À la surprise générale, le président de la Conférence des évêques de France Eric de Moulins-Beaufort, qui tenait un point presse sur le thème des abus sexuels et de leur gestion à la veille de la clôture de l’assemblée plénière de la CEF à Lourdes, a lu un message envoyé par le cardinal Jean-Pierre Ricard.
« Il y a 35 ans, alors que j’étais curé, je me suis conduit de façon répréhensible avec une jeune fille de 14 ans. Mon comportement a nécessairement causé chez cette personne des conséquences graves et durables », y écrit le cardinal. « J’ai décidé de me mettre à la disposition de la justice tant sur le plan de la société que de celui de l’Église », a-t-il ajouté, affirmant avoir demandé « pardon » à cette victime, toujours selon ses propos rapportés.
Cet aveu du cardinal Ricard, 78 ans, qui fut notamment évêque de Coutances, Montpellier puis de Bordeaux de 2001 à 2019, et qui a pris sa retraite en octobre 2019, a été accueilli « comme un choc » par les 120 évêques réunis dans la cité mariale depuis jeudi, a souligné le président de la CEF. Mgr Ricard, ancien président de la CEF, est cardinal depuis 2006.
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Le président de la CEF a par ailleurs détaillé les cas d’autres prélats ayant eu affaire à la justice. « Il y a aujourd’hui six cas d’(anciens, ndlr) évêques qui ont été mis en cause devant la justice de notre pays ou devant la justice canonique », a-t-il déclaré, soulignant que ces cas étaient « connus » de la presse. L’un d’entre eux est toutefois « décédé » depuis, a indiqué ultérieurement la CEF à la presse, précisant qu’il s’agissait de Pierre Pican, décédé en 2018, condamné pour non dénonciation.
S’ajoute « désormais Mgr Ricard », a-t-il dit. Ainsi que Mgr Michel Santier, sanctionné en 2021 par les autorités du Vatican pour des « abus spirituels ayant mené à du voyeurisme sur deux hommes majeurs » et dont la sanction a été révélée mi-octobre par la presse.
Deux autres évêques à la retraite « font l’objet d’enquêtes aujourd’hui de la part de la justice de notre pays après des signalements faits par un évêque et d’une procédure canonique ».
Un dernier « fait l’objet d’un signalement au procureur auquel aucune réponse n’a été donnée à ce jour et a reçu du Saint-Siège des mesures de restriction de son ministère », a ajouté l’archevêque de Reims.
Au total, dix anciens évêques sont donc concernés : « huit actuellement mis en cause pour abus, dont Mgr Ricard et Santier ». Deux sont « mis en cause pour non dénonciation », selon la CEF. L’un a été condamné en 2018 – il s’agit d’André Fort, condamné à huit mois de prison avec sursis – et l’autre, le cardinal Philippe Barbarin, a été relaxé en 2020.
« Sentiment de trahison »
Sur l’affaire Santier proprement dite, dont le silence sur la sanction a choqué les catholiques, Mgr de Moulins-Beaufort a admis avoir été « mis au courant de (sa) situation » en tant que « président de la Conférence des évêques » mais a précisé que la CEF n’était pas « partie prenante de la procédure ».
Il a aussi reconnu qu’en « novembre 2021, pendant l’assemblée » d’automne de l’épiscopat, il avait informé les évêques « que des mesures disciplinaires avaient été prises contre Mgr Santier, mais sans donner d’indication sur les faits (…) commis ».
Il a admis « à la relecture de cette histoire », « des insuffisances graves et des dysfonctionnements à tous les niveaux ». « C’est un nouveau tsunami. On ne pensait pas qu’autant d’évêques pouvaient être concernés », a réagi Marie-Jo Thiel, professeure d’éthique à la faculté de théologie de Strasbourg, dans La Croix à paraître mardi.
De son côté, Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, a fait part au magazine La Vie d’un « intense (…) sentiment de trahison.
Olivier Savignac, pour le collectif de victimes Parler et revivre, s’est dit « secoué par les révélations ». « Il y a beaucoup de choses cachées. Combien vont encore sortir ? », a-t-il interrogé, déplorant auprès de l’AFP que « l’Eglise ne réagisse qu’une fois au pied du mur ».
« C’est une grande tristesse d’entendre cela », a abondé Alix Huon, du collectif de fidèles Agir pour notre Eglise, attendant « des annonces claires » mardi, à la clôture de l’assemblée de Lourdes.
Dans un communiqué, l’archevêque de Bordeaux Jean-Paul James, revenant sur les révélations du cardinal Ricard, a exprimé sa « grande compassion à la personne victime concernée ». Le diocèse de Marseille a lui pris « acte avec peine et douleur des faits rapportés ».
Celles-ci interviennent un peu plus d’un an après la publication du rapport choc de la commission Sauvé sur l’ampleur de la pédocriminalité dans l’Église de France depuis 1950.