En Polynésie, un taux d’incarcération presque deux fois plus important qu’en France

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Un détenu pour 1 000 personnes dans l'Hexagone contre 1,9 détenu pour 1 000 personnes en Polynésie : le constat est alarmant et perdure pourtant depuis des années. Or, en l'absence de criminalité organisée et avec une faible circulation d'armes au fenua, le taux d'incarcération devrait être inférieur.

Publié le 07/01/2023 à 18:30 - Mise à jour le 08/01/2023 à 11:18

Un détenu pour 1 000 personnes dans l'Hexagone contre 1,9 détenu pour 1 000 personnes en Polynésie : le constat est alarmant et perdure pourtant depuis des années. Or, en l'absence de criminalité organisée et avec une faible circulation d'armes au fenua, le taux d'incarcération devrait être inférieur.


Chaque mois, le ministre de la Justice publie les statistiques de personnes écrouées et détenues. Et celles concernant la Polynésie sont toujours aussi problématiques. la densité carcérale de Nuutania est de 141,8% au 1er décembre 2022. « C’est un problème qui est récurrent depuis de nombreuses années. On a plus de places d’emprisonnement en Polynésie qu’en France. On a à peu près deux fois plus de places et on a à peu près deux fois plus de détenus alors même qu’il n’y a pas de criminalité organisée, et qu’il n’y a pas d’armes qui circulent en Polynésie française. Il y a donc de nombreuses raisons qui devraient normalement expliquer un taux d’incarcération inférieur » estime maître Thibaud Millet, avocat au barreau de Papeete.

« La problématique du centre pénitentiaire de Nuutania est majeure en Polynésie. On nous dit maintenant : mais oui, on a construit Tatutu donc on a beaucoup de place, donc on peut incarcérer à Tatutu. Mais ce n’est pas vrai, puisqu’à Tatutu ce sont les peines relativement longues et les peines définitives. Donc on a toujours beaucoup de gens à Nuutania. Il y a toujours une surpopulation carcérale à Nuutania. Et cette surpopulation est un problème toujours majeur. Et on dit au tribunal, que les conditions ne sont toujours pas satisfaisantes dans un cet établissement pénitentiaire, pour essayer de trouver des alternatives » ajoute maître Loris Peytavit, avocat au barreau de Papeete.

Selon Me Millet, ces chiffres s’expliquent par une justice défectueuse et une politique pénale trop répressive : « On a un problème. On se retrouve dans une situation de justice que j’estime défectueuse, avec une politique pénale qui est excessivement répressive et qui a été récemment dénoncée par toute une équipe de contrôleurs de lieux de privation de libertés. Ils ont non seulement dénoncé une politique pénale trop sévère, mais également des jugements d’incarcération trop nombreux avec des peines trop longues, et une insuffisance des aménagements de peines ».

« Ce que nous avons constaté, les avocats qui font de la défense pénale et notamment la défense en matière de trafics de stupéfiants, c’est que pour des profils un peu similaires (que ceux en métropole en NDLR) pour des trafics de stupéfiants, si vous prenez une décision par exemple du tribunal correctionnel de Marseille, pour tel gramme de produit stupéfiant et tel fait, la décision sera, en principe, plus sévère ici, et donc, on dit que ce n’est pas normal. Les citoyens de Polynésie française ont droit à une justice qui doit être rendue équitablement sur l’ensemble du territoire de la République française. Il n’y a pas de raison parce qu’on est en Polynésie que les gens soient condamnés à des peines deux fois plus importantes. Surtout quand on nous dit qu’il faut faire de la répression, mais que derrière on ne met pas en place d’autres solutions pour sortir de ce fléau, c’est-à-dire des soins, de la prévention, et surtout je pense de la réduction des inégalités qui permet aux gens de trouver d’autres solutions que de trafiquer des produits stupéfiants pour s’en sortir » déplore Me Peytavit.

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« C’est un cocktail explosif en Polynésie française, où je vous rappelle que l’État a déjà été condamné à peu près 500 fois pour des conditions de détention indignes et dégradantes » poursuit Me Millet.

L’avocat Thibaud Millet (Crédit photo : Tahiti Nui Télévision)

Et pourtant, rien ne change… « C’est ça qui est le plus surprenant. On a parfois l’impression qu’un effort est fait, qu’il va être fait, mais on voit que les résultats tardent à venir. Les chiffres de décembre 2022, de l’incarcération, de l’aménagement des peines en Polynésie… sont quasiment la copie conforme de ceux de janvier 2022. Ils se sont même détériorés puisque le nombre de places à diminué à Nuutania, probablement à cause de travaux ou autres, alors que le nombre de détenus est quant à lui totalement stable. On est aux alentours de 190 détenus sur toute l’année 2022, y compris en décembre ».

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À Nuutania, au 1er décembre 2022, 15 femmes sont détenues pour une capacité totale de 32 places.

Maître Loris Peytavit, avocat au barreau de Papeete, invité du journal :

Télécharger ICI toutes les statistiques des personnes écrouées et détenues au 1er décembre 2022 en France et dans les Outre-mer

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