Une Polynésienne étudie des larves de mouches pour valoriser les déchets et l’alimentation animale

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Jade Tetohu, jeune Polynésienne en troisième année de thèse travaille sur la production industrielle de larves de mouche soldat noires afin de valoriser les déchets agricoles et offrir une autre alternative à l’alimentation animale. Présente en Polynésie depuis plus d’un siècle, cette mouche est l’amie des jardiniers et ne représente aucune menace pour notre environnement.

Publié le 09/04/2022 à 17:20 - Mise à jour le 12/04/2022 à 9:02

Jade Tetohu, jeune Polynésienne en troisième année de thèse travaille sur la production industrielle de larves de mouche soldat noires afin de valoriser les déchets agricoles et offrir une autre alternative à l’alimentation animale. Présente en Polynésie depuis plus d’un siècle, cette mouche est l’amie des jardiniers et ne représente aucune menace pour notre environnement.


De formation ingénieure chimiste, diplômée il y a deux ans, rien ne prédestinait vraiment Jade à étudier les larves : « Ma formation est un peu éloignée des insectes, mais finalement, c’est très transversal comme environnements la chimie et la biologie parce que je vais pouvoir appliquer mes compétences d’ingénieure chimiste pour l’analyse nutritive de mes larves. Donc au final, je m’épanouis pleinement dans cet environnement ».

Cela fait déjà deux ans que Jade Tetohu s’intéresse plus particulièrement aux larves de mouches soldat noires ou BSF (Black Soldier Fly), dans le cadre de sa thèse. Doctorante à l’Université de la Polynésie française, elle s’est intéressée à cette mouche importée au début du XXe siècle au fenua, et qui est originaire du sud des États-Unis. Elle est aujourd’hui naturellement présente en Polynésie et dans les régions tropicales en général : « L’avantage, c’est qu’elle ne pique pas, ne mord pas et n’est pas source de nuisances ». Mais c’est surtout sa larve, dénommée Hermetia Illucens, que Jade Tetohu étudie plus particulièrement.

Développer une économie circulaire

La jeune femme de 25 ans travaille en partenariat avec la société Technival, l’Institut Louis Malardé (ILM) et la délégation à la recherche, sur la production de larves de BSF afin de valoriser les déchets agricoles et agro-industriels et offrir une autre alternative, plus vertueuse, à l’alimentation animale : « En Polynésie, il y a une grande quantité de déchets organiques (plusieurs centaines de tonnes produites par an, NDLR) avec un potentiel immense pour l’application que je veux en faire, et ces déchets n’ont pas aujourd’hui une voie de traitement adaptée, donc on pourrait vraiment les valoriser avec la larve de BSF. (…) Je voulais produire mieux, consommer mieux. L’idée, c’est de développer une économie circulaire basée sur des circuits courts pour récupérer des déchets, les transformer et produire une ressource. Encourager une économie locale et durable et s’éloigner petit à petit d’une économie d’importation ».

En effet, en plus de valoriser nos déchets, la larve de BSF permettrait de réduire notre dépendance à l’importation : « La plupart des aliments destinés aux élevages sont importés et notre contexte insulaire fait qu’on est parfois soumis à des difficultés d’approvisionnement, et d’autre part, les ressources que l’on utilise aujourd’hui, essentiellement la farine de poissons et la farine de soja, sont des ressources qui reposent sur un mode de production peu vertueux. Donc on essaie de changer cette dynamique ». L’élevage polynésien pourrait aussi profiter des nombreuses vertus de cet insecte. Sa thèse lui aura d’ailleurs « permis de rencontrer plein de personnes, aussi bien celles qui travaillent dans la filière déchets que celles à qui on pourrait donner les larves pour consommation, les éleveurs, les agriculteurs », tous enthousiastes au projet de Jade.

« L’objectif, c’est d’avoir des larves avec des propriétés nutritives optimales. »

Jade Tetohu

Mais la chercheuse doit encore trouver la bonne recette pour nourrir ses larves et trouver le mélange idéal pour avoir des larves hyper nutritives lui permettant d’obtenir un super aliment : « L’objectif, c’est d’avoir des larves avec des propriétés nutritives optimales. Elles constitueraient un complément, un ingrédient dans la formulation, qui remplacerait par exemple la farine de poisson ou de soja. (…) Ces larves vont être riches en protéines et en lipides, riches en nutriments. Elles constituent une ressource et le but, c’est de les transformer à destination des animaux, notamment les poissons, les poules… et même les cochons ou encore d’autres types d’élevage ».

Et comme le rappelle la doctorante : « une poule qui ne mange pas correctement, c’est une poule qui ne va pas pondre. Si on arrive à produire un aliment ici, au niveau du prix, il sera ainsi compétitif sur le marché. L’idée, c’est de développer une économie locale avec des prix abordables et de développer plus tard ce modèle à l’échelle industrielle et trouver des investisseurs dans ce projet ».

Pour le moment, la chercheuse nourrit les larves de déchets de poissons et déchets alimentaires en tout genre provenant du restaurant universitaire de l’UPF. Ces larves que Jade élève minutieusement, aidée de Vaitiare, une CAE à l’ILM, et de Lou, en stage de fin d’étude, se retrouvent dans notre compost. Et elles sont de véritables petits gloutons : un kilo de ces larves peuvent manger deux kilos de déchets organiques en seulement 4 heures.

Demi-finaliste à « Ma thèse en 180 secondes »

Jade a encore deux années pour terminer sa thèse (une année supplémentaire ayant été octroyée en raison de la crise Covid). En attendant et pour relever un nouveau défi, elle s’est inscrite au concours d’éloquence « Ma thèse en 180 secondes » et a décroché le premier prix du jury à l’UPF : « Je me suis inscrite pour me challenger. (…) Prendre la parole en public est un exercice un peu difficile pour moi. Je suis vite dépassée par le stress, le trac… C’était un moyen pour moi d’essayer de dépasser tout ça en me frottant à l’exercice et en me disant qu’à force de le faire, ça sera plus facile. Je suis sortie de ma zone de confort ». Elle s’est envolée pour la France où elle a participé à la demi-finale nationale du 7 au 9 avril où participaient 58 lauréats et lauréates.

Jade Tetohu n’a en revanche pas été retenue parmi les 16 doctorantes et doctorants qui participeront à la finale nationale qui aura lieu le 31 mai à Lyon avant la grande finale internationale qui se tiendra à Montréal à l’automne 2022. Mais si sa participation au concours s’arrête là, ses recherches pour sa thèse, continuent elles, bel et bien.

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