C’est une nuit que ce quartier de Faa’a n’a visiblement pas oublié. Le 21 avril dernier, l’irruption d’un voleur dans la chambre d’une adolescente de 17 ans, enceinte de cinq mois, a marqué les esprits. Ce jeudi, devant le tribunal correctionnel de Papeete, le responsable, un homme de 33 ans, est resté presque mutique face aux faits : vol, intrusion nocturne et agression sexuelle sur cette mineure, à qui il a léché la bouche alors qu’elle dormait.
Ce soir-là, après avoir vidé à lui seul une bouteille de rhum, le prévenu est raccompagné chez lui. Mais au lieu de s’y reposer, il repart en quête de larcins dans le quartier. D’après l’enquête, c’est peu avant 22 heures qu’il tente un premier coup dans une maison occupée : les parents regardent la télévision, leurs deux jeunes enfants sont à côtés. L’homme se faufile discrètement, mais est repéré, ou du moins « senti comme une ombre » par le père de famille. Pris de panique, il s’enfuit par l’arrière de la maison. Les gendarmes sont alertés, mais le prévenu est déjà sur la route d’une autre maison.
Non découragé, il tente sa chance quelques maisons plus loin. Là, les chiens ne bronchent pas. Il entre sans bruit et tombe sur un téléphone en charge. Mais ce n’est pas tout. Dans la chambre dort une jeune fille. Il s’approche, se penche vers elle, et lui lèche la bouche. Celle-ci se réveille, croyant d’abord à un geste de son compagnon. Ce n’est que lorsque la lumière d’une petite lampe éclaire le visage de l’intrus qu’elle réalise qu’il ne s’agit pas de lui. Alerté, le compagnon surgit et le met en fuite.
« L’effet rhum » et « l’effet paka »
Interpellé chez sa sœur par les gendarmes, venus en réalité l’interroger pour sa première tentative de vol, l’homme se trahit seul en avouant sa seconde violation de domicile. Il explique ses gestes par ce qu’il appelle « l’effet rhum » , potentiellement aggravé par « l’effet stone » du paka. « Ça vient comme ça » , affirme-t-il aux gendarmes. Il se décrit comme soumis à des pulsions incontrôlables quand il boit. Ils dit ainsi être capable de « taper ses collègues » et de commettre « des vols de subsistance » .
Ce n’est pas la première fois que cet homme fait face à la justice. Deux jugements passés, en 2019 et 2023, font état de comportements similaires. L’un des faits mentionne qu’il a « caressé le sexe » sur « la culotte » d’une jeune fille, en 2019. S’il n’a pas été condamné jusqu’ici, il figure depuis dans le fichier des auteurs d’infractions sexuelles, le FIJAIS.
La présidente du tribunal tente de provoquer une réaction : « Vous vous rendez compte du choc ? Quand est-ce que ça va s’arrêter ? » interroge-t-elle. Face à ce mutisme, elle ajoute : « Il y en a certains qui veulent vous attraper, et pas pour vous faire du bien » . Dans le quartier, en effet, les esprits s’échauffent depuis les faits. À la prison de Nuutania, où il a été placé en détention provisoire, sa réputation d’agresseur sexuel l’a précédé, et lui vaut des brimades.
L’experte psychiatre désignée par la justice dresse le portrait d’un homme abîmé : enfance solitaire aux Tuamotu, entre Manihi et Ahe, maladie de la ciguatera qui le mène à une évacuation sanitaire à Tahiti en 2024, et un atterrissage chez sa mère à Faa’a. Le diagnostic est éloquent : handicap intellectuel modéré, incurable, altération du discernement, mais pas de pathologie psychiatrique le rendant irresponsable. Selon l’experte, il ne comprend pas la notion de consentement.
Me Teremoana Hellec, avocat de la victime et de sa mère, insiste sur le traumatisme profond causé par cette agression nocturne. « D’autant plus traumatisée qu’elle est enceinte et a été agressée de nuit », plaide-t-il. « Vous êtes réveillée par un inconnu qui vous fait des choses » , poursuit-il, en soulignant la répétition des faits.
Pour la procureure, l’affaire dépasse le cadre du simple vol ou de l’intrusion. Elle évoque une atteinte profonde à l’intimité et à la sécurité de la victime. « Les faits sont spécialement crasseux » , tranche-t-elle. Elle réclame une peine de deux ans de prison, dont un avec sursis, le maintien en détention et un suivi psychiatrique obligatoire.
L’avocate de la défense tente de convaincre le tribunal de la marginalité de son client. Un homme incapable d’intégrer les codes sociaux, à qui il faut prescrire un suivi important en psychiatrie et addictologie. Elle plaide pour une peine assortie d’un sursis renforcé, avec des obligations de soin et la promesse d’un emploi dès la sortie du tribunal.
Le tribunal tranche : 18 mois de prison avec sursis, une obligation de soins psychiatriques, une obligation de se soigner vis-à-vis de sa consommation d’alcool et stupéfiants, et une obligation de travail. L’homme devra également indemniser les victimes : 350 000 francs francs pour la jeune fille, 60 000 francs pour sa mère.