Ia ora na Teva, comment tu es devenu shaper ?
« Et bien c’est arrivé un peu comme ça. Dans les années 1990 sur la côte Basque, j’ai rencontré Jean-Pierre Stark, un « shapeur » reconnu, et c’est avec lui que j’ai commencé tout en bas de l’échelle. Au début je nettoyais les ateliers, puis il m’a montré comme faire les réparations, et de fil en aiguille, un jour il m’a proposé d’apprendre à « shaper ». J’avais 21 ans à l’époque. Je suis resté plus de 8 ans avec lui, avant de revenir au fenua en 2000 pour créer mon entreprise Teva Surfboards. Au départ mon atelier était à Tipaerui et je faisais tout moi-même. Shaper ça allait, mais tout le côté gestion d’entreprise mon gars, c’est une autre histoire ! (rires) Donc les jeunes qui veulent se lancer, allez y surtout si c’est votre passion, mais soyez rigoureux dans votre gestion, c’est un conseil ! »
Parles-nous un peu du marché du surf au fenua ?
« Au niveau du monde des « shapers » à Tahiti, dans les années 90 il y avait Kevin Heminway (Manutere), Kelly Surf, André Suard (Vavea), Arsène Harehoe (Taapuna)… Ensuite quand je suis revenu en 2000 et que j’ai créé ma marque, le marché avait un peu ralenti mais il restait du beau monde. Je me souviens de David Tortellier ou encore notre regretté Lee Nelva… Moi au départ je sortais à peine 5 ou 6 planches par mois. Ce qui m’a vraiment aidé à démarrer, ce sont les premiers surfeurs qui sont venus me voir comme Heifara Tahutini, un surfeur exceptionnel. Ensuite il y a eu Taumata Puhetini, Steven Pierson… Et maintenant je fais des planches pour Enrique Ariitu, Teiva Mare, Patricia Rossi, Jocelyn Poulou et j’oublis surement les meilleurs… (rires). Aujourd’hui, au plus haut niveau de mon activité, je dois produire en moyenne une trentaine de planches Teva Surfboards par mois « .
Est-ce que le métier de shaper te permet de bien vivre ?
« Vivre du shape, cela dépend vraiment d’où on place son niveau de vie. Pour moi cela me satisfait. Mais ça c’est personnel, cela dépend de ton style de vie. Je vis de mon métier, et j’ai créé des emplois. Bon avec des haut et des bas, mais ça nourrit son personnage (sourires) ».
Tu es aussi l’un des seuls qui a investi dans une machine, pourquoi ?
« En 2008, j’ai décidé d’investir dans une machine de shape, parce que le métier a évolué. Avant on faisait tout à la main, tu te cassais le dos de 4h du matin à 21h…tout en t’occupant des clients, des réparations… La machine permet de te préserver, et puis surtout elle te permet une plus grande précision de « shape » à la coupe. Par contre je finis toutes mes planches à la main, parce qu’aucune machine ne vaudra la main et l’œil du shaper (sourire) ».
Parmi tous ceux que tu as essayé, quel a été ton spot de surf préféré ?
« Alors, j’ai surfé à Bali, en Australie, en Europe, aux Etats-Unis… ce sont des spots magnifiques et les gens sont plus ou moins sympas, mais l’eau est très froide. Donc je dirais que mes spots préférés, sans être chauvins, sont ici au fenua. C’est dur de choisir, mais je dirais les récifs de Taapuna, Vairao et Sapinus. Bon honnêtement, je n’ai plus le temps d’aller surfer. Actuellement je dois y aller peut être une fois tous les deux-trois mois ».
C’est bizarre, tu n’as pas dit Teahupoo ?
« Non Teahupoo, il y a beaucoup trop de monde. Et souvent les copains quand ils m’invitent à y aller, c’est toujours très gros donc, quand ça fais juste 4 mois que tu n’as pas touché à ta planche, sympas les copains mais je vais d’abord réapprendre à nager ! (rires) »
La Billabong vient de s’achever, est ce que tu aurais une explication sur le fait que nos aitos n’arrivent pas à remporter ce trophée ?
« Je pense que cela vient de la pression qu’ils se mettent lorsqu’ils surfent à la maison. Psychologiquement ils doivent vouloir tellement faire plaisir à leur public que cela peut les bloquer. Un peu comme les Brésiliens à la coupe de monde de football 2014. Parfois la pression peut te transcender, mais elle peut aussi être catastrophique sur tes performances. Après, j’ai voyagé un peu partout dans le monde, et j’ai remarqué deux choses. La première, c’est qu’un étranger du spot peut parfois être meilleur que les locaux car il est plus insouciant. Par exemple Teahupoo c’est chaud, mais si tu n’as pas « gouté » au récif, tu appréhendes un peu moins. Et cela nous amène à la deuxième chose, il faut savoir qu’un spot peut te marquer à vie. Par exemple Michel s’est fait super mal à Teahupoo, et à mon avis inconsciemment cela a dû laisser des traces dans sa tête. Donc voilà, mais après il ne faut pas oublier qu’en face il y a du très lourd, quand tu as un Kelly au top, c’est tout de suite plus compliqué. Mais bon Michel ma, « Tapea i te paari », et je pense qu’un jour ou l’autre on va le gagner ce trophée et même voir un tahitien champion du monde sur le tour, parce qu’on a du niveau au fenua ».
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Le « King Slater », 5ème victoire à Hava’e, qu’en penses-tu ?
« A 44 ans, Kelly Slater est juste incroyable. Mon point de vue c’est que de toutes façons, où qu’il aille, il y va tellement sans pression, que c’est un monstre. De plus il est son propre sponsor, il a sa propre marque et il se sert du tour pour se tester et tester son matos. Il intrigue tout le monde par son choix de planches. Il impose son surf avec de petites planches, en quatro, remet l’epoxy à l’ordre du jour… enfin c’est le « number one » quoi ! J’ai l’ai rencontré 3-4 fois chez Manoa Drollet, quand je lui réparais ses planches au début de Teahupoo. Et j’étais hyper impressionné ! Mais en fait c’est un gars super humble, facile d’accès, très sympas et surtout très intelligent ».
Justement que penses-tu de la vague artificielle parfaite qu’il a créé aux USA?
« Franchement c’est super ! Et pour moi c’est une évidence qu’après avoir réussi cela, le surf soit accepté aux Jeux Olympiques ! C’est une des évolutions majeures du surf d’aujourd’hui, comme fut le « leash » pour le surf d’hier. Parce qu’à l’origine, les mecs surfer sans leash, et devaient être d’excellents nageurs. Quand le leash est arrivé, cela a permis à plus de gens de surfer, même ceux qui ne savaient pas bien nager. Et maintenant avec cette vague artificielle, tu ne seras plus obligé de voyager tout autour du monde. Même à Moscou ou au Sahara tu pourras surfer en piscine. Cela va démocratiser l’accession aux vagues, ça c’est sûr ! »
Est-ce que l’homme Teva Bonno, est fan d’un surfeur local en particulier ?
« Aïe ! J’en ai plusieurs donc là ça va être compliqué ! (rires) Mais pour un top 3, je dirais en premier bien sûr Michel Bourez, parce que c’est vraiment quelqu’un de très humble, il a une belle personnalité, et c’est un tueur dans son métier ! C’est un choix de cœur. Ensuite je vois Steven Pierson, le professionnel bosseur ! Pas seulement dans le surf, mais dans sa gestion du temps, de ses compétitions, de ses voyages… il est très bon. Et puis après tu as toute la clique qui arrive Keoni, Mihimana, Oneil… et je m’excuse auprès de ceux que j’oublie ! (rires) C’est trop dur de faire un classement, mais on a une génération qui arrive et je pense qu’on a surement un futur Kelly Slater dedans. Une chose est sûre, il faut que ces « boys » continuent le travail commencé par Michel et Steven pour former la relève et élever toujours plus haut le niveau du surf local ».
Le mot de la fin, quel est ton conseil aux sportifs de sportstahiti.com ?
« Peu importe le sport, restez toujours super fair-play, et profitez de notre belle nature, on est à Tahiti quoi ! (rires) »