TNTV : Au lendemain du second tour, quels sont les grands enseignements que vous retenez du scrutin ?
Sémir Al Wardi : « Le premier enseignement, c’est qu’il y a eu un rejet de l’offre politique. C’était visible dès l’année dernière aux élections législatives et on voit que cela a été confirmé aux Territoriales. Quand il y a eu la première sanction aux Législatives, l’année dernière, on aurait pu penser que le gouvernement allait être remanié et qu’on allait mettre en place d’autres politiques publiques pour répondre aux attentes de la population. Cela n’a pas été vécu comme cela par la population qui a réitéré sa sanction contre le gouvernement Tapura. Quand on regarde les reproches qui ont été faits à l’époque, c’est à dire les attaques à l’Etat de droit, le mariage (de Tearii Alpha, Ndlr) la TVA sociale très mal acceptée, on peut se demander pourquoi il n’y a pas eu des réponses à toutes ces questions ».
TNTV : L’alliance entre le Tapura et le Amuitahiraa n’a pas fonctionné comme espéré par Edouard Fritch. Et le Tavini a gagné près de 10 points entre le premier et le second tour. Comment l’expliquez-vous ?
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Sémir Al Wardi : « Quand on calcule les reports de voix, il y a quand même eu un effet du rapprochement entre le Tapura et le Amuitahiraa puisque, quand on additionne les deux, c’est à peu près le chiffre que l’on retrouve. Mais, en réalité, ce qui compte, c’est le rejet qui vient apparemment des abstentionnistes qui ont préféré voter pour le Tavini. Ça, c’est si l’on fait un calcul simple. Mais lors des élections, on ne peut pas faire ce type de calculs. Il y a des reports qui se font et d’autres qui ne se font pas. Mais, finalement, la sanction est là. »
TNTV : A l’annonce des résultats, Edouard Fritch et Gaston Flosse ont accusé Nuihau Laurey et Nicole Sanquer d’être responsables de la défaite. Peut-on le considérer ?
Sémir Al Wardi : « Je dirai deux choses : la première, c’est qu’il y a toujours eu, à toutes les élections territoriales, plusieurs listes autonomistes. En 2018, il y avait le Tapura et le Tahoeraa, en 2013 A Tia Porinetia et le Tahoeraa. Même dans les années 96, 2001 ou 2004, où il y avait le Fetia Api et No Oe e Te Nunaa, etc. Donc, c’est quelque chose qui a toujours existé. Les autonomistes sont souvent divisés sur la définition à donner à l’autonomie. Ce sont aussi des partis qui ne veulent pas être absorbés par un parti autonomiste dominant. Le deuxième point, c’est que c’est assez classique comme stratégie de chercher un bouc-émissaire au lieu d’analyser quelles ont été ses propres erreurs. Il s’agit de rechercher pourquoi il y a eu ce rejet. Et, je le répète, c’est la suite logique de ce qui s’est passé l’année dernière (l’élection des trois députés Tavini, Ndlr). Il faut chercher plus loin pour savoir pourquoi cette sanction de la population envers les fautes du gouvernement précédent ».
TNTV : Malgré ces critiques à l’égard des leaders de A Here Ia Porinetia, Edouard Fritch a annoncé la création d’une plateforme autonomiste. Cela semble mal engagé. Le tandem Tapura /Amuitahiraa peut-il même tenir, selon vous ?
Sémir Al Wardi : « Je ne peux pas répondre à cette question car c’est une alliance de circonstance qui n’a même pas 15 jours. Le deuxième point, c’est que le A Here Ia Porinetia est un parti naissant qui a un score vraiment honorable. Ce n’est pas dans leur intérêt de se fondre dans une fédération de partis autonomistes ».
TNTV : Il semble y avoir désormais deux courants au sein du Tavini. Moetai Brotherson a une nouvelle fois déclaré, dimanche soir, que l’indépendance n’était pas la priorité. Depuis Faa’a, Oscar Temaru s’est, lui, félicité que « le peuple maohi est conscient de son droit de souveraineté ». Était-ce, selon vous, le message que souhaitaient faire passer les électeurs ?
Sémir Al Wardi : « Pas du tout. D’abord, si on additionne les voix autonomistes, ils sont toujours majoritaires. Donc, la question ne se pose pas, dans la population. Deuxièmement, les thèmes de campagne ne tournaient pas vraiment autour de l’indépendance. Là aussi, ce n’était pas la question. Mais effectivement, il y a deux courants au sein du Tavini : les traditionnalistes, on va dire, avec à leur tête Antony Géros et, de l’autre côté, le nouveau courant avec, à sa tête, Moetai Brotherson. C’est la vie normale des partis politiques. Mais, ici, en Polynésie, il faudra s’attendre à ce qu’il y ait quelques divergences d’approches entre ces deux courants. Ce qui est intéressant, pour le moment, si les choses se font comme elles ont été dites, c’est qu’il y aura à la tête de l’exécutif Moetai Brotherson, qui dirige un courant, et, à l’Assemblée de Polynésie, Antony Géros qui dirige l’autre courant. Les deux institutions seront chacune entre les mains d’un courant particulier du Tavini. Ce sera intéressant pour la suite de voir comment cela peut se passer ».
TNTV : Peut-il y avoir, de ce fait, un risque de brouillage de la politique du futur président et de son gouvernement ?
Sémir Al Wardi : « Je parle sur le plan institutionnel. Dans la loi organique de 2011, il y a notamment une disposition qui fait que le président de l’Assemblée est élu pour 5 ans. Il a donc le même mandat que le président de la Polynésie, ce qui lui confère une véritable autonomie par rapport à l’exécutif. Mais jusqu’à présent, cette autonomie véritable n’a pas été utilisée. Si jamais on se retrouve avec deux courants bien distincts, on va certainement assister à cette autonomie, ou indépendance, des institutions entre elles ».
TNTV : Pensez-vous que cela puisse aboutir à un schisme au sein du parti ?
Sémir Al Wardi : « Je ne le pense pas car, au fond, ils sont d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire qu’il y aura un jour l’indépendance. Après, ils ne sont pas forcément d’accord sur les délais ».
TNTV : Il y aura donc une assemblée, un gouvernement et un président de la Polynésie indépendantistes. Dans cette configuration, quelles vont pouvoir être les relations avec Paris ?
Sémir Al Wardi : « D’abord, il n’y a plus de relations personnelles comme cela été le cas à l’époque de Jacques Chirac, par exemple. La France a plus de recul à propos des pouvoirs en Polynésie française. A partir du moment où les indépendantistes sont au pouvoir, mais n’ont pas pour thème l’indépendance demain matin, il n’y a pas de raison qu’il y ait des problèmes entre l’Etat et la Polynésie. A moins qu’à un moment donné il y ait des déclarations à l’emporte-pièce et que le courant plus radical l’emporte. Là, on pourrait avoir une certaine crispation. Mais pour le moment, ce n’est pas ce qui est annoncé ».