Peut-on d’abord faire un état des lieux des chiffres en Polynésie ?
« Actuellement on a environ 154 personnes que l’on suit en file active*. Tout le monde n’est pas suivi mais ils sont là. Certains refusent notamment de prendre les médicaments. Certains sont un peu perdus de vue mais voilà, en gros nous avons 154 personnes dans notre cohorte de suivi. Et au cours de l’année 2021, mais elle n’est pas encore terminée, nous avons détecté 14 nouveaux cas dont 4 déjà en stade Sida et on a eu deux décès malheureusement cette année. »
Est-ce que ces chiffres restent stables ? Est-ce que la situation sanitaire a un impact sur le Sida en Polynésie ?
« Bien sûr, depuis 2 ans, la covid-19 a impacté très négativement la prise en charge, le dépistage et le suivi de nos patients. Les chiffres, pour l’instant, on ne peut pas dire que l’incidence a augmenté. Ce n’est pas ça qui nous inquiète. Ce qui nous inquiète, ce sont des nouveaux cas qui sont en retard de diagnostic, donc pas pris en charge et donc ça favorise la propagation du virus dans la population. Comment je peux savoir ça ? Parce que les chiffres partiels que nous avons sur les infections sexuellement transmises montrent une incidence assez élevée. C’est un peu compréhensible : quand les gens sont un peu confinés, quand il n’y a pas grand-chose à faire, il y a un relâchement. Mais ce n’est pas propre à la Polynésie. Ce genre de données, on les a observées ailleurs aussi dans le monde. »
Où en est-on sur les traitements contre le Sida aujourd’hui ?
« Le traitement du Sida devient de plus en plus simple, de mieux en mieux toléré et on a des médicaments qui sont assez révolutionnaires. On est en train d’essayer de faire venir pour nos patients des injectables qui consistent à faire une injection une fois tous les deux mois et le reste du temps les gens ne prennent plus de traitement. Bien sûr ce traitement n’est pas valable pour tous les patients parce que ça dépend des profils de résistance. Mais c’est un grand pas en avant. Même pour un traitement standard qui existe sur le territoire. Actuellement ça consiste à avaler un comprimé par jour. C’est une trithérapie et si les gens sont bien suivis, on arrive à contrôler le virus, garder une bonne santé et rattraper un petit peu leur espérance de vie. Ça c’est un progrès énorme. »
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Il n’y a toujours pas de vaccin contre le Sida. Même après des années de recherches. Comment se fait-il qu’un vaccin contre la covid ait été trouvé en aussi peu de temps alors qu’il n’y a toujours pas de vaccin contre le Sida ? C’est une question que beaucoup de gens se posent.
« Oui et c’est normal. Mais il faut comprendre que les virus ne sont pas tous les mêmes. Certains virus comme la covid-19 sont assez faciles à fabriquer parce qu’ils ont peu de variations antigéniques. Alors que le virus du Sida, il doit muter, je ne sais pas, je dis un chiffre pour vous donner un ordre d’idée, au moins 1 000 ou 10 000 fois plus que la covid-19. Il change tout le temps de visage. Un peu comme si vous recherchiez un assassin qui change tout le temps de visage. Il est impossible de le reconnaître. Et donc on a beaucoup d’espoirs dans les nouvelles technologies et ARN messager pour essayer de fabriquer un vaccin contre le VIH Sida. Mais les défis restent quand même énormes. Et j’ai récemment discuté avec le professeur Saliou qui était venu pour faire une conférence sur la vaccination. Ce n’est pas gagné d’avance. Ça fait 40 ans que nous cherchons un vaccin contre le VIH. On n’y arrive pas. Tandis que la covid, c’est beaucoup plus simple à trouver. »
*Nombre de personnes accompagnées au moins une fois dans l’année pour une consultation ou toute autre prise en charge, NDLR