La stratégie Indo-Pacifique, c’est quoi ?

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Lors de son discours officiel à la Présidence, Emmanuel Macron a longuement évoqué la stratégie Indo-Pacifique. Mais de quoi s'agit-il vraiment ? L'historien Jean-Marc Regnault, co-auteur de l'ouvrage "Les enjeux de l'Indo-Pacifique et les nouvelles routes de la soi", a apporté quelques éclaircissements sur notre plateau JT, jeudi soir.

Publié le 30/07/2021 à 10:44 - Mise à jour le 30/07/2021 à 10:47

Lors de son discours officiel à la Présidence, Emmanuel Macron a longuement évoqué la stratégie Indo-Pacifique. Mais de quoi s'agit-il vraiment ? L'historien Jean-Marc Regnault, co-auteur de l'ouvrage "Les enjeux de l'Indo-Pacifique et les nouvelles routes de la soi", a apporté quelques éclaircissements sur notre plateau JT, jeudi soir.

« Pour Emmanuel Macron, le temps est venu […] de prendre conscience que le monde a changé et qu’il faut affronter les nouveaux défis. […] C’est surtout vrai dans la géostratégie mondiale qui se dessine. En fait, le Président était venu pour expliquer aux Polynésiens que dans l’affrontement de plus en plus évident entre la Chine et les pays démocratiques (voire plus ou moins démocratiques), l’Océanie serait un des lieux privilégiés de l’antagonisme. C’est pourquoi il a expliqué ce qu’était l’axe Indo-Pacifique qui constituait la réplique aux avancées chinoises intempestives en Océanie ».

« L’essentiel de la visite se résume en ceci : désormais la France estime qu’elle a un rôle capital à jouer dans la lutte contre la Chine dans les océans Indien et Pacifique. Ce rôle éminent lui est possible grâce aux terres qu’elle contrôle. Et celles-ci trouveront dans l’axe Indo-Pacifique la protection qui leur ferait défaut sans la proximité avec une grande Nation et une attention particulière à leurs problèmes spécifiques. Une stratégie gagnant/gagnant en quelque sorte… »

C’est ce qu’écrivait dans un bilan de la visite présidentielle Jean-Marc Regnault. Invité de notre plateau JT hier soir, il a donné plus de détails sur ce qu’est la stratégie Indo-Pacifique. Il a également dressé un bilan global de la visite d’Emmanuel Macron en Polynésie.

« La France a besoin de la Polynésie pour s’affirmer dans le Pacifique »

– Jean-Marc Regnault, historien

« Je crois qu’il faut bien comprendre que le monde est en train de changer et qu’il y a aujourd’hui des enjeux qui son extrêmement importants, et qu’on ne peut pas raisonner comme justement on raisonnait il y a 40 ans ou 50 ans. Et je pense souvent à cette phrase de l’Evangile : « malheur à celui qui est seul et qui tombe, il n’aura personne pour le relever ». Je crois que ce que le Président de la République a voulu dire, c’est qu’il propose en quelque sorte un pacte gagnant/gagnant. La France a besoin de la Polynésie pour s’affirmer dans le Pacifique mais – d’après lui, je traduis sa pensée -, la Polynésie n’a pas les moyens de résister la montée en puissance de la Chine. Il suffit de voir les pions tomber les un après les autres : les Salomon, Tuvalu, les Vanuatu, qui tombent sous la coupe de la Chine. C’est fort préjudiciable dans le domaine des libertés publiques. Qui pourra vraiment protéger ? Alors ce que laisse entendre Emmanuel Macron, c’est que la France a les moyens de protéger la Polynésie. Evidemment, c’est une stratégie gagnant-gagnant, avec les avantages et les inconvénients. Et effectivement, les militants politiques ont tout intérêt à être vigilants sur tous les points qui pourraient poser problème ».

Concernant le projet aquacole de Hao qui intéresse beaucoup les chinois, quel est votre avis ?

« Le projet aquacole de Hao, ça fait déjà un moment qu’il prend l’eau, car ça fait un moment qu’on se rend compte que les promesses ne sont pas tenues, il y a des arnaqueurs. Mais de toute façon, ça fait longtemps qu’il y a des gens qui profitent des avantages donnés par la défiscalisation ou des choses comme ça dans certains domaines. Et effectivement, il faut être très prudent avec les promesses fallacieuses ».

Oscar Temaru a beaucoup parlé lors de sa conférence de presse de stratégie de dissuasion. Est-ce que c’est un moyen de l’Etat de contrer la réinscription de la Polynésie sur la liste de l’ONU des pays à décoloniser ?

« Je pense que dans le discours d’Emmanuel Macron, il y a deux choses. Il y a cette pensée qu’il a exprimée plusieurs fois, que la colonisation c’est un crime contre l’humanité, et je pense que face aux problèmes d’un petit territoire comme la Polynésie, il pense que le partage des compétences par exemple peut être l’occasion pour le gouvernement français de dire que « comme on n’est pas compétent, débrouillez-vous ». François Mitterrand l’avait dit : « au niveau social, vous êtes autonome, donc débrouillez-vous ». Et là, lui, il passe au-dessus de tout ça. D’abord il dit que la Polynésie, c’est un peuple, ce qui est contraire à la Constitution. Il n’hésite pas sur un certain nombre de points à briser des tabu et à dire « bon bin voila, compétence ou pas compétence, vous avez besoin d’un centre de cancer, vous avez besoin d’aider les femmes qui sont en difficultés. Et bien moi je le fais ». On pourrait dire que c’est une façon d’acheter les Polynésiens, mais ils vont en tirer un certain nombre de bienfaits ».

Concernant le nucléaire, qu’est-ce qui vous a interpelé sur ce sujet ?

« Il est Chef de l’Etat et candidat à sa réélection, donc il ne peut pas dire que les militaires savaient »

– Jean-Marc Regnault, historien

« D’abord sa prudence sur ce domaine, parce qu’il faut bien voir les choses. Il est Chef de l’Etat et vraisemblablement candidat à sa réélection. Donc il ne peut pas dire actuellement que les militaires savaient, qu’ils auront dû faire attention. Alors qu’il sait très bien que dès le début, on savait qu’il y avait un danger. Ca ne veut pas dire que les militaires n’ont pas pris de précautions, mais on savait qu’il y avait des dangers. […] Il ne peut pas à la veille de son élection, il ne peut pas accuser les militaires parce qu’il aurait contre lui tous les nostalgiques du gaullisme. Mais dans l’interview qu’il a donné à Mike Leyral, il dit ouvrir les archives, et que, quand on aura ouvert les archives, on saura qui savait et à quel moment. Son discours a d’abord fermé une porte puis ensuite, il a ouvert la porte ».

Et sur la sincérité de l’ouverture de ces archives, peut-on avoir confiance ?

« Je pense quand même que oui parce que, de toute façon, il y a des archives qu’on ne pourra jamais avoir, en tout cas pas avant longtemps. Je connais bien le problème, j’ai travaillé dans les archives militaires, je sais bien qu’on ne peut pas tout lire et qu’on ne peut pas tout avoir. Mais ne serait-ce que dans ce que j’ai eu il y a une vingtaine d’années, on avait des éléments extraordinaires qui permettaient de savoir quand ça a été décidé, pourquoi ça a été décidé et avec quelles conséquences. On sait déjà beaucoup de choses. On en saura encore un peu plus et notamment, on en saura sans doute beaucoup plus pour tout ce qui touche aux problèmes sanitaires ».

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