Près de 15% de goutteux au fenua, un record mondial

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Avec 14,5% de goutteux, la Polynésie enregistre la plus haute fréquence de la maladie à l’échelle mondiale selon les résultats de l’enquête épidémiologique menée en 2021. Un record affolant porté par une prédisposition génétique désormais confirmée chez les Polynésiens.

Publié le 14/04/2023 à 14:59 - Mise à jour le 09/04/2024 à 15:25

Avec 14,5% de goutteux, la Polynésie enregistre la plus haute fréquence de la maladie à l’échelle mondiale selon les résultats de l’enquête épidémiologique menée en 2021. Un record affolant porté par une prédisposition génétique désormais confirmée chez les Polynésiens.

« Près de 15% de la population de Polynésie française adulte est atteinte de goutte, et deux-tiers est en hyperuricémie (excès d’acide urique, Ndlr) » . Soit la plus haute fréquence de la maladie à l’échelle mondiale selon l’enquête épidémiologique menée au fenua en 2021. Des résultats qui dépassent de loin les craintes du rhumatologue, Tristan Pascart. « J’ai dû regarder les résultats plusieurs fois avant de les croire. De manière globale, je ne pensais pas possible d’avoir une telle fréquence de la maladie » indique le coordinateur de l’enquête.

Dans le détail, la prévalence atteint 14,5% de la population, soit 28 561 patients. Un chiffre d’abord estimé à 26,5% en début d’étude et revu à la baisse une fois celle-ci consolidée. Rapporté à celui de la Nouvelle-Calédonie (3,3%), des Etats-Unis (3,9%) ou encore de l’Europe (0,4 à 3%), le score polynésien interpelle forcément. Pire encore du côté de la prévalence de l’hyperuricémie (grande concentration d’acide urique dans le sang). Elle atteint 71,64% de la population, soit plus de 128 000 personnes. « Les données épidémiologiques sur la goutte au niveau mondial sont plutôt complètes, et aucune ne s’approche des chiffres retrouvés ici, à part une petite population polynésienne de Nouvelle-Zélande » précise le rhumatologue.

Des gènes qui « retiennent » l’acide urique

Des proportions « monstrueuses » qui ne sont pas seulement imputables à une mauvaise hygiène alimentaire. Les premières estimations permettaient déjà aux enquêteurs de suspecter une certaine prédisposition génétique des Polynésiens. C’était d’ailleurs tout l’objet de cette enquête, celui de « casser l’image de la goutte auto-infligée » , avec un volet génétique notamment. En partenariat avec l’ISPF et la direction de la santé, 2 000 foyers ont été tirés au sort sur les cinq archipels du Pays. Un échantillon représentatif de près de 200 000 adultes. L’enquête a été réalisée par sept infirmiers sous le pilotage du rhumatologue. Outre des interviews individuels, des mesures physiques et des prélèvements biologiques ont été effectués.  

Et ici aussi, les craintes du rhumatologue se confirment, avec la présence de « gènes codants pour le transport de l’acide urique dans l’urine (transporteurs rénaux) qui ne marchent pas bien » , développe Tristan Pascart. Résultat : les Polynésiens « retiennent » en quelque sorte l’acide urique. D’où les taux élevés chez plus de 70% de la population adulte. « D’autre part il y a certainement aussi des mutations de gènes gérant l’inflammation en réponse à la présence de cristaux d’acide urique, ce qui expliquerait pourquoi les polynésiens sont aussi génétiquement « plus réactifs » aux cristaux » poursuit le chercheur.  

De maladie auto-infligée à maladie héréditaire

De maladie auto-infligée, la goutte a donc acquis le statut de maladie héréditaire, en particulier en Polynésie. Et si l’hygiène de vie est toujours bonne à prendre, l’impact de l’alimentation pour réduire le taux d’acide urique s’avère en réalité faible. « Les individus atteints de goutte ne mangent pas moins équilibré que les autres » , « ils ne consomment pas plus d’alcool » voire « significativement moins » et ils « ne font pas moins d’activité physique » résume l’enquête. En revanche, certains aliments ou alcools sont susceptibles de déclencher des crises quand les cristaux sont déjà présents.

Des cristaux susceptibles d’être dissous par un traitement bien connu : l’allopurinol. Un médicament vraisemblablement « sous prescrit » et « sous dosé », notamment pour son risque allergique pourtant « rarissime » selon Tristan Pascart. « On connaît les facteurs de risque, donc on sait très bien l’éviter ».

A défaut de prévention diététique, ce traitement est dès lors envisagé du côté des familles qui ont un antécédant de goutte. Car 50% des interrogés rapportent un goutteux au premier degré. « La question qui se pose est de savoir s’il faut traiter de manière médicamenteuse ces familles par le traitement de fond de la goutte qui baisse l’acide urique » , indique le rhumatologue. « Et je pense que oui » .

L’uricémie, quésaco ?

C’est le taux d'acide urique dans le sang. Lorsque ce taux s'élève, l'acide urique sous sa forme liquide atteint une concentration qui sature le sang. Et en se saturant, le sang se solidifie. En l'occurrence, il cristallise et se dépose partout, notamment dans les articulations, sous la forme de cristaux microscopiques, soit un centième de millimètre. De quoi déclencher une réaction de défense par le système immunitaire qui identifie les cristaux comme des agresseurs : c'est la crise de goutte. Non pris en charge, les crises se répètent, les articulations s’abîment, les cristaux s’accumulent et des tophus se développent. 

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