La CTC a passé au crible la gestion de Tahiti Tourisme, une entité ayant pour vocation de « rassembler les acteurs locaux du tourisme et les autorités publiques locales, en vue, notamment, d’assurer principalement la promotion touristique de la destination Polynésie française ».
En préambule, la CTC note « un réel dynamisme des équipes en place, les actions marketing à l’international sont importantes, et les opérations de sensibilisation de la population locale sont visibles ». Mais elle relève aussi des difficultés, « la première » résidant dans « sa capacité à justifier l’effectivité de retombées économiques directes issues de ses propres actions de promotion ».
« L’autre enjeu concerne l’un des axes stratégiques majeurs affichés par le GIE qui entend diversifier les marchés émetteurs, afin de diminuer la dépendance de la Polynésie française vis-à-vis des touristes en provenance des États-Unis et de l’Hexagone. Or, sur le premier point, des marchés non couverts par Tahiti Tourisme peuvent apporter autant de touristes que des zones qu’il prospecte habituellement, et sur le deuxième aspect, l’organisme peut être soumis à des critiques sur une présumée pratique de saupoudrage lorsqu’il engage des actions sur des marchés secondaires, en vue de diversifier les marchés émetteurs », soulignent les magistrats financiers.
– PUBLICITE –
Ils considèrent que, pour répondre à ces défis, Tahiti Tourisme « n’a pas d’autre choix que de développer une attention soutenue au suivi et au reporting internes, pour lui permettre de valoriser au mieux son efficacité et son efficience ».
Rigueur
« En fin de compte, la mission d’intérêt public confiée au GIE ainsi que les montants significatifs des financements publics apportés lui imposent encore davantage de garantir un haut degré d’exigence sur trois aspects principalement : transparence du pilotage et des procédures, rigueur de gestion, efficacité des pratiques professionnelles et du contrôle interne », estime la CTC.
Celle-ci ajoute qu’en « matière d’organisation des achats, les principes de la commande publique sont à appliquer sans exception, ce qui nécessite de corriger les dispositions statutaires concernées, et d’asseoir les procédures internes, afin qu’elles soient systématisées et surveillées ».
Elle considère, enfin, que « la fiabilité du pilotage pourrait (…) être améliorée avec le concours du Pays, en installant un partenariat pluriannuel, permettant de dépasser le cadre annuel inhérent aux conventions d’attribution de subventions et au cycle budgétaire ».
J-B. C.
Les recommandations de la CTC :
Recommandation n° 1 : formaliser et diffuser auprès des membres et des administrateurs un recueil de déontologie et de prévention des conflits d’intérêt, dès 2023.
Recommandation n° 2 : adresser à la collectivité de la Polynésie française une demande formelle d’instaurer une subvention unique, dès 2024 pour la mise en œuvre.
Recommandation n° 3 : formaliser et adopter en assemblée générale et en conseil d’administration une stratégie pluriannuelle, dès 2023.
Recommandation n° 4 : mettre en œuvre des indicateurs de pilotage stratégique sous la forme de tableaux de bords synthétiques intégrés, dès 2023.
Recommandation n° 5 : élaborer un plan RH pluriannuel adapté doté d’indicateurs de suivi de type SMART, dès 2023.
« Série de dysfonctionnements » au sein de l’antenne américaine de Tahiti Tourisme
La CTC a consacré une partie de son rapport à la « filiale californienne » de Tahiti Tourisme, « survivance d’un passé révolu ». Cette structure, qui emploie 7 salariés de nationalité américaine, a enregistré une « série de dysfonctionnements ».
« Des anomalies en comptabilité ont ainsi été constatées, en particulier dues au manque de rigueur dans le suivi des justificatifs des frais de mission. Le contrôle a abouti à l’identification de factures litigieuses produites par la responsable de la comptabilité de la filiale, Mme A. qui lui permettait de payer des frais personnels qu’elle faisait prendre en charge par la société », indique la Chambre. L’employée a depuis été licenciée et s’est engagée à rembourser les 8,7 millions qu’elle aurait indument perçus.
Une autre employée a également été licenciée pour « insuffisance professionnelle ». Celle-ci a saisi les tribunaux américains pour « discrimination ». Pour Tahiti Tourisme, les frais d’avocats s’élevaient, en novembre 2022, à 30 millions de francs. Le conseil d’administration a donc pris la décision de tenter de relancer une « procédure amiable, par le versement d’une indemnité de 105 000 USD (13,2 millions de francs) ».
Un véhicule « haut de gamme » d’une valeur de 5,9 millions de francs a, en outre, été « acheté en juin 2003 par la présidence de la Polynésie française (…) et remis à Tahiti Tourisme ». Une voiture utilisée « lors des venues aux États-Unis de M. Gaston Flosse, lorsqu’il était président du gouvernement de la Polynésie française ».
« Tahiti Tourisme a indiqué que sa filiale (…) prenait en charge pendant toute cette période les frais d’assurance du véhicule et de parking. La dépense cumulée sur la période des frais d’assurance a été estimée par le GIE à 14 510 USD (1,8 million de francs). Les frais mensuels de parking s’élevaient à 180 USD, soit de 2004 à 2019, un total actualisé cumulé estimé à 32 400 USD (4 millions de francs) », souligne la CTC. Le véhicule est aujourd’hui en « état d’épave », après avoir subi un vol.
Selon la Chambre, la fermeture de la filiale américaine de Tahiti Tourisme a été actée. Un contrat de prestation pourrait être passé avec une société sur place pour la remplacer, comme c’est déjà le cas sur les autres marchés.
Représentation en Russie et « interventionnisme politique local »
Autre dossier ayant interpellé les magistrats de la Chambre : celui du projet de création, en 2017, d’une représentation de Polynésie à Saint-Pétersbourg, « même si le marché russe n’était pas particulièrement prometteur ».
« Il s’agissait d’une initiative prise dans le cadre d’un accord de partenariat signé le 29 mai 2016 entre la Polynésie française représentée par son ministre du Logement de l’époque, M. Tearii Alpha, et la région de Saint-Pétersbourg représentée par le centre de la coopération d’affaires internationales de Saint-Pétersbourg, représenté lui-même par son président, M. K », écrivent les magistrats financiers qui ajoutent qu’avant « qu’un contrat ne soit établi, sur demande du ministre, aux dires de Tahiti Tourisme, afin que la maison de la Polynésie puisse être inaugurée le 27 janvier 2017 en Russie lors d’un voyage d’une délégation du Pays et de Tahiti Tourisme, des fonds du GIE ont été versés via une banque de la place sur le compte personnel de M. K. ».
Mais le projet a fait long feu. En juin 2017, le conseil d’administration de Tahiti Tourisme a en effet acté la fermeture de cette représentation en Russie. In fine, « l’examen de la comptabilité du GIE confirme un solde payé de 3 947 697 millions de francs, soit un coût total de 7 496 197 millions de francs », indique la CTC alors qu’aucune « action de promotion » n’a été réalisée.
Destinataires de cette observation de la Chambre, Tearii Alpha et Jean-Christophe Bouissou, ministre du Tourisme à l’époque, « n’ont pas formulé de réponse ».
Le rapport complet de la CTC :