En Nouvelle-Calédonie, un anniversaire comme un deuil ou comme une fête

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Drapeaux autochtones d'un côté, étendards tricolores de l'autre. Deux camps et deux visions de la Nouvelle-Calédonie s'opposent mardi sous très haute surveillance sur l'archipel, où les uns dénoncent et les autres célèbrent l'anniversaire ultra-sensible de la prise de possession du territoire par la France au mitan du XIXe siècle.

Publié le 24/09/2024 à 9:34 - Mise à jour le 24/09/2024 à 9:34

Drapeaux autochtones d'un côté, étendards tricolores de l'autre. Deux camps et deux visions de la Nouvelle-Calédonie s'opposent mardi sous très haute surveillance sur l'archipel, où les uns dénoncent et les autres célèbrent l'anniversaire ultra-sensible de la prise de possession du territoire par la France au mitan du XIXe siècle.

Après quatre mois de troubles qui ont causé la mort de 13 personnes, dont deux la semaine dernière, les autorités ont fait le choix de mettre l’île du Pacifique sous cloche, craignant une nouvelle éruption de violences : les forces de l’ordre (6 000 effectifs déployés) sont partout, les manifestations et rassemblements interdits et une salve de restrictions imposées, dont un large couvre-feu courant de 18H00 à 06H00.

« Humiliant », peste Lupa (qui ne souhaite pas donner son patronyme), Kanak de 54 ans à qui les gendarmes ont ordonné d’éteindre son brasero dans les rues de Dumbéa, banlieue nord de la capitale, où il comptait cuisiner un plat traditionnel en public, comme le veut sa coutume. 

« On me prive du 24 septembre », jour férié sur le « Caillou », « alors que le 14 juillet a été célébré », rumine-t-il. « Ils nous empêchent de faire ce qu’on veut en ce jour de deuil alors que mes ancêtres étaient là avant que les Français n’arrivent en Nouvelle-Calédonie » en 1853, poursuit le « grand frère » du quartier. Une vingtaine de personnes, drapeaux kanak en main, s’y trouvaient encerclées par les forces de l’ordre au petit matin.  

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Faute de pouvoir organiser les commémorations habituelles, des milliers d’indépendantistes circulaient dans les rues du Grand Nouméa, drapeau en main ou accroché à leur voiture. 

« Étouffer le rassemblement »

Beaucoup déambulent par grappes et forment des micro-rassemblements, de facto tolérés, comme dans le quartier sensible de la Vallée du Tir où une cinquantaine de jeunes jouent à la pétanque et discutent, totalement indifférents à l’encerclement par les gendarmes de leur square baigné de musique reggae.

« La stratégie des autorités, c’est d’étouffer le rassemblement de masse. L’État a peur que le peuple kanak se rassemble », analyse sur place Dede Bouama, un « animateur » du quartier, tunique traditionnelle nouée en bandana.

« Ne pas respecter cette date, ça nous rappelle l’histoire de la prise de possession. Les Français sont venus et ont dit ‘Ici, c’est chez nous’. Aujourd’hui, avec la répression, l’histoire se répète », pense-t-il.

Avec d’autres militants, il a entrepris de « sensibiliser » les plus jeunes à l’histoire du 24 septembre : un traumatisme kanak désormais célébré par une « Fête de la Citoyenneté », instaurée en 2004. 

« Le jeune pourra mieux s’ancrer sur la terre, bien connaître son histoire pour savoir comment il faut lutter », explique-t-il.

Alors que l’archipel connaît des soubresauts réguliers depuis mai, le Haut-commissaire de la République Louis Le Franc assume d’avoir opté pour un « déploiement massif » de forces de l’ordre pour cet anniversaire redouté, sur un territoire où « il ne faut pas grand-chose pour que ça reparte ».

Il se félicite d’un dispositif qui a permis d’éviter tout débordement à ce stade.

Sur les braises des émeutes, « le terrain social reste incandescent« , observe le représentant de l’État. Il fallait donc « dissuader les uns, rassurer les autres ».

« Réapprendre à vivre ensemble »

Ceux qu’il faut rassurer, ce sont les résidents d’origine européenne tentés de prendre les armes, dit-il, et qui se sont barricadés depuis les premières heures des troubles dans les quartiers huppés.

Autour de ces derniers flottent les drapeaux bleu, blanc, rouge. Près de l’aérodrome de Magenta, dans l’est de Nouméa, des dizaines de personnes bravent les interdictions derrière le barrage fait de pneus, de portes dégondées et autres parpaings, filtrant toujours l’accès au lotissement, planté de palmiers et de fleurs d’hibiscus.

Ces « voisins vigilants » y chantent la Marseillaise, gâteaux apéritifs en main.

En rien une « provocation », défend Willy Gatuhau, le porte-parole du « CRC », le Collectif de résistance citoyenne : « Nous sommes en France ! Ce 171e anniversaire est celui du rattachement de la Nouvelle-Calédonie à la France, nous avons un devoir de mémoire », plaide-t-il.

« C’est un choix qu’on a fait trois fois par référendum », explique-t-il.

Cette année, la Fête de la Citoyenneté a un goût amer, reconnaît toutefois l’ancien élu. « De quelle citoyenneté parle-t-on ? Encore faut-il vouloir faire peuple ensemble. Je n’ai pas l’impression que ce soit la volonté du camp en face. »

« Les gens doivent réapprendre à vivre ensemble, il y a des fractures profondes », convient également le Haut-commissaire Le Franc.

Le quartier de Tuband, à Nouméa, résume à lui seul ce défi. En quelques centaines de mètres, il concentre villas cossues avec cocotiers et murs immaculés surmontés de barbelés et protégées par des blocs de pierre bleu, blanc, rouge et HLM majoritairement occupés par des populations autochtones, où une trentaine de personnes s’affairent autour d’un barbecue sous des drapeaux kanaks et une grande affiche à l’effigie du « Che » Guevara. 

Sur une pancarte, à l’entrée, cette date peinte en rouge : « 24.09.1853. Deuil Kanak ».

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