Professeur Tristan Pascart : « Les Polynésiens ont une grosse prédisposition génétique pour la goutte »

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Selon une vaste étude conduite par le professeur Tristan Pascart, rhumatologue, les Polynésiens sont génétiquement prédisposés à développer la goutte, une maladie douloureuse et invalidante, longtemps associée à une mauvaise hygiène alimentaire. La population serait en outre porteuse d’un gène qui « rend le système immunitaire très réactif » aux petits cristaux qui se logent dans les articulations. Cette mutation génétique aurait été un atout à l’époque du peuplement du Triangle polynésien mais, au fil des siècles, elle s’est muée en « une maladie de stockage », selon le médecin. Interview.

Publié le 22/04/2023 à 11:32 - Mise à jour le 22/04/2023 à 11:36

Selon une vaste étude conduite par le professeur Tristan Pascart, rhumatologue, les Polynésiens sont génétiquement prédisposés à développer la goutte, une maladie douloureuse et invalidante, longtemps associée à une mauvaise hygiène alimentaire. La population serait en outre porteuse d’un gène qui « rend le système immunitaire très réactif » aux petits cristaux qui se logent dans les articulations. Cette mutation génétique aurait été un atout à l’époque du peuplement du Triangle polynésien mais, au fil des siècles, elle s’est muée en « une maladie de stockage », selon le médecin. Interview.

TNTV :  Vous avez lancé une veste étude en 2021 sur cette maladie qu’est la goutte. Pourquoi avoir voulu réaliser cette enquête ?

Tristan Pascart : « Cela remonte à une dizaine d’années. J’étais à l’époque interne en médecine au CHPF. Avec le chef de service de la Médecine Interne et Polyvalente, le docteur Erwan Oehler, nous avons constaté que quasiment chaque patient qui était hospitalisé, quelle que soit la raison, était touché par la goutte. On s’est aussi rendu compte que c’était une problématique qui était rencontrée par tous les médecins locaux. Donc, on s’est dit qu’il fallait monter une vraie étude qui évalue l’ampleur du problème en Polynésie. »

TNTV : Selon votre étude, 26% des adultes polynésiens sont touchés par la maladie et 60% ont un taux d’acide urique élevé. C’est un record mondial. A quoi est due la maladie et pourquoi obtient-on ce triste record ?

Tristan Pascart : « C’est vrai que c’est un record, malheureusement. En France, on est à un peu moins de 1% de la population adulte qui est touché par la goutte et à peu près 10% de la population adulte qui est touché par le fait d’avoir trop d’acide urique dans le sang. La goutte est une maladie qui provient du fait d’avoir trop d’acide urique dans le sang qui va finir par saturer le sang. Et en saturant le sang, l’acide urique va devenir des petits cristaux qui vont se déposer un peu partout dans les articulations et vont ensuite déclencher une forte inflammation en réaction à leur présence. C’est ça la crise de goutte. On sait, grâce à cette étude, qu’il y a une grosse prédisposition génétique pour la maladie, ce que l’on suspectait fortement pour expliquer de tels chiffres. A la fois des mutations génétiques qui sont extrêmement fréquentes au fenua, avec des gènes qui retiennent l’acide urique dans le corps au lieu de l’éliminer dans les reins, et, d’autre part, on a certainement découvert un nouveau gène, grâce à cette étude, qui permet, en plus, de mieux comprendre la maladie et qui a l’air très répandu en Polynésie. Un gène qui, en plus, rend le système immunitaire très réactif à ces petits cristaux. Donc, les Polynésiens sont beaucoup plus réactifs dans leurs crises de goutte à la présence des cristaux quand ils se sont formés. »

TNTV : C’est ce qui cause ces douleurs ?

Tristan Pascart : « C’est ça. C’est le déclenchement de l’inflammation en réaction à ces petits cristaux qui sont déposés partout et l’on a ensuite ces fortes crises de goutte qui sont horriblement douloureuses comme le décrivent tous les patients ».

TNTV : La maladie est donc davantage liée à une prédisposition génétique des Polynésiens plutôt qu’au mode de vie et aux habitudes alimentaires ?

Tristan Pascart : : « C’est bien cela et c’est particulièrement important parce que la goutte, en général, et pas qu’en Polynésie, a toujours été une maladie réputée comme essentiellement liée à l’alimentation, à la malbouffe et à la consommation d’alcool et de sodas. On se rend compte, finalement, déjà au niveau mondial, mais aussi en Polynésie, que la participation de l’alimentation est assez mineure pour expliquer la présence de la goutte et que c’est surtout la génétique qui l’explique ».

TNTV : Qu’est-ce qui a conduit à ce que les Polynésiens soient prédisposés génétiquement à cette maladie ?

Tristan Pascart : « Les populations du Triangle Polynésien ont une histoire particulière. Peut être qu’à une époque, c’était un avantage d’avoir cette mutation génétique. Ceux qui ont survécu sont ceux qui étaient capables de stocker de l’acide urique. L’acide urique est aussi une réserve d’énergie. Mais avec l’évolution de la civilisation, de la culture et de l’alimentation, c’est devenu un désavantage au fil du temps. Ce qui permettait de survivre lors des longues traversées devient une maladie de stockage à la fin ».

TNTV : Les hommes sont-ils davantage touchés que les femmes ?

Tristan Pascart : « De manière générale, dans la goutte, on estime qu’il y a huit hommes qui sont malades pour une femme. En Polynésie, chez les hommes, on considère qu’il y en a 39% qui sont atteints, donc plus d’un homme sur trois, et 14% des femmes, donc une femme sur sept à peu près. Le rapport entre les hommes et les femmes est tout de même plus réduit en Polynésie. Les femmes sont largement surreprésentées par rapport à ce à quoi on se serait attendus ailleurs dans le monde. C’est la génétique qui explique ça. Cette génétique qui prédispose à la maladie touche aussi les femmes qui, d’habitude, sont touchées de manière exceptionnelle, et a fortiori, jeunes. Normalement, la goutte est plutôt, dans le monde, une maladie qui est développée après 50 ans. On voit malheureusement en Polynésie qu’une bonne partie des patients développent la maladie avant l’âge de 30 ans et aussi un acide urique, qui est le facteur prédisposant, qui est déjà très élevé alors qu’ils sont au début de leur vie ».

TNTV : Y a-t-il tout de même des habitudes alimentaires à prendre ?

Tristan Pascart : « Le fait d’améliorer son alimentation en général va forcément avoir un effet positif sur la santé. Et être en meilleure santé va avoir un effet positif sur la goutte. Mais pour régler la goutte à proprement parler, essayer de perdre du poids, manger moins gras, éviter les viandes rouges et la charcuterie, et surtout, au niveau de la boisson, éviter les alcools, forts d’une part, et la bière d’autre part, et les sodas également, ne fera jamais de mal. Mais cela aura finalement un impact assez mineur sur l’amélioration de la goutte elle-même. Mais cela aura un effet sur la maladie en général. Et cette maladie n’évolue pas seule. On voit dans l’étude qu’elle est très largement associée au diabète. Il y a un homme qui a la goutte sur cinq qui a du diabète également. C’est deux fois plus que les hommes qui n’ont pas la goutte. Et chez les femmes, c’est encore pire : c’est une ‘goutteuse’ sur deux qui a du diabète. On sait que tout ça est lié. Donc l’alimentation, oui, elle ne mérite que d’être améliorée, en sachant que ce n’est pas le seul point déterminant de l’histoire ».

TNTV : Existe-il des médicaments pour aider les malades ?

Tristan Pascart : « Il y a heureusement des médicaments qui existent depuis très longtemps. Il y en a qui ont pour vocation de traiter la crise, empêcher que l’inflammation ne dure trop longtemps et que l’expérience soit trop horrible. Mais, surtout, il y a un médicament qui a pour vocation de réduire l’acide urique au long terme. C’est-à-dire qu’on va inverser le processus chimique qui a conduit à la production de ces petits cristaux. Il s’appelle l’Allopurinol. Il faut que toutes les personnes qui ont la goutte le prennent et à la bonne dose. On le voit dans l’étude : il est pris presque dans un cas sur deux mais, souvent, il est insuffisamment dosé et l’acide urique reste trop haut dans la prise de sang. Le but c’est de prendre ce médicament et réduire l’acide urique. Cela va empêcher que des petits cristaux se reforment et, surtout, qu’il y ait une dissolution complète de tous les cristaux. La goutte, on a la chance que ce soit le rhumatisme presque le plus facile à traiter dès lors que ces règles sont suivies, que le traitement est bien prescrit et bien pris, cela devient ensuite de l’histoire ancienne. Il n’y a plus qu’à, entre guillemets, garder le médicament à vie pour empêcher que cela recommence comme initialement ».

TNTV : Actuellement, faites-vous des études plus poussées sur le gène dont vous parliez ?

Tristan Pascart : « Effectivement. On regarde la génétique sur l’ensemble de cette étude. On découvre notamment ce gène qui, probablement, explique l’inflammation dans la goutte. On espère que cela conduira au développement d’un médicament pour bloquer ce que fait ce gène et empêcher cette inflammation un peu explosive et, ainsi, de traiter les ‘goutteux’ de Polynésie mais aussi du monde entier ».  

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