Une grande enquête sur la maladie de la goutte en Polynésie

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Une enquête de terrain sur la goutte a été lancée pendant plusieurs semaines au fenua. Pour en parler, Tristan Pascart, docteur et coordinateur de l'étude sur cette maladie, était l'invité de notre journal.

Publié le 23/08/2021 à 11:53 - Mise à jour le 23/08/2021 à 17:06

Une enquête de terrain sur la goutte a été lancée pendant plusieurs semaines au fenua. Pour en parler, Tristan Pascart, docteur et coordinateur de l'étude sur cette maladie, était l'invité de notre journal.

L’objectif de cette campagne initiée par le groupement des hôpitaux de Lille, en partenariat avec la Polynésie et les États-Unis, est d’arriver à récolter un maximum de données sur la maladie de la goutte qui a une certaine prévalence en Polynésie.

Pour tenter de comprendre cette prévalence, sept infirmiers ont été déployés dans les archipels pour récolter des d’informations auprès de la population. Cette enquête a aussi été réalisée dans les départements français. Et si les résultats y semblent plutôt normaux, en Polynésie, la situation est alarmante. Les prises de sang réalisées sur un échantillon d’au moins 800 personnes devraient notamment permettre d’isoler les éventuels gènes responsables de cette prévalence au fenua.

Tahiti Nui Télévision : Où en est l’enquête ? Le personnel est-il toujours sur le terrain ?
Tristan Pascart, docteur et coordinateur de l’étude sur la goutte : « Non, l’enquête vient de se finir, un peu bousculée par l’avénement, malheureusement, de cette nouvelle vague de Covid. Mais nous étions arrivés au bout des inclusions que nous voulions faire dans l’étude pour essayer de représenter au maximum la Polynésie et sa diversité, jusque dans les différents archipels, pour essayer d’avoir ces données sur la goutte que l’on suspectait être très fréquente. »

Vous avez dépassé toutes vos espérances : vous avez eu plus de 1 000 interviews.
« Tout à fait, on a eu plus de 1 000 interviews. 1 090 personnes ont accepté de participer à l’enquête, ce qui est extraordinaire. Et je voulais remercier d’ailleurs tous les gens qui ont accepté de participer parce qu’ils avaient été à la base tirés au sort, donc ce n’était pas forcément évident de répondre favorablement lorsque les infirmiers toquaient à leur porte. Et effectivement, cette grande participation va nous aider à avoir tout un tas de données, d’abord sur la goutte, et peut-être ensuite également sur d’autres maladies que l’on peut retrouver au fenua. »

Quel est l’importance d’une telle enquête ?
« Cette enquête avait surtout pour but, initialement, d’opérer une prise de conscience collective puisque la goutte est quelque chose qui est très connue en Polynésie. Je pense que tout le monde connait quelqu’un autour de soi qui a au moins une ou plusieurs personnes qui ont la goutte autour d’eux. Mais pour autant, il y a pas eu de prise en charge spécifique qui a été faite particulièrement sur cette maladie. Le but de cette enquête était avant tout d’avoir ces premiers chiffres, et en avoir également les explications, d’où l’intérêt de ces analyses génétiques qui sont faites également, pour ne pas se contenter simplement de faire un état des lieux tout bête on va dire, mais également avoir les explications de pourquoi on retrouve cette maladie dans de telles proportions sur le territoire. »

« 1 homme sur 3 qui déclarait dans l’enquête avoir la goutte. »

Tristan Pascart

Est-ce que les premiers résultats vous donnent déjà des pistes ?
« Oui, tout à fait. On était partis sur une certaine estimation initialement qui est finalement encore pire que prévue parce que nos premiers résultats suggèrent qu’il y a à peu près 18% des personnes qui ont été tirées au sort qui ont la goutte ou qui déclarent avoir la goutte en Polynésie, ce qui est énorme. C’est 20 fois plus que ce qu’on peut retrouver en France, ou même 5 fois plus que ce que l’on retrouve aux États-Unis au moins, par exemple. Et il y a une différence entre les sexes puisque chez les femmes, c’est à peu près 6% des participantes -ce qui est déjà énorme-, et chez les hommes, c’est 33%. Donc c’est-à-dire que sur la population globale, on est à 1 homme sur 3 qui se déclarait dans l’enquête avoir la goutte. »

L’alimentation y est pour beaucoup ?
« C’est plus l’interaction à la limite de l’hérédité génétique avec l’alimentation qui a changé. On va dire que dans l’histoire du peuple polynésien, cela avait un intérêt d’être capable de stocker l’énergie, stocker les réserves au cours des longs voyages maritimes pour atteindre les terres. Et finalement, ces capacités de stockage se sont retournées contre le peuple polynésien en quelque sorte, dans les années récentes, puisque finalement ces capacités de stockage ne servent plus à grand chose. Et avec les changements alimentaires qui se sont opérés, ils conduisent justement à des maladies de surcharge, et c’est le cas de la goutte avec cette surcharge d’acide urique qui conduit à la maladie. »

Au final, vous allez pouvoir proposer un traitement ?
« En fait, le traitement existe déjà. C’est un médicament qui s’appelle l’Allopurinol qui existe depuis plus de 60 ans. Il a été découvert en 1965. Il ne coûte quasiment rien. C’est 200 Fcfp par patient par mois. Et en quelque sorte, il suffit de le prendre à la bonne dose. Malheureusement, on voit dans l’enquête qu’à peine un patient sur deux est traité par le médicament, et certainement malheureusement même lorsqu’ils sont traités pas encore à la bonne dose. C’est quelque chose qui va falloir changer dans les mentalités et arriver à faire en sorte que ce médicament soit pris par tout le monde, c’est ce qu’on recommande d’ailleurs en France depuis un an. C’est que tous les gens qui ont la goutte devraient prendre ce traitement qui a pour but de baisser l’acide urique et faire ainsi disparaître tous les cristaux d’acide urique qui sont à l’origine de la maladie. Si on n’a plus de cristaux d’acide urique, on est plus malade. Il suffit en quelque sorte de continuer à prendre le traitement. »

Les premiers chiffres de l’enquête devraient être restitués avant la fin de l’année, et les premières données génétiques début 2022.

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