Juste derrière le grand rideau noir qui les cache du public, Poerava Simpson s’inquiète : « j’ai peur qu’on voie mes fesses, j’ai perdu quatre kilos en un mois et mon costume remonte ! ». La jeune femme est la moins expérimentée de la centaine d’artistes de sa troupe. « J’ai débuté il y a deux mois, mais j’ai un bon cardio et je sais bouger mon derrière » sourit-elle avant de suivre son ra’atira.
Trois soirs par semaine, pendant tout le mois de juillet, les groupes de chant et de danse vont se succéder sur scène. Ils sont 41 cette année : 4470 artistes pour une population de 280 000 habitants. L’engouement pour le ‘ori Tahiti n’a jamais été aussi fort. Chaque troupe doit présenter des séquences codifiées autour d’un thème librement choisi, le plus souvent une légende polynésienne.
Pupu Tuhaa pae conte une guerre ancestrale entre deux clans, pour posséder des tarodières. « Nos thèmes se fondent toujours sur des légendes ou des histoires d’autrefois, mais ils ont une résonance moderne, on essaie de transmettre des messages de respect, de partage et d’humanité » souligne Oscar Tereopa, le chef des danseurs. La veille, le prestigieux groupe O Tahiti E avait choisi un thème plus abstrait : « Tahiti, inlassable rieuse ». Son auteur, Steve Chailloux, un professeur de tahitien, a veillé à ce que toutes les danses dégagent « une énergie, une exaltation aussi particulière que communicative ».
Le public, connaisseur, exige à la fois performance technique, respect des traditions et inventivité. Il retient son souffle lorsqu’un danseur se présente au concours solo, souffre avec lui lorsque, déséquilibré, il pose une main par terre, qui le prive de victoire. Mais applaudit à tout rompre quand une danseuse, quelques minutes plus tard, enchaîne avec vivacité les tamau, les farapu et les varu, avant de plus lascifs ami, quelques-uns des principaux pas du ori Tahiti… qui sont en fait des mouvements de rotation du bassin.
Les touristes y verront une folle énergie déployée par des centaines de fessiers musclés, et des poitrines souvent dénudées. Le jury, lui, saura distinguer l’ampleur des mouvements, la cohésion de l’ensemble, mais aussi la qualité des costumes. Chaque danseur en utilisera au moins trois en une heure de prestation.
L’un d’eux, au moins, sera un costume végétal, qu’il aura confectionné lui-même, en allant cueillir auti, hibiscus et tiare dans les luxuriantes vallées tahitiennes. Et pour les danses en robe ou en pareu, les organisateurs assurent que plus de 17 kilomètres de tissus ont été commandés.
Lorsque les danseurs se retirent, ils laissent place à autant de chanteurs, pour des mélodies tout aussi codifiées, inlassablement répétées. Les tribunes se vident alors, au grand dam des amateurs de chants : beaucoup de spectateurs en profitent pour se restaurer avant d’admirer le groupe de danse suivant.
Pourtant, même les touristes peuvent être envoûtés par ces himene tarava : « ça me rappelle les polyphonies corses, en mieux » s’extasie Claudette Jourdan, une touriste qui a calé ses dates de voyage sur celles du heiva. Son mari renchérit : « on a fait pas mal de festivals culturels dans toute la Polynésie, jusqu’à Hawaï et en Nouvelle-Zélande, mais rien ne vaut le heiva, à part peut-être la tapati à Rapa Nui ».
Sur scène, un guerrier pointe déjà une lance vers le ciel pour annoncer le prochain groupe de danse. Avec rage, car le spectacle est aussi une compétition. Les vainqueurs seront connus le 20 juillet. Les prix décernés pourront sembler dérisoires à des groupes qui se sont entraînés plusieurs fois par semaine pendant six mois, sur des parkings mal éclairées. Mais le grand vainqueur est toujours très sollicité pour des spectacles dans les hôtels, voire des tournées internationales. Et surtout, le prestige d’une victoire au heiva est immense.
A Hollywood, le prochain Disney met en scène le dieu Maui, dans une fiction qui irrite déjà certains Polynésiens, notamment dans sa version francophone. A Tahiti, l’esprit de Maui, de Taaroa et d’Oro inspire toujours les pas des danseurs.
Mike Leyral