A Reo mai na : un jeu de piste pour pratiquer le reo Tahiti

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Démocratiser la langue tahitienne : c’est l’objectif de l’émission A Reo Mai Na dont Rarahu est la co-créatrice. À l’âge de 10 ans, alors qu’elle réalise qu’elle est incapable de parler tahitien, la jeune femme de 29 ans prend conscience de la valeur de sa langue et de ses racines.

Publié le 15/05/2021 à 9:26 - Mise à jour le 19/05/2021 à 16:08

Démocratiser la langue tahitienne : c’est l’objectif de l’émission A Reo Mai Na dont Rarahu est la co-créatrice. À l’âge de 10 ans, alors qu’elle réalise qu’elle est incapable de parler tahitien, la jeune femme de 29 ans prend conscience de la valeur de sa langue et de ses racines.

« On est au début de quelque chose qui pourrait avoir un super impact dans la société », s’enthousiasme Rarahu des étoiles pleins les yeux. Et pour cause.

Elle est l’une des co-créatrices du premier épisode de l’émission « A Reo mai na », sorti jeudi soir sur les réseaux sociaux. Ce jeu de piste s’inspire de plusieurs programmes de divertissements, dont Pékin Express. Le principe est simple : les participants doivent suivre une feuille de route et effectuer des missions. Pour ce faire, ils ne peuvent communiquer qu’en tahitien, que ce soit avec le chauffeur qui les accompagne ou les autres protagonistes du jeu. Pour les aider, les joueurs disposent d’un Ipad avec un lexique tahitien/français et de deux « ta’ata tauturu » pour les guider. L’idée : mettre en immersion les candidats dans un Tahiti où la population ne parle qu’en tahitien.

À l’origine de ce projet, une simple discussion amicale entre Rarahu Mahaa-Ebb et George Tobella, le réalisateur de l’émission. Tous deux prennent l’initiative de créer du jour au lendemain ce qu’ils veulent être un moyen ludique de pratiquer le reo Tahiti. Pendant un mois, le projet prend forme avec à la présentation en français, Rarahu et en tahitien, Tiaremaohi. Le but : pousser les Polynésiens à pratiquer leur langue sans barrière, sans peur du jugement, et avec le bagage qui est propre à chacun.

« Là on voulait faire une nouvelle approche de la langue et surtout, on se demandait pourquoi un tel ou un tel ne parle plus la langue tahitienne, ou la langue d’origine », explique Rarahu. « Ce concept, c’est de faire un jeu, de donner un espace où les candidats seront libres de pouvoir s’exprimer. Et surtout, ce qu’on remarque, c’est qu’on a peur de parler, on a honte. La première chose c’est ça. Et la deuxième chose, c’est que quand on a peur finalement, c’est qu’on s’est senti oppressé. Et on a vu que de générations en générations, ce sont toujours les mêmes réponses qui ressortent : « j’ai peur de me tromper ». Mais en fait, c’est que tout simplement, la personne avec qui on a parlé ne nous met pas à l’aise », explique Rarahu.

« La langue, elle t’appartient, elle m’appartient »

Rarahu Mahaa-Ebb

Si le premier épisode fait office de projet pilote, l’émission pourrait être amenée à grossir et à se décliner sous diverses formes.

« On voit qu’on peut le transposer dans diverses situations […] le mettre dans des entreprises, on peut faire également des outils pédagogiques pour les écoles qui peuvent s’appuyer sur ça, car ça reste un reo Tahiti ludique. […] On est en pourparlers avec les directions des écoles qui sont fortement intéressées pour inclure ce jeu dans leur programme ».

Pourtant, au départ de cette aventure, l’équipe a peu de moyens. Mais leur volonté est telle qu’elle décide de ne pas se laisser freiner par les questions d’argent. Rarahu confie ainsi, avec ses collègues, avoir donné de sa propre poche, sans aucun regret. « Effectivement, on a fait avec les moyens du bord. Ça a été un investissement personnel. […] On a porté le projet tous seuls. […] On sait maintenant que les réseaux ont un impact important et nous, ce qui nous intéresse, c’est de toucher au maximum ».

Pour autant, Rarahu précise qu’elle ne souhaite pas se placer en tant qu’experte de la langue tahitienne.

« On n’est pas là pour faire de nos candidats des scientifiques de la langue j’ai envie de dire. On n’est pas là pour en faire des élites mais au moins pour venir impulser cette tendance et venir dire « tu es capable, tu peux parler tous les jours, pratique-le ». « Quand on dit que la langue tahitienne appartient à une élite, c’est faux. J’ai l’impression qu’il n’y a que l’académie tahitienne, il faut faire attention à ce qu’on dit […] C’est dommage. La langue, elle t’appartient, elle m’appartient, tant que tu vis ici. C’est pas ailleurs que tu vas entendre ces langues ».

Prendre conscience de l’importance du reo Tahiti

Avec une licence en reo maohi et une année de master dans le même domaine en poche, on pourrait croire que Rarahu a toujours su parler tahitien. Ses parents tiennent à communiquer uniquement en reo Tahiti et la jeune femme affirme qu’elle baigne depuis toujours dans la langue. Pour autant, elle n’a pas toujours pu aligner une phrase en tahitien. C’est à l’âge de 10 ans qu’elle a le déclic.

 « Ce n’est que très récemment que j’ai parlé. C’est en allant en métropole, je suis arrivée dans une école où le professeur de géographie disait « les enfants, on va voir d’où est-ce qu’elle vient Rarahu ». Puis on a pris un globe terrestre et il a dit « c’est ici Tahiti et elle va nous dire quelques mots ». Et pour lui, il pensait que je venais de cette île et que forcément, je connaissais la langue. Mais j’étais incapable de placer une phrase. J’avais honte, j’ai vraiment eu honte et tout le monde s’est moqué de moi. Et j’ai pris conscience, ça m’a percuté. C’est à ce moment-là que le déclic est venu. Je suis rentrée, j’ai dit à mon père que je ne connaissais pas ma langue », confie Rarahu.

Une expérience traumatisante mais qui va provoquer chez elle le désir immuable de se rapprocher de ses racines.

« On arrive au collège, et on nous demande quelle option on veut. Et moi, je savais tout de suite ce que je voulais faire. Je savais que je voulais aller jusqu’à l’université pour comprendre d’où je viens, pourquoi est-ce que je n’ai pas réussi à percuter plus tôt, alors que mes parents m’ont baigné dedans ».

Au cours de ses études, Rarahu confie avoir eu Turo Raapoto en professeur de reo maohi, qui lui a administré un zéro pointé lors de son premier examen. Une anecdote qui la fait rire aujourd’hui. « Turo, c’est quelqu’un qui te pousse à dépasser tes limites. Grâce à lui, à mon bac, j’ai eu un 16 ». À son entrée à l’Université, la jeune femme prend confiance en elle en passant du temps avec la famille de sa cousine Tiaremaohi, aux côtés de qui elle présente « A Reo Mai na ». « Eux ne parlent que tahitien. C’est deux profils différents. Ma cousine a appris le français, moi j’ai appris le tahitien. J’ai vu cette liberté que je pouvais parler, me tromper et ils ne se sont jamais moqués. Et c’est comme ça que j’ai appris à parler le tahitien ».

C’est aux côtés de sa cousine Tiaremaohi, avec qui elle a appris à parler tahitien, que Rarahu présente l’émission A Reo mai na (crédit photo : A Reo mai na)

Redorer le blason de la langue tahitienne

Même si elle salue et reconnaît les efforts faits par les autorités pour mettre en avant le tahitien, Rarahu souhaiterait que plus de projets voient le jour et faire comprendre qu’il ne faut pas uniquement parler le reo Tahiti dans la sphère familiale, mais dans la vie quotidienne au général.

« Ce qu’il faudrait je pense, aujourd’hui, c’est de redorer le blason de la langue tahitienne, la valoriser pour qu’on puisse s’y intéresser […]. Je pense qu’il devrait y avoir une école qui se fait qu’en tahitien, comme à Hawaii avec la Kamehameha school. […] Les écoles de danses, je pense que ce serait vraiment des lieux propices à l’apprentissage de la langue et puis de faire un espace clos qu’en tahitien. Par exemple, si tu veux aller aux toilettes, ce ne sera qu’en tahitien. Et mettre des phrases types sur un tableau. Tout simplement, de rendre accessible la langue tahitienne à chacun. C’est important qu’on puisse faire le relais, qu’on puisse transmettre. À Hawaii, ça se fait. Le chef de troupe, il doit apprendre et il s’engage à retransmettre son savoir ».

« On n’a pas besoin d’un bac+8 pour avoir ce genre de projets. Il faut juste qu’on se soude, qu’on se donne les moyens et qu’on pousse ensemble des portes ».

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