Nucléaire : le Civen répond à l’association 193

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Dans un communiqué envoyé aux médias, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) a tenu à répondre aux propos tenus à son encontre, mercredi par l'association 193, qui faisait un état des lieux des demandes d'indemnisation depuis 2018.

Publié le 06/08/2020 à 15:54 - Mise à jour le 06/08/2020 à 15:54

Dans un communiqué envoyé aux médias, le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) a tenu à répondre aux propos tenus à son encontre, mercredi par l'association 193, qui faisait un état des lieux des demandes d'indemnisation depuis 2018.

« Pour des raisons qui lui appartiennent, l’association 193 poursuit son offensive contre le Civen, dont elle demande d’ailleurs la suppression. Personne ne peut lui reprocher de défendre les victimes. Cette mission ne l’oblige pas à tordre la réalité, voire injurier le Civen et diffamer ses membres », indique le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires dans un communiqué envoyé ce jeudi aux rédactions.

Celui-ci fait suite à la conférence de presse tenue mercredi par l’association 193, pour pour partager son état des lieux des demandes d’indemnisations depuis 2018. Alain Christnacht, le président du Civen, répond point par point aux propos qui y ont été tenus :

Sur le bilan du Civen

« De 2010 à 2017 inclus, soit pendant 8 années, 11 personnes résidant en Polynésie seulement ont été reconnues victimes des essais nucléaires. Pour la seule année 2018, 75 personnes ont été reconnues en Polynésie. Pour 2019, le chiffre est de 62. Pour chacune de ces deux années, 6 fois plus de personnes résidant en Polynésie ont donc été reconnues que pour les huit années précédentes. Le taux moyen d’acceptation se situe désormais autour de 50 %.

Face à ces chiffres incontestables –le Civen tient le détail à la disposition de tout demandeur, sous réserve du respect de l’anonymat dû au secret médical, 193 tente de faire la démonstration que « l’amendement Tetuanui », voté en décembre 2018, aurait provoqué une diminution des demandes admises.

193 ne comprend pas ou fait semblant de ne pas comprendre que la règle du 1 mSv s’appliquait déjà en 2018.

Le Civen l’a appliquée dès le début de 2018 et l’amendement rapporté par Mme Tetuanui, au nom de la commission créée par la loi Erom n’a fait que valider ce critère.

En 2019, comme en 2018, le Civen a appliqué le critère du 1 mSv. L’amendement de la commission présidée par Mme Tetuanui n’a donc eu aucune incidence sur la méthodologie appliquée par le Civen. Il a manifesté l’accord de la commission et a clarifié la situation sur le plan juridique.

C’est bien le 1 mSv qui est responsable de l’augmentation considérable du nombre de demandes admises pour les demandeurs polynésiens, en 2018 comme en 2019.

La variation de 2019 par rapport à 2018 dû au calendrier des séances n’a pas de signification particulière. »

Sur les cancers pouvant être reconnus comme radio-induits

« La loi Morin a posé le principe que les personnes atteintes de maladies pouvant être radio-induites et ayant séjourné en Polynésie ou au Sahara peuvent être reconnues victimes des essais nucléaires si la maladie résulte d’une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français.

Il y a 23 maladies désormais reconnues comme pouvant être radio-induites, deux ayant été ajoutées en 2019, sur la recommandation de la commission présidée par Mme Tetuanui.

Citons parmi ces 23 maladies, les cancers de la peau, du poumon, de l’estomac, du côlon, du foie, de la vessie, du cerveau, des os, du sein, de l’utérus, du rein, etc.

Tous ces cancers en Polynésie ont-ils pour cause les rayonnements dus aux essais nucléaires français ? Evidemment non ! Sinon, cela voudrait dire que s’il n’y avait pas eu d’essais nucléaires en Polynésie, personne n’y aurait été atteint de ces cancers, qui frappent malheureusement dans le monde entier.

Il faut donc, par l’examen du dossier médical et de la situation radiologique à laquelle a été soumis le demandeur, rechercher si sa maladie a pu avoir pour cause les rayonnements dus aux essais nucléaires français. Pour certains ce sera oui, pour d’autres ce sera non.

C’est le Civen qui doit déterminer si la maladie a pu avoir pour origine les essais rayonnements dus aux essais nucléaires français.

Si ces essais ne sont pas la cause de leur maladie, cela n’enlève rien à sa gravité et à leurs souffrances. Mais la maladie a une autre origine. »

Sur le seuil du 1 mSv

« Puisque tous les cancers pouvant être radio-induits ne peuvent avoir pour cause les essais nucléaires, le Civen ne peut retenir toutes les demandes des personnes ayant résidé en Polynésie pendant les essais et ayant développé cette maladie.

Il doit examiner la situation concrète du demandeur.

En 2010, la loi Morin avait prévu que le lien entre la maladie et les rayonnements dus aux essais existait si la probabilité de ce lien, calculée selon plusieurs critères, était supérieure à un taux de probabilité, dit « risque négligeable », que le Civen avait fixé à 1 %.

Par la loi Erom du 28 février 2017, le Parlement a supprimé cette condition du « risque négligeable ».

Le Civen a donc dû dégager un critère pour ne pas devoir accepter les demandes des personnes atteintes de ces maladies alors que le rôle que lui fixe la loi est d’accepter seulement celles des personnes dont la maladie a pu être causée par les essais nucléaires.

Il a choisi le critère de la dose-limite de 1 millisievert reconnu internationalement comme une dose de rayonnements en-deçà de laquelle il n’est pas possible que des rayonnements ionisants, de quelque nature que ce soit, provoquent une maladie radio-induite.

Au-dessus de cette limite de dose, il est possible qu’il y ait un lien entre les rayonnements dus à ces essais et la maladie. Ce n’est pas certain mais une approche de précaution conduit à le retenir comme possible.

En revanche, en dessous de cette limite de dose de 1 mSv, on peut affirmer qu’il ne peut y avoir de lien entre les rayonnements dus aux essais nucléaires français et la maladie.

Il s’agit d’une dose, mesurant l’exposition externe et la contamination interne, calculée selon une méthodologie approuvée par un groupe de travail international, sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (les documents figurent sur le site internet du Civen).

En même temps qu’elle supprimait le « risque négligeable », la loi Erom créait une commission chargée de proposer au Gouvernement « les mesures destinées à réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires ».

C’est cette commission qui a proposé au Gouvernement, dans un rapport adopté le 15 novembre 2018, apparemment à l’unanimité, en tout cas sans mention d’opinions dissidentes, d’adopter la méthodologie du Civen consistant à retenir cette limite de dose de 1 mSv. Le Gouvernement a suivi cette recommandation et présenté un amendement, en même temps que la présidente de cette commission, Mme Lana Tetuanui, pour l’inscrire dans la loi Morin, ce qui fut fait par l’article 232 de la loi du 28 février 2018.

« L’amendement Tetuanui » a ainsi été présenté, en même temps que celui du Gouvernement, par cette sénatrice au nom d’une commission, à la présidence de laquelle elle avait été élue, et qui comprenait six parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat, dont trois représentants la Polynésie, soit, outre Mme Tetuanui, Mme Nicole Sanquer et M. Moetai Brotherson, députés, ainsi que des scientifiques et juristes spécialistes de ces questions.

L’inscription de la dose de 1 mSv, déjà mise en œuvre par le Civen sur la base du code de la santé publique, n’a pas modifié une règle déjà appliquée par le Civen depuis 2018.

Il n’y a aucun rapport entre cette limite de dose et le « risque négligeable » comme le montrent les différences de taux d’admission des demandes. En particulier la méthode aboutissant au risque négligeable prenait en compte les autres facteurs de risque, tels que le tabagisme, l’alcoolisme ou l’obésité, qui contribuaient à écarter des demandes de personnes ayant subi des rayonnements à des doses significatives, alors que le critère unique de la limite de dose de 1 mSv ne le permet pas.

Désormais, même si l’un des facteurs de risque tel que le tabagisme pour le cancer du poumon existe, le Civen n’écarte pas la demande si la personne a reçu plus d’un millisievert sur 12 mois consécutifs.

Surtout, le Civen étant un collège, et non un algorithme, peut prendre en compte, pour accepter une demande, même si la dose annuelle reçue est inférieure à 1 mSv, des critères tels que l’âge au moment de l’exposition aux rayonnements ou le poste de travail occupé. »

Sur la suppression du 1 mSv demandée par 193

« 193 demande la suppression du 1 mSv.

Cette suppression, si aucun critère permettant de renverser la présomption ne le remplaçait, aurait pour conséquence de permettre l’indemnisation de toutes les personnes atteintes d’une maladie pouvant être radio-induite et ayant séjourné au Sahara ou en Polynésie pendant les essais, sans pouvoir vérifier si la maladie a pu éventuellement être provoquée par ces rayons.

Il s’agirait donc de l’indemnisation systématique des personnes atteintes de l’un de ces cancers pouvant être radio-induits et non de l’indemnisation de celles dont les cancers sont potentiellement attribuables aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français. Ce serait contraire au principe même de la loi Morin qui est d’indemniser les victimes des essais, lesquelles ne peuvent pas être toutes les personnes atteintes de ces maladies.

Le Civen deviendrait inutile, puisque l’indemnisation serait automatique dès lors que les conditions de date, de lieu et de maladie seraient réunies. La demande de suppression du Civen est donc cohérente avec celle de supprimer le critère du 1 mSv.

On irait alors sans doute vers un système d’indemnisation forfaitaire, écarté par la commission de la loi Erom comme injuste, dès lors que les indemnisations ont des montants très variables, correspondants aux préjudices réels subis par chaque victime, estimés après expertise, dans un cadre contradictoire. »

Sur la « logique au sein du Civen »

« 193 croit avoir observé une « logique au sein du Civen » qui choisirait les personnes admises de telle sorte que l’indemnisation soit la plus « légère » possible. L’association soutient en effet que l’Etat ne met pas à disposition du Civen un volume de crédits suffisant pour lui permettre de faire face au besoin d’indemnisation.

Le Civen a disposé pour 2019 comme pour 2020 d’un volume de crédits suffisant, contrairement aux allégations de 193. Pour 2019, d’ailleurs, les crédits prévus initialement en loi de finances ont été augmentés à l’initiative de Mme Tetuanui, sur la recommandation de la commission qu’elle présidait.

Il est quasiment diffamatoire à l’égard des membres du Civen d’affirmer qu’ils prennent leurs décisions non sur les critères légaux et au vu du dossier du demandeur mais avec le seul objectif d’économies.

Le montant de l’indemnisation dépend d’un grand nombre de critères tels que le déficit fonctionnel, l’assistance d’une tierce personne, le niveau des souffrances endurées qui ont une influence déterminante beaucoup plus que la date de « déclaration » de la maladie.

Le Civen examine chaque demande individuellement, sur la base de sa méthodologie, et non en fonction d’une politique générale par catégories d’âge ou autres. »

Sur l’indépendance des membres du Civen

« 193 affirme sur le ton de l’évidence qu’il suffit de voir la composition du Civen pour comprendre qu’il est lié à l’armée.

Ce propos, qui vise à suggérer que le Civen prendrait ses instructions au ministère des Armées, est surprenant.

Outre le président, nommé sur proposition du vice-président du Conseil d’Etat, dont il paraît difficile de soutenir qu’il est influencé par l’armée, le Civen comprend 8 membres.

5 médecins sont nommés sur proposition, toujours suivie, du Haut Conseil de la Santé publique.  Le Haut Conseil de la santé publique est-il influencé par le ministère des armées ?

Il choisit les meilleurs spécialistes dans les catégories prévues par la loi, dont l’un sur proposition des associations de victimes.

Les 3 autres membres ne sont pas nommés sur proposition du Haut Conseil de la santé publique. Ce sont actuellement le Professeur Bugat, oncologue réputé, Mme Schmidt-Pariset et M. Rajbaut, anciens magistrats. Aucun d’eux n’a ou n’a eu de liens avec le ministère des armées.

 J’ajoute que, depuis 2018, toutes les décisions du Civen sont prises à l’unanimité. »

Sur la « révélation de la contamination in utero »

« 193, qui soutient qu’il existe une transmission transgénérationnelle des maladies provoquées par les rayonnements dus aux essais nucléaires, tente d’introduire un doute, au sujet de deux décisions du Civen qui ont retenu la contamination in utero, en s’interrogeant sur le point de savoir s’il s’agit bien d’une contamination in utero ou plutôt d’une transmission transgénérationnelle et en relevant, au passage, que le Civen serait incapable d’expliquer sa décision.

193 confond, ou fait semblant de confondre, trois situations totalement différentes.

L’exposition in utero à des rayonnements des essais signifie que le fœtus a pu être contaminé par les rayonnements du fait de la présence de la mère dans une zone et à un moment où la dose de rayonnements pouvant être supérieure à 1 mSv. Ce n’est pas une transmission génétique.  La mère n’a pas transmis une maladie par son patrimoine génétique.

Il est à noter que pour certaines maladies, le Civen accepte des demandes même à des doses inférieures à 1 mSv, en prenant en compte la radiosensibilité plus forte des très jeunes enfants ou de ceux exposés in utero.

Les prédispositions héréditaires à certains cancers. Il est bien connu qu’il y a des prédispositions génétiques héréditaires à certains cancers. Cela signifie que l’un des parents ayant développé ce cancer, les enfants ont un risque plus important que la moyenne de la population de le développer.

Le caractère « transgénérationnel » de la transmission de cancers dus aux rayonnements ionisants (dus aux essais nucléaires ou à d’autres causes de rayonnements). Les rayonnements auraient, dans ce cas, provoqué une modification des gamètes, du père ou de la mère, entraînant un risque de cancer transmissible à la descendance, alors qu’aucune prédisposition héréditaire n’existait avant ce rayonnement.

La communauté scientifique internationale considère qu’à ce jour aucune étude n’a démontré la possibilité d’une telle transmission transgénérationnelle, y compris sur les quatre générations de survivants d’Hiroshima. Les études se poursuivent sur certaines cohortes (vétérans britanniques des essais en Australie). Il faut des études longues sur plusieurs générations pour être affirmatifs.

En retenant le dossier d’une exposition in utero, le Civen ne vise évidemment pas une transmission transgénérationnelle. Il est un peu surprenant de lui reprocher de ne pas mentionner qu’il ne s’agit pas de transmission transgénérationnelle alors qu’il a indiqué qu’il y avait contamination in utero.

Cette critique paraît avoir pour but de suggérer à un public peu au fait de ces distinctions, que le Civen aurait pu reconnaître sans le dire une transmission transgénérationnelle. C’est d’ailleurs cette hypothèse suggérée qui explique l’intérêt de la presse pour cette information qui n’a rien, par elle-même, de révolutionnaire.

193 évoque l’absence d’études transgénérationnelles et parle dans une déclaration à la presse de « transmission par la mère ». Dans la contamination in utero la mère n’a rien « transmis ». Le fœtus a pu être irradié lors de sa présence in utero.

On notera au passage que 193 reproche régulièrement au Civen un déficit d’information. Sous la réserve du secret médical, le Civen ne refuse jamais de s’expliquer. Encore faudrait-il que 193 ne refuse pas de rencontrer le Civen comme il l’a fait lorsque son président et la vice-présidente sont venus à Papeete et ont proposé un entretien, qui a été refusé. »

Sur « l’arnaque » du Civen qui traiterait différemment les cas de deux sœurs pourtant identiques, en admettant l’une et en rejetant la demande de l’autre

« 193 tente, à propos d’un cas particulier, de démontrer l’incohérence générale des décisions du Civen, qui traiterait différemment des situations identiques.

Chaque dossier est cependant distinct, même si deux demandes présentent des ressemblances.

Cela étant, le Civen peut remettre en cause ses décisions après avoir été saisi d’une réclamation motivée. Je demanderai au Civen de faire un examen comparatif des deux dossiers mentionnés pour examiner s’il y a eu incohérence entre ces deux décisions, compte tenu du signalement que fait l’association 193. »

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