Elle retrouve sa mère, 21 ans après son adoption

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Publié le 18/02/2017 à 10:28 - Mise à jour le 18/02/2017 à 10:28

« Je suis du genre à prendre mon temps, mais quand j’y vais, je fonce. Depuis le jour de ma naissance, les mots étaient restés coincés au fond de ma gorge. Pourtant, ce soir-là, j’étais prête. Dès la fin des cours, je suis rentrée chez moi et j’ai ouvert ma page Facebook. Fébrile mais déterminée.

Tout est sorti d’un trait et j’ai cliqué sur « envoyer », la boule au ventre. « Il est temps pour moi de mettre un terme à ces vingt et un ans de questionnement, de flou, de colère et de peur […] Il n’y a qu’une personne qui pourra faire cicatriser ces plaies intérieures : toi. Toi qui m’es inconnue et qui m’a mise au monde… » Oh, oui, il était temps ! Née sous X, j’ai été adoptée à 4 mois et je l’ai toujours su.

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Ma mère est prof, mon père, agriculteur : ce sont des gens ouverts, des parents aimants et je suis leur fille unique. Ils ont tout fait pour que j’aie une enfance heureuse et ils ont réussi ! Ils n’ont donc jamais eu de problème à me dire ce qu’ils savaient de ma mère biologique : d’origine tahitienne, elle avait 16 ans quand elle m’a mise au monde. Elle aussi avait été adoptée. Pas de nom ni de prénom, rien qui me permette de m’imaginer quelqu’un… Mais j’étais une enfant très choyée, donc, ça me suffisait.

Avec le temps, c’est devenu plus compliqué. Au collège, et au lycée, mes amis me posaient beaucoup de questions auxquelles j’étais incapable de répondre. En moi, la colère montait. Comment avait-elle pu m’abandonner, moi, son enfant ? L’an dernier, j’ai fait un premier pas, en demandant l’ouverture de mon dossier auprès du Conseil national d’accès aux origines personnelles (Cnaop).

Outre une série de documents officiels à imprimer et à remplir, il faut écrire une lettre pour motiver sa démarche. Alors, pour la première fois de ma vie, j’ai dit ma colère et mon incompréhension… Je n’avais pas encore réalisé à quel point elles étaient grandes : ça m’a presque fait peur ! Á ce moment-là, je n’avais qu’une envie : régler mes comptes avec celle qui m’avait mise au monde. En même temps… J’allais peut-être apprendre que j’avais été conçue dans des conditions terribles, que la grossesse s’était très mal passée, que ma mère ne voulait pas de moi…

Et si, après tout, le flou valait mieux que ces réponses-là ? Serais-je prête à les encaisser ? Je n’en étais plus si sûre et ma main tremblait au moment de glisser l’enveloppe dans la boîte aux lettres. Deux mois plus tard, le Cnaop me confirmait l’ouverture de mon dossier. Et puis… Plus rien.

 

UNE BOUTEILLE A LA MER

Je laisse passer l’été. Á la rentrée, je décide de me débrouiller seule et contacte, par mail, des associations liées à la communauté tahitienne. Qui sait, peut-être que ma mère biologique vit encore dans le coin. Peut-être que, grâce au bouche-à-oreille, elles pourraient m’aider à la retrouver.

Très vite, l’une de ces associations m’écrit : « Nous avons été très touchés par votre mail, nous l’avons mis en ligne sur notre page Facebook. » Ma réponse a fusé : « Merci, mais retirez-le. Si quelqu’un doit diffuser ce message sur les réseaux, c’est moi. » Gloups. Je m’étais mis seule le couteau sous la gorge : je n’avais plus qu’à le faire. La nuit qui a suivi a été très agitée, mais, le matin, c’était très clair : j’allais le faire. Et le soir même, d’ailleurs…

Une minute après avoir posté ce fameux texte, mon portable vibre. Un texto d’une amie : « Va voir ton compte tout de suite ! » Le coeur battant, je me connecte : ma bouteille à la mer a déjà été partagée cent fois. Et j’ai des dizaines de messages de soutien, de la part de mes proches, mais aussi de parfaits inconnus.

Á partir de là, je ne lâche plus mon téléphone. Je mange avec, je me brosse les dents avec, je regarde la télé avec. Je deviens complètement accro, ne vis plus que pour ça. C’est très envahissant, et, parfois, ça fait mal. Quand on lit par exemple : « Si ta mère t’a abandonnée, c’est certainement pour une bonne raison, alors, laisse tomber », message anonyme, évidemment. Quand quelqu’un prétend la connaître, vous aider à la retrouver… et qu’il disparaît dans la nature. Au bout du compte, aucune réponse fiable. Il fallait que je respire un peu : j’ai commencé à lâcher un peu mon compte Facebook.

« D’ORIGINE TAHITIENNE, ELLE AVAIT 16 ANS QUAND ELLE M’A MISE AU MONDE. ELLE AUSSI AVAIT ÉTÉ ADOPTÉE… »

Huit jours après, un samedi matin, je me reconnecte, sans trop y croire. Un nouveau message, datant de la veille : « Je suis la personne que tu recherches. » Je lis la suite, méfiante.

L’inconnue me dit qu’elle est heureuse que j’aie cherché à la contacter. Qu’elle-même a essayé de le faire, il y a des années, auprès d’organismes officiels, mais qu’on lui a répondu : « Si vous ne l’aviez pas abandonnée, vous seriez avec elle aujourd’hui. » Alors, elle a renoncé. Et, aujourd’hui, conclut-elle, elle me laisse la recontacter si je le souhaite. Immédiatement, j’ouvre son profil, je regarde sa photo. Mouais… Je trouve qu’elle ne me ressemble pas. « Bien sûr que si ! » me dit une amie à qui j’ai transféré la photo. C’est vrai que ces yeux en amande, cette peau mate…

Je relis le message cent fois. Je le trouve plus sincère que les autres. C’est inexplicable, mais je sens que c’est elle. Pour en avoir le coeur net, je lui pose les mêmes questions qu’aux autres. J’avais gardé pour moi certaines informations que seule ma vraie mère biologique pouvait connaître : cette fois, tout concorde. Nous n’en revenons pas, ni elle ni moi. Des deux côtés de l’écran, l’envie de pleurer est aussi forte que celle de sauter de joie.
 

LA RENCONTRE TANT ATTENDUE

Depuis, nous n’avons plus arrêté de nous écrire. Enfin, je pouvais poser toutes les questions qui me taraudaient. Enfin, j’avais des réponses. Et elles étaient tellement plus simples que tout ce que j’avais imaginé ! Enceinte de moi, ma mère avait beaucoup hésité, mais se trouvait trop jeune et ne se sentait pas capable d’élever un enfant.

Elle pensait que j’aurais une vie meilleure dans une famille d’adoption. C’est pour ça qu’elle avait cherché à me contacter : juste pour savoir si j’étais bien là où j’étais. Pas forcément pour me rencontrer, elle n’aurait pas osé. Moi non plus d’ailleurs, toujours pas, même plusieurs semaines après notre rencontre digitale. Je ne voulais pas brûler d’étapes : l’avoir retrouvée, pouvoir parler avec elle, ça faisait déjà un bien fou ! Et puis il me fallait tout raconter à mes parents… Je ne leur avais pas touché un mot de mes démarches, j’avais trop peur qu’elles n’aboutissent pas. Une fois les premiers instants de surprise passés, je les ai sentis presque soulagés pour moi : ils savaient, au fond, combien ça me tourmentait de ne pas savoir.

Trois semaines plus tard, ma mère biologique m’annonce qu’elle doit faire une visite éclair à des proches, près de chez moi. Bien sûr, nous décidons de nous voir. Quelques jours après, je me retrouve donc dans le hall de l’aéroport, en train de la guetter. Je cherche son visage dans la foule. Je la vois, la reconnais tout de suite. Elle pose sa valise à ses pieds, on se regarde. Quelques secondes s’étirent. Vingt et un ans après ma naissance, on est de nouveau face à face… On sourit, on se dit bonjour. Et puis on tombe dans les bras l’une de l’autre. Instantanément, la conversation reprend là où nous l’avions laissée, la veille.

Aujourd’hui, nous nous parlons tous les jours. De tout… sauf de ma naissance : on a fait le tour de la question et on a envie d’autre chose. Elle fait partie de ma vie, moi de la sienne. Peut-être qu’un jour je la présenterai à ma mère. J’en ai envie, mais je laisse faire. En attendant, je reste très active sur Facebook, pour aider ceux qui tentent la même démarche que moi. Je leur dis que c’est possible d’avoir un jour toutes les pièces du puzzle. Et que ce jour-là, on est enfin en paix ».
 

Témoignage extrait du Magazine « Elle »

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