Au CHPF, les oncologues raccrochent leur blouse

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Trois des cinq oncologues en activité au fenua s’apprêtent à quitter le territoire dans les mois qui viennent, sans successeurs désignés. Le turn-over des médecins a de quoi inquiéter alors que 35 chimiothérapies sont pratiquées chaque jour, en moyenne, à Tahiti.

Publié le 30/04/2024 à 17:02 - Mise à jour le 01/05/2024 à 9:15

Trois des cinq oncologues en activité au fenua s’apprêtent à quitter le territoire dans les mois qui viennent, sans successeurs désignés. Le turn-over des médecins a de quoi inquiéter alors que 35 chimiothérapies sont pratiquées chaque jour, en moyenne, à Tahiti.

Pas besoin d’une mémoire d’éléphant pour retenir les noms des oncologues exerçant au fenua en avril 2024, et pour cause, ils ne sont plus que cinq. Trois d’entre eux, au CHPF, vont partir entre juin et novembre : l’une est oncologue polyvalente, l’autre est onco-gynécologue, le troisième est oncologue-gastro-entérologue. Un quatrième est en libéral en ville, consulte à Raiatea et à l’hôpital de Taravao, un jour par semaine. Le dernier, onco-pneumologue, est le seul spécialiste qui n’a pas envisagé de départ à court ou moyen terme.

En janvier 2024, le CHPF a posté des offres de postes en oncologie qu’il peine à pourvoir. La faute aux exigences RH – obtention d’un diplôme français et deux ans d’exercices requis – et aux conditions de travail dégradées au CHPF. Vendredi dernier, les soignants faisaient part de leur mal-être au ministre de la santé Cédric Mercadal. Les oncologues ne font pas exception.

Jean-François Moulin a exercé deux ans au Taaone avant de démissionner il y a un mois, estimant que les moyens mis à sa disposition ne lui permettaient pas « d’être en accord » avec le sens de son travail. « En oncologie, il y a un vrai problème d’organisation et de coordination interne. C’est une discipline transversale, qui se fait en collaboration avec une équipe autour du patient (…) Aujourd’hui, il n’y a pas de leadership, pas d’axe, pas de projet de service ni d’établissement sur la cancérologie » , assène-t-il. Pour lui, impossible d’accompagner le patient convenablement sans l’assistance d’infirmiers de coordination et de programmation, d’aide-soignants. « L’épuisement d’être seul conduira tous les oncologues à partir au bout d’un certain temps (…) On était trois il y a deux ans, on est tous partis » , souffle-t-il.

Manque d’attractivité dans les Outre-mer

« En radiothérapie, on n’a qu’un seul appareil qui fonctionne (…) Les oncologues ont des journées de travail de 18 à 20h » , appuie la présidente de la ligue contre le cancer en Polynésie Natacha Helme. « Le fait que les oncologues changent tous les trois mois n’aide pas au suivi des patients. Et encore, nous ne sommes par les pires au niveau des Outre-mer (…) mais on ne prend pas encore en compte l’ampleur que prend le cancer au fenua, déplore-t-elle. S’il y a une priorité à définir, c’est de fidéliser des oncologues en Polynésie » .

Un constat que partage l’association Amazones Pacific. « Une mission est organisée avec l’ICPF et Unicancer pour développer la recherche clinique, ce qui peut attirer les oncologues » , développe la présidente de l’association Marie-Christine Seroux. « On doit développer notre activité. Moins d’oncologues, c’est un espacement des rendez-vous, et moins de chances pour le patient au final » .

« On ne peut pas arriver dans un territoire d’Outre-mer comme si on passait de Lyon à Bordeaux »

Quid des médecins vacataires ? Le Dr. Moulin, également membre de l’Ucom (Unicancer Outre-mer), estime que la solution est peu satisfaisante et que seul un ancrage réel des spécialistes au fenua peut répondre à la demande locale. « On fait tous le même constat, on ne peut pas arriver dans un territoire d’Outre-mer comme si on passait de Lyon à Bordeaux, observe-t-il. Ce ne sont pas les mêmes populations et les mêmes contraintes, il faut les connaître » . Pour lui, seule la présence d’un corps intermédiaire de professionnels peut permettre d’obtenir l’adhésion des patients aux traitements proposés et d’améliorer la prise en charge. « Il faut faire comprendre à l’État que l’on ne peut pas aider pareil une région française et un territoire d’Outre-mer à 15 000 km » , conclut-il.

« En début d’année, je n’ai pas pu avoir ma chimiothérapie ciblée, pour la simple et bonne raison qu’il y avait une rupture de stock de médicaments. Et je ne suis pas la seule dans ce cas, il y a aussi eu une dame des Marquises qui a du rester, glisse une patiente suivie pour un cancer du sein. « Pourquoi, en 2024, la Polynésie n’arrive pas à recruter des oncologues ? » , demande-t-elle.

Une question que le rapport d’observation de la Chambre Territoriale des Comptes sur le plan de lutte contre le cancer au fenua, en cours de rédaction, ne manquera certainement pas de soulever.

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