Croisements génétiques entre Polynésiens et Amérindiens : une étude « incohérente » selon Eric Conte

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L’archéologue Eric Conte, spécialiste du peuplement de l’Océan Pacifique, juge « incohérente » l’étude génétique sur les croisements entre les Polynésiens et les Amérindiens publiée par la revue Nature.

Publié le 10/07/2020 à 11:12 - Mise à jour le 10/07/2020 à 11:12

L’archéologue Eric Conte, spécialiste du peuplement de l’Océan Pacifique, juge « incohérente » l’étude génétique sur les croisements entre les Polynésiens et les Amérindiens publiée par la revue Nature.

« On sait depuis très longtemps que des Polynésiens sont allés jusqu’en Amérique, d’où ils ont notamment ramené la patate douce » a déclaré le professeur Conte, qui dirige le Centre International de Recherche Archéologique sur la Polynésie.

Pour cet auteur de plusieurs ouvrages sur les migrations dans le Pacifique, les Polynésiens sont originaires d’Asie du sud-est et sont arrivés en Polynésie orientale, à bord de pirogues doubles à voiles, en 800 ou 900 après JC, puis à Hawaii, au nord, vers l’an 1000 et ont atteint l’Amérique vers 1200. Ces migrations sont attestées par l’archéologie, la botanique et la linguistique.

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En revanche, l’hypothèse selon laquelle les Amérindiens auraient pu eux-mêmes atteindre l’archipel des Marquises avant les Polynésiens, lui paraît « bien improbable ». D’après les recherches archéologiques les plus récentes, non prises en compte dans l’article, les Polynésiens étaient déjà aux Marquises au moins deux siècles avant l’arrivée supposée des Indiens d’Amérique.

« Je laisse aux généticiens le soin d’examiner les méthodes suivies (notamment l’estimation des datations grâce à l’ADN) mais le fait que l’on ne dispose pas d’informations sur les conditions de prélèvement des échantillons, qui sont sur des individus actuels et non sur des ossements pré-européens plus fiables et qu’en définitive, le raisonnement sur les contacts entre Polynésiens et Américains repose sur 13 échantillons, pousse à la méfiance ».

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D’autres études génétiques en cours, comme celle sur l’ADN des bactéries contenues dans le tartre des dents de squelettes polynésiens antérieurs au XVIIIe siècle, lui semblent plus dignes de confiance.

« L’étude publiée dans Nature utilise des méthodes modernes pour tenter de défendre une théorie que toutes les données solides infirment depuis 70 ans au moins », déplore Eric Conte.

Il fait référence à l’aventurier Thor Heyerdahl qui, à bord du radeau Kon-Tiki, avait rejoint la Polynésie depuis le Pérou pour démontrer que les migrations étaient possibles dans ce sens. Une traversée courageuse, mais pas une preuve.

« Et, est-ce par hasard ? L’île des Marquises que les auteurs suggèrent comme théâtre de la romanesque rencontre entre Polynésiens et Américains, est Fatu Hiva, justement celle où, en 1937, Heyerdahl, en voyage de noces avec sa femme, eut la « révélation » de la venue des Américains en Polynésie », conclut Eric Conte.

« La trentaine de langues polynésiennes appartiennent toutes à la famille austronésienne, dont le foyer est situé en Asie du sud-est, et qui est distincte des langues amérindiennes » a précisé Jacques Vernaudon, Maître de conférences en linguistique à l’Université de la Polynésie française.

Le mot désignant la patate douce est très proche dans certaines langues polynésiennes (kumara, kumala) et en quechua (kumar). Cet exemple isolé accrédite la thèse d’un emprunt polynésien à une langue amérindienne. « L’hypothèse la plus probable est que des navigateurs polynésiens soient parvenus sur les côtes d’Amérique du sud et soient retournés vers l’ouest avec la plante et son nom amérindien, rephonologisé » avance Jacques Vernaudon.

Les ancêtres des Polynésiens ont donc traversé tout l’océan Pacifique plusieurs siècles avant que les Européens commencent à s’éloigner des continents.

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