Bruno Saura parle de « la philosophie tahitienne appliquée au domaine du pouvoir » par Tetuna’e

Publié le

Tetuna'e et les lois tahitiennes, c'est le thème d'une conférence et d'une exposition qui se déroule dans les jardins et dans le hall de l'Assemblée à Papeete. Figure emblématique de la tradition tahitienne, ce grand chef a notamment été présenté dans les mémoires de la reine Marau Taaroa comme le premier Ariinui tahitien qui aurait créé l'ordre des Hiva et donné des lois à son peuple. Professeur des universités et intervenant de cette conférence, Bruno Saura était l'invité de nos journaux.

Publié le 03/06/2025 à 14:36 - Mise à jour le 03/06/2025 à 14:36

Tetuna'e et les lois tahitiennes, c'est le thème d'une conférence et d'une exposition qui se déroule dans les jardins et dans le hall de l'Assemblée à Papeete. Figure emblématique de la tradition tahitienne, ce grand chef a notamment été présenté dans les mémoires de la reine Marau Taaroa comme le premier Ariinui tahitien qui aurait créé l'ordre des Hiva et donné des lois à son peuple. Professeur des universités et intervenant de cette conférence, Bruno Saura était l'invité de nos journaux.

Tahiti Nui Télévision : Avant de parler de ce Arii législateur comme il est présenté, parlons de cette conférence qui se tiendra mardi dans l’hémicycle. Deux intervenants, vous et l’avocat Philippe Neuffer, quel va être l’apport de chacun de vous dans cette présentation ?
Bruno Saura, professeur des universités en civilisation polynésienne : « (…) Je vais parler en français et Philippe Neuffer qui est tahitien, en tahitien. Et puis moi, j’essaierai d’expliquer quelle est l’époque de Tetuna’e parce que c’est aux environs de l’an 1200, donc c’est quand même un personnage très lointain dans le temps. Donc qui était-il, quel est son district, son mataeinaa, et puis Philippe Neuffer ira davantage lui à l’intérieur de ces lois ou de ces parau tapu, de ces paroles pleines de sagesse que Tetuna’e a laissé à son district et au peuple de Tahiti. »

TNTV : Alors, on en parlait juste avant l’interview, mais vous vous émettez plus de doutes comparé à votre collègue sur l’existence même de Tetuna’e ?
Bruno Saura
: « Le problème, c’est qu’on a un seul livre qui évoque Tetuna’e, ce sont les mémoires de la reine Marau Taaroa Salmon qui était la femme du dernier roi de Tahiti, Pomare V. Elle venait de la famille des Teva et d’après la généalogie Tetuna’e est l’arrière-arrière-grand-père de Teva. Les Teva sont à Papara essentiellement et à partir de Papara ils rayonnent, mais avant en amont le district, le mataeinaa, le berceau de Teva, c’est Papeari avec Tetuna’e qui aurait été le premier Ariinui, c’est-à-dire le premier grand chef, pas simplement chef royal, mais vraiment le chef dit Marau Taaroa de toute l’île de Tahiti. Alors bien sûr qu’on peut se demander s’il n’y a pas peut-être un peu d’imagination de Marau Taaroa voulant montrer qu’avant la famille Pomare qui était la famille de son époux, peut-être qu’il y avait au sein des Teva ou juste avant les Teva un chef unique aussi qui avait centralisé le pouvoir à l’époque, il y a très longtemps, à l’échelle de tout Tahiti.
Donc, on a cette interrogation parce qu’elle est la seule à avoir écrit sur Tetuna’e. Néanmoins, elle livre beaucoup de savoirs sur lui, elle nous livre les lois de Tetuna’e donc on ne peut pas douter non plus de la solidité de son savoir. »

TNTV : Et justement des lois, qu’est-ce que ces règles régissaient à cette époque ?
Bruno Saura :
« Alors ce ne sont pas des codes électoraux ou commerciaux ou Codes de la route, ce sont des paroles pleines de sagesse qui régissent les pouvoirs, l’équilibre des pouvoirs. Ça veut dire que le Arii par exemple a tout droit sur son peuple, mais on lui dit aussi dans ces paroles de sagesse de bien se garder, de ne pas renverser la pirogue parce que finalement le district, la chefferie, c’est un équilibre des pouvoirs et le peuple est le balancier, peut-être que le corps principal c’est le Arii tout puissant, mais en fait, il doit garder un équilibre. Donc ce sont des paroles de sagesse sur la mesure, sur le partage des pouvoirs, sur la modération et en fait, c’est un peu une espèce de philosophie tahitienne du partage, de la prudence qui est très intéressante. C’est de la philosophie finalement tahitienne appliquée au domaine du pouvoir. »

– PUBLICITE –

TNTV : Une philosophie qui est transmise oralement de génération en génération, qu’est-ce que l’arrivée de l’écriture a changé ?
Bruno Saura :
« L’arrivée de l’écriture a fait qu’il y a eu des lois écrites, c’est ce qu’on appelle le Code Pomare à Tahiti, le Code Tamatoa à Raiatea et donc au XIXe siècle, il y a des lois écrites, mais qui sont déjà pénétrées par des valeurs occidentales chrétiennes. Tandis que là on a vraiment des paroles de sagesse anciennes, que Tetuna’e, ait existé ou qu’il n’ait pas existé, je pense qu’il a existé dans la généalogie, en tout cas, il existe, mais dans la généalogie il est lui-même 4 ou 5 générations après Taharoa. C’est dire qu’on est à la frontière du mythe et de l’histoire, mais en tout cas ces paroles, elles existent, elles étaient en partie les lois de Teva, elles étaient en partie les lois de Tahiti et je pense qu’elles ont une portée assez universelle dans leur beauté et dans leur profondeur. »

TNTV : Et l’essence même de ces principes a-t-elle survécu à notre époque ?
Bruno Saura :
« Il faut que les actes le montrent effectivement, donc il y a des gens qui sans avoir jamais entendu parler de Tetuna’e, connaissent toutes ces valeurs d’accueil, d’hospitalité, de partage quand même qui font l’honneur de Tahiti depuis 250 ans que les occidentaux sont là. On sait très bien quand même que le pays au monde où on est le mieux accueilli, au moins pour l’accueil, pour le moment de l’accueil, je n’ai pas dit qu’ensuite quand on reste pendant des années ça se passe bien tous les jours. Mais le partage, l’accueil, ce sont des valeurs qui sont dans ce code, il n’y a pas que ça, et qui sont quand même mises en pratique encore aujourd’hui par les Tahitiens et qui font leur honneur. »

TNTV : Et de quoi va-t-on parler de plus, enfin de quoi allez-vous parler de plus demain ?
Bruno Saura :
« Philippe Neuffer va aller dans le détail parce qu’il y a quand même 56 lois et préceptes. C’est difficile de faire la différence entre les lois et les préceptes, mais globalement on a quand même 56 articles ou lois, paroles de sagesse qui sont très intéressantes. Moi, je reviendrai sur le contexte, par exemple s’il avait été le premier Ariinui de Tahiti, un Ariinui normalement a un maro ura, donc il y a beaucoup de choses à dire sur Tetouna’e. Il aurait créé une garde royale qui s’appelait la garde de Hiva, donc on parlera du maro ura, on parlera de Hiva et je pense que toutes ces interventions seront diffusées également sur le site de l’Assemblée. Les panneaux pour les gens qui ne pourront pas venir seront mis sur le site Internet de l’Assemblée, donc que les gens puissent être là ou pas là, à mon avis, ils pourront récupérer l’information.« 

TNTV : Effectivement, des interventions à retrouver en direct et en replay sur le site et les réseaux sociaux officiels de l’Assemblée. Une dernière question, un mot sur l’exposition, on en parlait aussi un peu plus tôt, difficile d’illustrer des choses de cette époque, des personnages de cette époque ?
Bruno Saura :
« Bien sûr, on n’a pas de photo, on n’a pas de gravure de Tetoun, c’est 30 ou 35 générations avant aujourd’hui. Mais grâce à Christian Gleizal, qui est un artiste formidable et qui a conçu l’encyclopédie de la Polynésie et qui a un bon fond documentaire, on a des gravures du maro ura, on peut retrouver des marae, on peut retrouver des personnages approchés, donc on peut se faire une idée de qui était Tetouna’e, mais je pense qu’au-delà de son physique et de sa personne, ce qui est intéressant, ce sont des valeurs tahitiennes qui sont dans ses lois. »

Dernières news

Activer le son Couper le son