Victimes des essais nucléaires : « On est un caillou perdu au milieu de l’océan, ils s’en foutent de nous »

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Publié le 21/10/2018 à 15:31 - Mise à jour le 21/10/2018 à 15:31

Le professeur Nicolas Franchitto et le docteur Georges Benayoun, deux experts mandatés par le Civen (Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires) reçoivent depuis ce lundi, des familles et des victimes des essais nucléaires survenus à Moruroa de 1975 à 1996. Ils viennent en renfort des équipes très restreintes, au fenua  -voire même à l’unique médecin sur place.
Face au manque de moyens humains et à la hausse du nombre de demandes d’indemnisation : les autorités organisent une série de consultations, d’abord sur Tahiti, puis dans les îles. Objectif : réduire les délais d’attente pour les victimes, et leurs familles. Les experts ont un délai de trois mois pour rendre leur rapport au Civen.

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« Nous sommes des experts indépendants, inscrits à la cour d’appel de Toulouse, et on vient évaluer un préjudice qui a été reconnu » déclarent les médecins sur place venus évaluer l’ensemble des souffrances physiques et morales des victimes. Ils évalueront, entre autres, les préjudices patrimoniaux, extrapatrimoniaux, permanents, sexuels… « Nous avons une mission médicale. C’est le Civen qui fait le tri dans les dossiers. Nous, on ne choisit pas les patients retenus. (…) Nous allons évaluer le montant du préjudice, pas de l’indemnisation ».

> « Je ne suis pas là pour réclamer de l’argent, ce n’est pas ça qui va réparer le mal »

Astrid, ayant droit, qui représente aujourd’hui sa maman décédée en décembre de l’année dernière, est très émue et aussi en colère : « Nous avons déjà la liste des questions. Ce sont des questions très intimes parfois, qui vont jusqu’à la sexualité. Mais je vais leur dire franchement tout ce qu’ils veulent savoir. (…) J’ai perdu mon grand-père déjà, et on a eu des cacahuètes en indemnisation. Ma grand-mère n’a pas été reconnue, et pourtant… elle a beaucoup souffert. (…) J’ai un oncle à qui l’on vient de détecter une tumeur dans la main, et certaines de mes tantes, plus jeunes que moi, souffrent de la thyroïde ».

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Ce qu’Astrid cherche avant tout, c’est une reconnaissance plus qu’une indemnisation : « C’est important qu’ils reconnaissent et acceptent qu’ils nous ont décimés, détruits. N’ayons pas peur des mots. Pourquoi ils ne l’ont pas fait chez eux ? On est un petit caillou perdu au milieu de l’océan, on est à peine 200 pelés, ils s’en foutent de nous. Ils ne nous écoutent pas. (…) Je ne suis pas là pour réclamer de l’argent, ce n’est pas ça qui va réparer le mal. J’ai l’impression qu’on est là pour monnayer la mort ou la vie de quelqu’un, mais je m’en fous de leur fric. Je veux juste qu’ils reconnaissent le mal qu’ils ont fait ».

> Un aboutissement

Après la constitution des dossiers, puis l’audition, l’expertise médicale est donc la troisième et dernière étape pour les victimes et leurs proches : « C’est un aboutissement », déclare Léna, qui fait partie de l’association 193, une association de défense des victimes des essais nucléaires. Bien qu’elle déplore la manière avec laquelle cela a été fait : « On a dû venir chercher le document au Centre médical de suivi de Papeete (CMS) et on ne l’a obtenu que la semaine dernière. Les familles n’ont eu qu’une semaine pour se préparer » à un questionnaire complexe, très intime parfois. Et une semaine également pour réunir des documents et des factures datant d’une dizaine d’années, afin de justifier les préjudices subis.

Après leur semaine passée en Polynésie, les deux médecins experts devraient revenir en janvier/février 2019, et à échéance régulière jusqu’à que tous les dossiers auront été expertisés.
 

Rédaction web avec Laure Philiber et Jeanne Tinorua Tehuritaua

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