Ce n’est pas dans son studio récemment aménagé que la journée de Teiva Viaris commence. S’il passe des heures dans ce cock-pit musical où trônent claviers, guitares, appareils à bandes et compresseurs, c’est au Collège Henri Hiro que nous rencontrons le compositeur du groupe Ia Ora te Hura.
Teiva gagne sa vie en tant que professeur de musique. Avec ses jeunes élèves, il commence chaque heure de cours par une minute de relaxation. Il leur fait découvrir des univers musicaux qu’ils ne connaissent pas ou peu. Ce lundi matin, c’est au piano de Chopin que leur journée commence. Quelques minutes plus tard, ils reprennent leur leçon de percussions polynésiennes, une particularité dans l’enseignement musical au collège. Teiva est, paradoxalement, l’un des rares professeurs de musique polynésiens au collège, au milieu de collègues venus en grande partie de métropole.
Un paradoxe qui suit le parcours de Teiva. Il faut dire qu’avant de remporter les prix de meilleur compositeur, de l’orchestre libre et de l’orchestre patrimoine au Heiva I Tahiti 2022 avec la troupe de Ia Ora te Hura, guidé par sa compagne Poerani, il n’était pas prédestiné au métier de professeur.
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Petit, ses parents lui font essayer plein d’activités, dont le piano, qu’il ne goûte pas forcément. Il s’arrête même d’en jouer à 12 ans : « ça me saoulait de travailler mes gammes, de bosser l’instrument, s’amuse-t-il. Ce que j’adore, c’est me mettre derrière un instrument, poser mes mélodies, et voir ce que ça donne« . Alors, il apprend à jouer de la batterie, de la guitare, poursuit le piano… sans prof.
De profil scolaire, il poursuit ses études en métropole, à l’EDHEC. Il visite les campus de Nice…et de Lille. Et c’est dans le Nord de la France qu’il pose ses valises, se demandant alors : « qu’est ce que je vais foutre là-bas? ». Paradoxalement, encore, le choix s’avèrera être le bon. Il n’est pourtant pas emballé par les études. Il ne colle pas avec les voileux de l’EDHEC : « Ils m’ont vu arriver avec ma chevalière et mon nom à particule, ils se sont dits : ok, c’est l’un des nôtres, rigole Teiva. Mais moi, je faisais ça à la roots!« .
D’un autre côté, sa passion pour la musique le dévore. À Lille, il rencontre des amis musiciens, avec qui il s’imprègne de musique comme jamais auparavant. Il joue dès qu’il se lève, sèche quelques cours, et obtient son diplôme entre deux jams sessions. Après avoir complété sa formation musicale à Montpellier pendant deux ans, il a « les crocs » et veut passer à l’étape suivante, à savoir présenter sa musique.
« Peut-être que les prochains musiciens du pays, je les ai en classe »
Il rentre à Tahiti en 2012, et doit trouver un compromis entre musique et rentrée d’argent. Il voulait tenter sa chance en métropole comme compositeur, mais deux semaines avant son départ, il postule « à l’arrache en tant que professeur de musique à la DGEE. Ils m’ont dit : tu démarres demain à Henri Hiro. J’ai lu le programme dans la soirée, je me suis lancé dans la fosse aux lions, et j’ai adoré tout de suite », se souvient-il.
Il obtient son CAPES l’année suivante, et est heureux de partir au boulot le matin avec sa guitare. Il aime leur parler de la musique comme il la voit, et trouve un sens à le faire chez lui, en Polynésie : « On m’aurait proposé de faire ce métier là en France, je n’aurais pas accepté. Les gamins ne me ressemblent pas autant en France. Ici, je me retrouve vraiment en eux« .
Avec les sous mis de côté et pendant son temps libre, il en vient à créer son studio, Third Fish Music, il y a 4 ans. Il compose toujours avec ses influences folk, entre les Beatles et les Beach Boys, et plus modernes, comme Syd Matters et MGMT. C’est avec sa compagne Poerani, rencontrée en 2014 et déjà très impliquée dans le Heiva, qu’il replonge dans la culture traditionnelle locale. Avec elle, il visualise sa musique sur scène, et travaille alors dans l’idée de « faire évoluer la musique locale », achever la fusion entre tradition et modernité.
En février 2018, Poerani Germain et sa cousine fondent la troupe Ia Ora Te Hura et s’inscrivent au Hura Tapariu de décembre 2018, dansant sur les musiques de Teiva. Elles détonnent avec les musiques typiques du milieu de la danse traditionnelle. On lui fait remarquer, et il le prend comme un compliment. À raison, puisqu’il est récompensé pour ses compositions dès 2018. Suite logique par la force de travail et de rencontres, il sera finalement multi-primé au Heiva 2022.
« On me disait que mes musiques étaient différentes »
Avec son ami et collègue percussioniste Teraa Tamatea, il progresse dans sa compréhension de la musique traditionnelle. Lui et Miguel Teivi, joueur de ukulele « impressionnant« , viendront d’ailleurs lui donner un coup de main sur l’album Te Mana.
Dans l’album, sorti ce vendredi, on retrouve les musiques du Heiva 2022, à la sauce Teiva. Les musiques ont été réenregistrées et arrangées, selon l’inspiration du compositeur : « J’ai fait des arrangements un peu exotiques pour ici, tout en gardant l’essence traditionnelle« , fait il remarquer. Il a par exemple utilisé des enregistrements capturés directement dans la nature, qu’il s’agisse de bruits de vagues, ou du vent. Ses musiques donnent un nouveau souffle à la troupe et s’exportent bien, puisque des écoles de danse du Mexique et même de Finlande les jouent.
« Ce qui m’intéresse, c’est de présenter quelque chose d’hybride, conclut-il, pensant déjà au prochain album. Il y aura une double influence« . Mais Teiva ne veut pas appliquer la recette, simple selon lui, d’utiliser une influence étrangère pour y mettre du reo tahiti. Il veut créer une synthèse « qui soit plus profonde« . Quitte à lâcher la composition traditionnelle pendant un temps, pour se concentrer sur ce nouveau projet. « On refera peut-être de la musique pour la danse d’ici 2 ans« , confie Teiva. Alors, autant en profiter.
Te Mana de Ia Ora te Hura, composé par Teiva Viaris, est disponible sur toutes les plateformes de streaming.