Reporters sans frontières s’inquiète pour la liberté de la presse au fenua

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Publié le 18/03/2015 à 8:35 - Mise à jour le 18/03/2015 à 8:35

Dans une lettre ouverte adressée au président de la Polynésie Edouard Fritch, Reporters sans frontières (RSF), fait part de ses inquiétudes concernant la liberté de la presse au fenua. L’ONG se préoccupe en particulier des supposées « difficultés que rencontrent les journalistes dans leur travail » et des « pressions financières auxquelles font face les journaux ». A ce sujet, Reporters sans frontières cite l’exemple de La Dépêche de Tahiti. Le quotidien a réagi dans une brève signée de la main du rédacteur en chef et parle d' »un procès tout à fait injuste qui est fait à notre journal qui n’est soumis à aucune censure, ni autocensure ». « Précisément, en ces temps de lutte politique fratricide au Tahoera’a, nous sommes soumis à la pression des deux camps et nous faisons notre métier avec rigueur et déontologie », ajoute-t-il. 

Reporters sans frontières déplore par ailleurs la fermeture du quotidien Les Nouvelles de Tahiti en mai 2014. « Ce quotidien, qui se distinguait par ses propos tranchés, y compris à l’égard de son nouveau propriétaire, était une pierre angulaire de la presse libre polynésienne. (…) Sa fermeture pour “raisons économiques” fait peser le spectre d’un malaise démocratique profond, où la pensée libre et la parole contradictoire sont mises à mal au profit de la concentration du pouvoir économique et politique », écrit l’ONG.

Dans une seconde partie, Reporters sans frontières revient sur le discours du président lors des voeux à la presse  le 21 janvier dernier. « Nous tenons à vous rappeler que, pour que la démocratie fonctionne, il est essentiel que la presse puisse agir indépendamment de toute pression politique. Cela implique aussi que tous les journalistes puissent publier librement des informations d’intérêt public, même si ces dernières sont liées à des “agitations politico-médiatiques”, à des “polémiques” ou si elles ont des “effets négatifs sur l’économie ou le tourisme” », souligne l’ONG. 

Reporters sans frontières appelle le président à discuter avec les journalistes du club de la presse nouvellement créé « pour mieux comprendre les démarches qu’il est nécessaire d’entreprendre afin d’améliorer la liberté de la presse en Polynésie française ».
L’ONG espère enfin que le président du Pays saura « assurer aux journalistes polynésiens des conditions de travail favorables à l’expression libre et indépendante, au-delà de toutes interférences du milieu économique et politique. »

La lettre 
 

Monsieur le Président,

Reporters sans frontières (RSF), organisation internationale de défense de la liberté de l’information, souhaite vous faire part de ses inquiétudes concernant la situation de la liberté de la presse en Polynésie française. Depuis 2013, les pressions financières auxquelles font face les journaux et les difficultés que rencontrent les journalistes dans leur travail se sont accentuées. Nous espérons donc que vous saurez apporter dans un futur proche des solutions concrètes à un contexte de travail difficile pour les journalistes.
Nous convenons que le manque d’indépendance des médias vis-à-vis des pouvoirs économiques, politiques et religieux est un problème fréquent sur les petits territoires, plus exposés aux problèmes de concentration de la propriété des médias et aux conflits d’intérêt. Pourtant, le Luxembourg, le Liechtenstein ou l’Andorre, se classent respectivement 19ème, 27ème et 32ème au Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières en 2015. Ces petits territoires sont devant la France, qui arrive en 38ème position.
Les pressions économiques des actionnaires sur les journaux impactent indéniablement leur contenu éditorial, comme cela peut être le cas pour La Dépêche de Tahiti. L’autocensure que s’imposent certains journaux est aussi une conséquence directe des contraintes exercées par leurs propriétaires. Pour pallier ce phénomène, RSF vous demande de tout faire pour maintenir un journalisme libre et indépendant en Polynésie française. En tant que président de la Polynésie française, il est de votre responsabilité de montrer l’exemple en matière de respect de la liberté de l’information et de faire votre possible pour encourager et développer le pluralisme. Un premier pas vers cet objectif passerait par l’octroi des subventions de la puissance publique indépendamment du positionnement éditorial des médias.
La fermeture des Nouvelles de Tahiti a tristement marqué l’année 2014. Ce quotidien, qui se distinguait par ses propos tranchés, y compris à l’égard de son nouveau propriétaire, était une pierre angulaire de la presse libre polynésienne. Il avait participé activement, au cours de ses 57 ans d’existence, à la persistance d’une couverture médiatique pluraliste en Polynésie française. Sa fermeture pour “raisons économiques” fait peser le spectre d’un malaise démocratique profond, où la pensée libre et la parole contradictoire sont mises à mal au profit de la concentration du pouvoir économique et politique.
 

Journalisme et politique

 
Nous mentionnions plus haut que les petits territoires étaient plus sujets aux conflits d’intérêt et aux problèmes de concentration. En Polynésie française, les médias sont moins nombreux et les journalistes plus sédentaires qu’en métropole ; un phénomène que l’on retrouve dans le paysage politique. Dans un tel système, les vertus des individus sont parfois plus importantes que celles du système. Dès lors, en tant que responsable politique de premier plan, vous avez une responsabilité tout particulière.
RSF souhaite attirer votre attention sur des propos que vous avez tenus à l’occasion de vos voeux à la presse du 21 janvier 2015. Vous avez affirmé au cours de ce discours : “Il faut se garder, à mon sens, de donner trop d’ampleur à des agitations politico-médiatiques qui viennent saper la nécessaire confiance que doivent avoir les Polynésiens, les chefs d’entreprises, les investisseurs, dans l’avenir de notre pays”, en ajoutant “je pense aussi que la parole doit être plus rare pour ne pas entretenir de polémiques inutiles qui n’intéressent pas nos compatriotes”.
Nous tenons à vous rappeler que, pour que la démocratie fonctionne, il est essentiel que la presse puisse agir indépendamment de toute pression politique. Cela implique aussi que tous les journalistes puissent publier librement des informations d’intérêt public, même si ces dernières sont liées à des “agitations politico-médiatiques”, à des “polémiques” ou si elles ont des “effets négatifs sur l’économie ou le tourisme”.
Nous avons aussi été étonnés de vous voir employer les termes de “respect” et de “loyauté” pour définir vos relations avec la presse. C’est le principe même d’indépendance que vous remettez en question. Il nous paraît important de souligner qu’aucune relation de loyauté ne doit obstruer le journalisme d’investigation. Plus généralement, aucun journaliste, quelque soit son média et son domaine d’expertise, ne se doit d’être loyal vis-à-vis de votre administration.
Nous vous demandons en conséquence de reconsidérer vos propos et, à l’avenir, de prendre en considération l’impact négatif pour la liberté de l’information de ce que vous avez déclaré lors de vos voeux à la presse.
Nous vous appelons également à discuter avec les journalistes du club de la presse nouvellement créé à Tahiti, pour mieux comprendre les démarches qu’il est nécessaire d’entreprendre afin d’améliorer la liberté de la presse en Polynésie française.
Nous espérons que vous saurez assurer aux journalistes polynésiens des conditions de travail favorables à l’expression libre et indépendante, au-delà de toutes interférences du milieu économique et politique. 
 
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments distingués.


Antoine Héry
Responsable du bureau Union européenne et Balkans
Reporters sans frontières

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