De fortes concentrations de matières radioactives décelées dans les bénitiers

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De fortes concentrations de polonium 210 décelées dans les bénitiers : cette information dévoilée dans le dernier bilan de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (I.R.S.N.) est passée inaperçue. Pourtant, elle pourrait présenter un risque radiologique pour les grands consommateurs de ce mollusque. L’étude sur le sujet se poursuit, mais ces premières révélations pourraient bouleverser certaines habitudes alimentaires.

Publié le 01/02/2022 à 17:13 - Mise à jour le 02/02/2022 à 9:37

De fortes concentrations de polonium 210 décelées dans les bénitiers : cette information dévoilée dans le dernier bilan de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (I.R.S.N.) est passée inaperçue. Pourtant, elle pourrait présenter un risque radiologique pour les grands consommateurs de ce mollusque. L’étude sur le sujet se poursuit, mais ces premières révélations pourraient bouleverser certaines habitudes alimentaires.

À l’écart de la capitale à Vairao, l’antenne polynésienne de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire ne surveille pas seulement la radioactivité artificielle liée aux essais nucléaires. Depuis 2015, les chercheurs s’intéressent également à la radioactivité naturelle (voir encadré). Autrement dit, à l’exposition liée aux radioéléments présents dans la nature et notamment dans certains produits de la mer.

Et leur dernier bilan sur l’exposition aux rayonnements (2019-2020) publié fin 2021 est édifiant. Il indique que l’exposition au fenua est de l’ordre de 1,4 mSv/an, similaire à celle observée les années précédentes. Son origine est naturelle à plus de 99%. Moins de 1% seulement est due aux retombées des essais nucléaires. Elle est environ deux fois plus faible que celle évaluée en métropole (3mSv/an).

Au fenua, « on peut constater que c’est le polonium 210 qui représente pratiquement 50% de l’exposition » indique Patrick Bouisset, représentant de l’I.R.S.N en Polynésie Française, « le potassium 40 qui est quelque chose de stable, indépendant de l’alimentation, représente 30 à 32 % de l’exposition. Et la troisième composante importante c’est le plomb 210 qui est de l’ordre de 10 à 17% en fonction des années« .  

Le polonium 210 et le plomb 210 sont les descendants radioactifs de l’uranium 238 présent dans tous les milieux depuis la création de la terre. « Donc ce sont des éléments qui ne sont pas du tout associés aux retombées des essais nucléaires », précise le chercheur.

Des concentrations de polonium élevées dans les produits de la mer

« On sait que pour des populations qui consomment beaucoup de produits marins, essentiellement des crustacés, cette exposition peut être beaucoup plus élevée », poursuit Patrick Bouisset. « En France, la concentration du polonium dans les crustacés n’excède pas une valeur autour de 100 becquerels par kg (100 Bq/kg).« 

En Polynésie, le laboratoire de l’IRSN a mesuré les concentrations du polonium 210 et plomb 210 dans les bénitiers en 2019-2020. Les prélèvements ont été effectués sur six îles. Les premiers résultats obtenus interpellent.

« On s’est aperçu qu’on a souvent des valeurs supérieures à 100, en dehors de Tubuai où on a une valeur inférieure. On peut même arriver à des valeurs proches de 400 Bq/kg, soit quatre fois plus élevées » (ndlr : c’est le cas pour les échantillons prélevés à Mangareva) révèle le représentant de l’IRSN.  

Concentration du polonium 210 dans les bénitiers. Crédit : IRSN

Cette concentration élevée de polonium 210 – et de plomb 210, pourrait apporter une dose très supérieure à 1,4 mSv/an aux grands consommateurs de bénitiers.

« On a fait un petit calcul pour des gens qui consommeraient par exemple 12 kg de bénitiers par an (env. 1kg/mois). La dose qui était initialement à 1,4 mSv/an passerait pratiquement à 2 mSv par an à Tubuai par exemple, mais elle pourrait atteindre pratiquement 10 mSv/an pour aux endroits où les concentrations en polonium peuvent atteindre 400 bq/kg. » Et de poursuivre : « Consommer 12 kg/an donc 1kg par an ce n’est pas forcément quelque chose de courant, mais ce n’est probablement pas irréaliste sur certains atolls. »

L’exposition « pourrait atteindre pratiquement 10 mSv/an pour aux endroits où les concentrations en polonium peuvent atteindre 400 bq/kg » selon le représentant de l’IRSN

Quels sont les risques ?

Quel impact sur la santé des consommateurs concernés ? « À faibles doses, ce sont des dangers à long terme de cancers. Et plus la dose est élevée, plus le cancer est possible. C’est un risque supplémentaire qu’on peut prendre si on a des doses importantes. » 

Peut-on, aujourd’hui, corréler ces données avec le taux de cancer particulièrement élevé au fenua ? Le scientifique modère. « Là il faut des gens qui fassent de l’épidémiologie, parce qu’effectivement les cancers sont toujours multifactoriels. Effectivement le polonium peut être l’un des facteurs, c’est-à-dire un contributeur non négligeable, mais il y a d’autres éléments : les métaux lourds, la consommation d’alcool, le tabac… Il y a un certain nombre de polluants qui peuvent être cause de cancer. Personne pour l’instant n’est capable de discerner la contribution des différents polluants. »    

Les analyses se poursuivent en 2022

L’étude de l’IRSN sur les bénitiers se poursuit en 2022. Il s’agit d’abord de confirmer les valeurs observées en 2019-20. Pour cela, d’autres échantillons seront analysés et d’autres îles seront intégrées.

Il sera également question « de voir sur des lagons, si le site de prélèvement est d’importance pour la concentration de ces éléments radioactifs. Et puis de voir aussi à l’intérieur de l’animal si on a quelque chose d’homogène« . Le scientifique s’explique : « Pour l’instant on a fait des mesures sur l’animal entier, c’est-à-dire toute la chair de bénitier. Là on va regarder la différence qu’il peut y avoir entre la chair et la masse viscérale, car cette masse viscérale est parfois consommée et parfois non. »

Des premiers résultats ont déjà été obtenus : »A priori, il y a un peu plus de concentration dans la masse viscérale que dans le reste de l’animal. » Si ces éléments se confirment, les habitudes de consommation du mollusque pourraient bien être bouleversées à l’avenir.

Les trois composants de l’exposition naturelle

La première, l’exposition externe – c’est-à-dire que la source de rayonnement est extérieure à l’organisme irradié. Elle est due aux rayonnements cosmiques (provenant du soleil et des étoiles) et aux rayonnements provenant de la radioactivité naturelle présente dans les sols.

La deuxième composante est l’inhalation de radon (un gaz radioactif issu de la désintégration de l’uranium et du radium présents naturellement dans le sol et les roches).

Enfin, la troisième composante vient de la radioactivité naturelle présente dans la nourriture (un habitant consomme en moyenne 500 kg par an) et dans les boissons consommées (environ 900 litre par habitant et par an).

Si les deux premières composantes sont stables dans le temps, la dernière composante, dite ingestion, dépend de l’alimentation de chacun.

Répartition des différents radionucléides contribuant aux doses engagées en 2019-2020

Les étapes de l’analyse des bénitiers

– Prélèvement des échantillons par des correspondants ou par les scientifiques de l’IRSN

– Congélation, puis préparation (découpe) des bénitiers au laboratoire de l’IRSN (Vairao). Deux possibilités : séparation de la chair et de la masse viscérale pour analyse, ou analyse sur l’animal entier.

– Lyophilisation (congélation, puis déshydratation) des morceaux de bénitiers. Obtention d’une poudre pour analyse. 

– Analyse multi-élémentaire des échantillons (plomb 210, polonium 210, césium 137,…) NB : Pour mesurer les concentrations en polonium 210, les échantillons sont envoyés en Métropole.

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