bénéficient d’un dispositif aidant feti’i par exemple est très réduit comparé au nombre de personnes âgées ».

Dans un pays où la population est longtemps restée plus jeune qu’en métropole, la question de la dépendance liée au grand âge n’occupe pas encore le débat public. « Le nombre de matahiapo ne va pas cesser de croitre », souligne la chercheuse. « Il y a vraiment aujourd’hui cette nécessité d’articuler la recherche aux connaissances qu’on a à la maison des sciences de l’homme du Pacifique depuis trois ans avec le débat publique pour créer une politique de la vieillesse qui soit pertinente et en adéquation avec les attentes de la population. »

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