Un passeport rempli de tampons, comme un carnet de voyage ou un album photo d’une vie chargée de rencontres et d’endroits. Heinui Poura, photographe aujourd’hui installée à Marseille, a grandi à Paris, vécu sur l’île de La Réunion, en Espagne, au Japon. Son nom, lui, vient de Tahiti.
C’est là que ses parents se rencontrent, lors d’un voyage de la maman au fenua. Une courte idylle, toutefois. Le couple se sépare, et Heinui quitte la Polynésie quand elle n’a que deux ans, direction la métropole avec ses demi-frères, tandis que son père reste. De son regard d’adulte, elle imagine un départ « brutal » , son papa n’ayant pas les moyens de s’offrir un billet d’avion pour venir la voir. « ça n’a pas été simple et léger. Je suis retournée le voir quelques fois, mais assez peu » , souffle-t-elle. Ces réunions père-fille se comptent sur les doigts de la main. Le père d’Henui décède alors qu’elle n’a que 14 ans.
Restent les lettres qu’ils se sont écrites, la fibre artistique, et ce qu’elle qualifie « d’héritage transgénérationnel » à travers ses parents. Dans son cas, ce dernier prend la forme d’un certain décalage. « Je pense que j’ai toujours été en décalage en métropole. Je suis arrivée à Paris toute petite, je refusais de mettre des chaussettes. Et quand je viens ici (au fenua, Ndlr), déjà, je suis de peau très blanche (rires), je ne sais pas danser, je n’ai pas grandi là-bas. C’est impossible de deviner que je suis moitié Polynésienne. Je pense que c’est le classique de la dualité identitaire » , résume-t-elle.
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Si elle n’a pas étudié l’art, elle se met à la photo avec des amis artistes, en Espagne. Un medium qui lui permet d’exprimer des envies « viscérales » et dans lequel elle se retrouve pleinement. Elle en fait son métier à Paris, et l’expérience la pousse à créer un studio photo nomade, à Marseille, où elle vit depuis 6 ans. Elle se spécialise dans les portraits, et lance la galerie Solarium en 2021, un lieu où se crée le lien humain, peu de temps après le premier confinement.
« C’est un lieu autour des arts et de la culture, mais c’est d’abord à propos des rencontres sur la scène locale marseillaise. C’est une structure qui me dépasse un peu aujourd’hui« , concède Heinui, qui reprendrait bien volontiers la photographie argentique. « Pour ça, j’ai besoin de plus d’espace créatif, là ce n’est pas le cas. Bon, j’ai développé les portraits et le reportage, j’imagine qu’il y a une façon de faire qui reste artistique, mais ce sont surtout des commandes, ça ne vient pas de mon propre imaginaire. C’est différent » , observe-t-elle. Mais l’exercice lui plaît. « Quand il n’y a pas d’être humain sur la photo, je comprends moins » , rit-elle.
Avant le studio photo, Heinui avait pour habitude de photographier le dehors, captivée par les couleurs et les motifs floraux, loin de la photographie en studio. Une façon de faire qui lui manque. « (Solarium) demande pas mal d’énergie, je suis chargée. C’est beaucoup de gestion. J’étais beaucoup plus nomade avant, j’étais plus sur le territoire. C’est vrai que je suis beaucoup moins appelée à imaginer des voyages » , réfléchit-elle.
Ces questionnements, Heinui se les pose aussi quant à son prochain voyage au fenua. « Le temps passe, et je n’y suis pas retournée. Bien sûr, ça me manque. Quand je suis là-bas, il y a les histoires de famille, qui ne sont pas simples« , lâche-t-elle. Une chose est sûre, elle rêve de s’infiltrer au Heiva, dans les coulisses de sa préparation, au plus près de la culture tahitienne.
Heinui a tout de même gardé contact avec une de ses tantes tahitiennes, qu’elle appelle régulièrement. Un contact qui lui fait du bien, à défaut de contact physique avec cette partie de sa famille. « J’aimerais bien retourner à Tahiti, au moins un petit peu, parce que ça représente une partie de moi qui n’est pas totalement sereine. Mon dernier voyage date d’il y a 10 ans, j’étais une autre personne. Je ne sais pas comment le futur sera » .
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