Eric Spitz : « Notre ambition, c’est de montrer que la Polynésie a des solutions à offrir au reste du monde »

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Une délégation polynésienne de plus de 100 personnes assistera à la conférence des Nations unies pour l'océan (UNOC) à Nice du 9 au 13 juin. Invité de notre journal, le haut-commissaire Eric Spitz a salué l'implication et la mobilisation des acteurs locaux.

Publié le 28/05/2025 à 11:20 - Mise à jour le 28/05/2025 à 16:34

Une délégation polynésienne de plus de 100 personnes assistera à la conférence des Nations unies pour l'océan (UNOC) à Nice du 9 au 13 juin. Invité de notre journal, le haut-commissaire Eric Spitz a salué l'implication et la mobilisation des acteurs locaux.

Tahiti Nui Télévision : Le droit français est robuste en matière de protection des océans. C’est en tout cas ce que soulignent les juristes présents lors du Congrès international des pénalistes francophones. Mais une question revient, qui fait appliquer ce droit ? Les forces armées, les forces policières sont-elles assez nombreuses et suffisamment formées pour agir ?
Eric Spitz, haut-commissaire de la République en Polynésie :
« Ces derniers mois et même ces dernières années, la gendarmerie s’est considérablement renforcée. Les atteintes à l’environnement sont une des priorités avec les violences infrafamiliales et la lutte contre la drogue. Moi, j’observe en tout cas que ce colloque, c’est une très bonne nouvelle. Il montre la mobilisation de l’ensemble de la Polynésie pour aller à Nice dans quelques jours. »

TNTV : Ils soulignent également peut-être le manque de spécialisation des magistrats. On sait l’indépendance de la justice française. Mais comment l’État pourrait intervenir pour peut-être répondre à ces besoins ?
Eric Spitz :
« Vous savez, quand on parle des magistrats, en général, j’évite de répondre parce qu’il y a la séparation des pouvoirs. Je pense qu’il y a quand même un consensus pour qu’il y ait une plus grande fermeté pour les atteintes à l’environnement. Et je pense que les dernières décisions judiciaires des magistrats en tiennent compte. »

TNTV : À Nice lors de la conférence des Nations unies sur l’océan, le président Moetai Brotherson prévoit d’annoncer la transformation, la volonté de transformer notre ZEE en ère marine protégée de catégorie 6. Cela a d’ailleurs été discuté avec vos services. Quel est l’objectif politique et environnemental derrière ce changement ? Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?
Eric Spitz :
« Déjà, je veux saluer la mobilisation de l’État, du Pays, des associations, des laboratoires de recherche, de l’université. On l’a vu tout à l’heure du cluster maritime. Nous allons être une délégation de 109 personnes polynésiennes à Nice à partir du 6 juin, ce qui fait de nous l’égal d’autres pays. Et nous avons obtenu d’occuper un tiers du stand France, ce qui est énorme. Vous me direz, c’est aussi en proportion des océans qui sont en Polynésie. Et il y a une mobilisation tout à fait exceptionnelle.
Effectivement, parmi les axes que nous allons développer, il y a la protection de l’océan. Alors ici, la dernière activité de pêche illégale remonte à 2007. Nous allons essayer aussi d’avancer le concept novateur de Rahui, où c’est les gens qui prennent en main leur propre protection, en quelque sorte.
Et puis le modèle de pêche durable de la Polynésie, avec hameçon, avec délivrance uniquement de permis de pêche aux Polynésiens. Et bien évidemment, l’action du président Brotherson en collaboration étroite avec le ministère de l’Environnement pour avoir un degré de classification plus élevé va dans ce sens. Mais nous sommes efficaces.
Je vous le rappelle, nous allons avoir deux nouveaux patrouilleurs, trois nouveaux falcons, un système de contrôle par satellite. Donc la France, non seulement contrôle bien sa zone, mais va aussi offrir sa protection aux pays voisins, puisque les poissons ne connaissent pas les frontières. Et le meilleur moyen de nous protéger, c’est aussi d’aller protéger les pays voisins qui le souhaiteraient. »

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TNTV : Une délégation de plus de 100 personnes. L’UNOC, c’est à Nice, c’est pas Papeete. Pourtant, c’est ici qu’on est en première ligne. On aimerait savoir, la Polynésie est-elle pleinement consultée lors de ces rendez-vous ou elle est uniquement mise en vitrine ?
Eric Spitz :
« Non seulement la Polynésie a été consultée, mais sur les 600 projets déposés à l’ONU, il y en a une trentaine qui ont été retenus pour de ce qu’on appelle en anglais des side events, dont le nôtre, le projet porté par la Polynésie et la Tetiaroa Society, sur les grands fonds marins, a été retenu. Il se déroulera en zone bleue, c’est-à-dire dans la zone où évoluent les chefs d’Etat, et c’est une grande fierté pour nous d’avoir réussi collectivement à atteindre cet objectif. »

TNTV : On peut dire que la Polynésie est pleinement impliquée dans les échanges, et notamment sur le côté décisionnel ?
Eric Spitz :
« Non seulement elle est impliquée, mais notre ambition, c’est de montrer que la Polynésie, elle a peut-être des solutions à offrir au reste du monde. Elle peut être en avance sur certains sujets, l’énergie, la nourriture de demain, la cosmétique, la protection, le réchauffement climatique, le blanchiment des coraux. Sur tous ces sujets, on a des choses à dire et on a des propositions à faire au reste du monde. Et croyez-moi, on est motivés pour qu’on n’oublie pas l’intervention de la délégation polynésienne à Nice. »

TNTV : L’engagement de l’Etat en Polynésie ne s’arrête pas à la protection de l’océan. Vous venez de publier votre bilan annuel. 222,8 milliards de Fcfp injectés en 2024, c’est considérable. Que dit cet effort financier de la vision de l’Etat sur le statut d’autonomie de la Polynésie finalement ?
Eric Spitz :
« L’Etat ne se limite pas à une lecture stricte du statut d’autonomie, sinon il y a un certain nombre de dépenses qu’il ne ferait pas au profit de la Polynésie. Je prends un exemple des dotations globales de fonctionnement que l’on donne aux communes par habitant. Ce sont 33 000 Fcfp par habitant en Polynésie, de 20 000 Fcfp en métropole. La fameuse taxe de sûreté qu’on paye sur les billets d’avion, non seulement elle est reversée à l’aéroport de Tahiti, mais l’Etat rajoute 5 millions d’euros de manière à ce qu’on puisse financer l’ensemble des dépenses de sûreté. Donc c’est un regard de bienveillance. Nous sommes tous dans la République française avec ces belles valeurs que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. »

TNTV : Puisque vous faites le comparatif entre la Polynésie et la métropole, on se demande quel est l’intérêt de l’Etat ? Pourquoi cet effort supplémentaire en Polynésie française de la part de l’Etat ?
Eric Pitz :
« Ce n’est pas un intérêt, enfin il n’y a pas plus d’intérêt pour la Bretagne, l’Alsace ou la Polynésie. Nous sommes la République française, nous devons l’égalité d’accès aux droits à tous les habitants. À Maiao par exemple, nous allons investir quasiment 2 millions de Fcfp par habitant pour qu’ils aient l’eau courante, l’assainissement et l’électricité. Donc même dans les endroits les plus éloignés de la République, il y a une solidarité nationale. On n’est pas des comptables, on fait d’abord jouer les nouvelles valeurs de la République et on va jusqu’à Maiao. On est allés jusqu’à Raraka pour aussi installer l’électricité. Même si ça concerne que 80 habitants, on le fait parce qu’on est tous solidaires. »

TNTV : Au nom de la solidarité nationale, donc. Les indépendantistes martèlent ces derniers jours que l’Etat perçoit des recettes importantes en Polynésie. Antony Geros l’a lui-même affirmé sur ce plateau dimanche soir. Quelle est la réalité des recettes de l’Etat en Polynésie aujourd’hui ? De quelles recettes parle-t-on exactement ?
Eric Spitz :
« C’est extrêmement simple. L’Etat a 1,2 milliard de recettes en Polynésie qui se décomposent ainsi : 34% pour les evasans qui sont payées par la CPS. En général, la CPS a des accords avec les compagnies aériennes mais quand elles sont défaillantes, c’est l’armée qui supplie, donc qui a une facturation, 34% d’1,2 milliard. Ensuite, l’Etat verse des fois par erreur des indûs sur les salaires et les primes des fonctionnaires, donc il récupère ces indûs. L’Etat a aussi des régies. Par exemple, quand on héberge un fonctionnaire, il doit donner 15% de son salaire. Donc il y a une régie pour empocher ça. Et puis il y a aussi tout ce qui concerne, mais c’est peu élevé, 56 millions des condamnations pénales pour détournement de fonds. Voilà, ça, c’est l’ensemble des recettes de l’Etat. Vous voyez bien, c’est plutôt un prélèvement sur les fonctionnaires eux-mêmes pour les loyers ou pour des indûs. Il n’y a pas, par exemple, de recettes de l’Etat liées aux amendes. »

TNTV : Ou aux saisies ? Aux saisies criminelles ?
Eric Spitz :
« Alors, la saisie des avoirs criminels, c’est encore effectivement autre chose. C’est à peu près la même somme. Et je compte bien que ce montant augmente en 2025. La saisie des avoirs criminels n’est pas reversée à l’Etat. C’est un peu plus d’un milliard de Fcfp l’année dernière. Il est versé à une agence de saisie et de gestion des avoirs criminels, qui était d’ailleurs présidée par l’actuel procureur général près de la Cour d’appel de Papeete. Et ces sommes sont dédiées à la lutte contre la grande criminalité, le trafic de drogue aussi. Donc ces sommes, on les revoit ensuite sur le Fenua.« 

TNTV : Le détail des recettes que vous venez de nous présenter, il est connu. Il a d’ailleurs été présenté aux médias lors de la présentation du bilan annuel. Pourtant, on a l’impression que les indépendantistes parlent d’autres recettes, de recettes dont on ignore réellement la nature.
En avril, le président de l’Assemblée a annoncé la création d’une commission d’enquête sur les enjeux géostratégiques, économiques et environnementaux de la Polynésie et de sa ZEE, avec un budget de 25 millions de Fcfp. Est-ce que vous y voyez une volonté d’évaluer, finalement, la valeur de la Polynésie et de ses ressources ?

Eric Spitz : « La Polynésie, elle est inestimable, par définition. Non, mais attendez, quand on parle de dépensée de recettes, ça s’appelle du droit budgétaire, du droit fiscal, de la comptabilité. Il y a des tableaux, il y a des chiffres. Moi, tout ce dont je vous ai parlé, tout ce qu’il y a dans la plaquette, et ce que je vous ai dit sur les recettes, c’est retracé de manière comptable. Il n’y a pas de recettes magiques qui aillent dans le sens de la Polynésie française vers l’État, à part ce 1.2 dont je vous parlais, un peu la saisie des avoirs criminels. »

TNTV : Toutes ces questions s’inscrivent dans un contexte plus large, celui des discussions autour de l’évolution statutaire du Pays. Les indépendantistes demandent que l’État retienne un dialogue sur la décolonisation. Vous, qui êtes in situ ici en Polynésie, que pouvez-vous nous dire sur la position actuelle de l’État ?
Eric Spitz :
« Moi, j’observe que sans surprise, j’ai saisi, Tony Geros l’avait bien dit, le tribunal administratif, suite à la délibération que vous avez énoncée, sans surprise, le tribunal administratif a saisi le Conseil d’État, qui a rendu un avis qui n’est pas surprenant. Et aujourd’hui, effectivement, le rapporteur public demande l’annulation de cette délibération. Alors, il y a aussi peut-être d’autres recours qui vont être portés auprès du Président de la République, qui feront l’objet d’un contentieux qui vient d’être déposé devant le tribunal administratif en lui demandant d’enclencher le mouvement de décolonisation. Mais là aussi, on sait qu’il s’agit d’un acte de gouvernement, et donc cette demande est totalement illégale.
Sans surprise, la plupart de vos téléspectateurs se moquent complètement de ces sujets. Quand je vais sur le terrain, moi, on me parle prix du riz, cherté des prix, accès au logement, emploi, vie quotidienne, santé, éducation. Et c’est sur ces sujets-là qu’on travaille. Alors, vous l’avez dit, on va avec Président Botherson à L’UNOC pour monter aussi un deuxième pilier économique autour de la mer. On travaille sur le numérique avec l’arrivée du câble et de Google. Voilà des sujets qui intéressent les Polynésiens. Mais je n’ai jamais entendu dans la rue des gens qui me parlent des réquisitions ou de l’avis du Conseil d’État. Tout ça paraît très éloigné, très, très, très éloigné de la réalité quotidienne des Français et totalement absent des débats lors de la dernière campagne électorale. »

TNTV : On veut rappeler, ce n’est pas, ce n’est pas, il ne semble pas être en tout cas l’avis des indépendantistes. Merci, Monsieur le Haut-Commissaire, d’avoir accepté notre invitation ce soir.

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