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Le titre de propriété du Camica sur les îles Actéon déclaré « de nul effet » par le tribunal

Quatre ans après la première audience opposant la Polynésie et des ayants droit des îles Actéon au Camica, le tribunal foncier a rendu sa décision la semaine dernière. (Photo d'illustration)

Quatre ans après la première audience opposant la Polynésie et des ayants droit des îles Actéon au Camica, le tribunal foncier a rendu sa décision la semaine dernière. Un jugement que TNTV a pu consulter.

Dans celui-ci, la juridiction déclare « de nul effet » l’acte de « notoriété acquisitive » par usucapion établi par l’office notarial Clémencet au profit de la Mission Catholique. Cette dernière ne peut donc plus prétendre être propriétaire de ces 7 atolls d’une superficie de plusieurs centaines d’hectares dépendant de la commune des Gambier.

En mars 2021, la Polynésie française avait saisi le tribunal foncier pour contester l’acte litigieux établi en novembre 2019. Dans ses écritures, elle rappelait que le Camica avait ouvert une procédure, en 2015, devant la Commission de conciliation en matière foncière, mais qu’aucune entente n’avait été trouvée. La saisine, dans la foulée, d’un notaire par la Mission Catholique s’apparentait donc, aux yeux du Pays, à « une voie détournée pour obtenir la propriété de ces îles ».

Le Pays avait fait valoir que les îles Actéon lui appartenaient initialement en vertu de décisions rendues en 1932 par la Cour Tahitienne. Mais, dans les années 50, il avait décidé de céder gratuitement les 7 atolls à deux sociétés civiles immobilières pour les « mettre en valeur » et « pallier le manque de ressources de cette zone ». Une cession destinée principalement aux descendants des habitants des atolls concernés.

Ces deux SCI ont ensuite été dissoutes en 1964 et 1970, mais n’ont toujours « pas été liquidées » à ce jour, selon la Polynésie, qui estimait, de ce fait, que « la personnalité morale » des propriétaires « survit ». Et le Camica n’était, pour elle, qu’un « simple sociétaire ayant vocation à jouer un rôle de régulateur pour la mise en œuvre concrète des actions projetées, notamment pour la planification des travaux agricoles ».

« Il n’a jamais été question que le Camica s’approprie ces îles, et même tout au contraire, puisqu’il était censé apporter son concours à la bonne marche de ces sociétés dont l’objectif était (…) que les sociétaires originaires de ces îles deviennent propriétaires des parcelles foncières », soulignait le Pays dans ses écritures.

« Déclarations extrapolées »

Il disait être étonné que la Mission Catholique ait fait appel à un cabinet notarial « pour faire dresser une notoriété acquisitive », un acte entaché de « multiples irrégularités », selon lui.

Le Pays pointait entre autres du doigt le fait « qu’aucun des témoins présentés au notaire par le Camica » n’était « un habitant d’un des 7 atolls ». « Les déclarations des témoins ont (…) été totalement extrapolées par le notaire », écrivait la Polynésie, selon qui l’un d’entre eux ne maîtrisait pas le français et avait signé des documents qu’il « ne comprenait pas ».

Le Pays déplorait également que le notaire n’ait « pas jugé utile d’effectuer une quelconque démarche à titre de vérification et a simplement dressé sans autre formalité la notoriété acquisitive qui lui était demandée, ce qui constitue une faute dans l’exercice de la profession ». Une enquête pénale a d’ailleurs été ouverte, ce qui a conduit à une série de gardes à vue en janvier 2023. Les investigations sont toujours en cours dans ce pan du dossier.

En défense, le Camica expliquait que l’acte de notoriété litigieux avait été « dressé à la demande de 7 personnes parmi lesquelles Messieurs Cottanceau, Coppenrath et Aumeran » et que le document détaillait « les actes matériels de possessions » et « 14 témoignages écrits et circonstanciés ».

Il se disait aussi choqué par « l’immixtion de la Polynésie française dans un litige privé » ainsi que par les « perquisitions qu’il a dû subir dans le cadre de l’enquête pénale ».

L’office notarial, quant à lui, arguait qu’il ne « disposait d’aucun élément qui aurait pu lui mettre le doute quant à la sincérité des déclarations faites par près de 15 témoins répondant à plus de cinquante questions ». Il estimait donc n’avoir commis « aucune faute » dans l’établissement de l’acte de notoriété.

Il considérait enfin être victime d’un « procès d’intention » et de « propos diffamatoires » de la part du Pays qui s’appuyait sur « une présentation tronquée des faits et du droit » alors que la « probité » de Me Clémencet « n’a jamais été remise en question » en « 41 années » de carrière.  

« Obligation de vérification »

Dans son jugement, le tribunal foncier a finalement donné raison à la Polynésie. La juridiction a en effet considéré que « les propriétaires par titre des atolls » sont ceux des deux sociétés « issues de la dissolution des SCI originelles, composées de leurs associés ou de leurs ayants droit ».

« La possession légale utile pour prescrire un bien immobilier ne peut s’établir (…) que par des actes matériels continus d’occupation réelle », souligne le tribunal dans sa décision. Or, « si le Camica démontre que certains de ses membres (…) ont été présents sur les atolls litigieux et y ont quelquefois organisé la récolte du coprah, et plus généralement la vie en société, ce n’est pas en qualité de membres du Camica et pour le compte de celui-ci, mais en qualité de représentants du Camica, associé des SCI », est-il écrit dans le jugement qui précise que d’autres associés des SCI et des ayants droit « ont également travaillé sur les atolls ».

La juridiction en conclut que la possession du Camica, « à la supposer établie, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, est nécessairement entachée d’équivoque et fait obstacle à l’acquisition de la propriété de ces atolls ».

Le tribunal foncier tacle également l’office notarial censé « s’assurer de l’absence de circonstances permettant de douter de la sincérité des déclarants et des témoins ».

Le notaire s’est « contenté de la présence de 7 témoins, dont le dirigeant du Camica et 2 personnes y ayant exercé des fonctions (…) dont il est établi que certains ne parlaient pas français », écrivent les magistrats. Ceux-ci considèrent que le notaire n’a également procédé « à aucune vérification, notamment en se procurant un extrait du plan cadastral des atolls (…) pour déterminer qui était le propriétaire apparent ».

« Il avait a minima une obligation de vérification de ce qui lui était exposé, vérification qu’il n’a pas effectuée. Il a donc commis une faute dans l’exercice de ses fonctions », tranche le tribunal.

Le Camica a par conséquent été débouté de sa demande de se voir reconnu comme « propriétaire par prescription acquisitive trentenaire » des îles Actéon. L’acte de notoriété acquisitive, établi en 2019, a aussi été déclaré « de nul effet » et la radiation de sa transcription a été ordonnée. Le jugement est toutefois susceptible de faire l’objet d’un appel.

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