« Quand j’avais 9 mois, mes parents, mon frère et moi, avons quitté la Nouvelle-Calédonie pour aller vivre aux États-Unis » raconte Vaitea, qui va grandir sur la côte est américaine, dans le Maryland. Une enfance ponctuée de séjours en Nouvelle-Calédonie, mais aussi en Polynésie, notamment à Raiatea où se trouve une partie de sa famille maternelle. « Quand je pense à ma famille, je pense à Papeete, Raiatea, Nouméa… Ma mère a 7 frères et sœurs, donc j’ai beaucoup de cousins, c’est super ! (…) À chaque fois que je venais en vacances, c’était un émerveillement, et vu que je n’ai pas grandi en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti, c’était vraiment la découverte de la beauté de la nature. J’y ai fait pour la première fois du snorkeling. Je suis devenue passionnée de plongée sous-marine ».
Durant toute sa scolarité, Vaitea nourrit un intérêt pour les énergies vertes et l’environnement : « J’étais dans un club où on comptait les carbones, on comptait le nombre de voitures qui venaient sur le campus afin de savoir quelle était notre émission de dioxyde de carbone et on essayait de trouver des solutions pour réduire notre empreinte carbone. (…) Je passais énormément de temps à l’extérieur. (…) Je passais tout mon temps au camping, à faire du kayak, du tennis, du ski… ». Après un bac ES en poche, Vaitea s’envole pour Montréal et part étudier le marketing et le commerce international à l’école John-Molson de l’université Concordia.
Du Canada à la Thaïlande… à l’hydrogène vert
Après quatre ans d’études à Montréal et l’obtention de son bachelor, la jeune femme s’envole à Chiang Mai en Thaïlande avec son petit ami de l’époque : « On s’était dit qu’on voulait habiter quelque part où il faisait chaud, surtout après le Canada. On y mangeait bien, la nature était belle, et les gens étaient sympas. Mais on ne connaissait personne là-bas. On avait aucune opportunité professionnelle non plus, mais on travaillait en ligne (pour un « energy broker », courtier en électricité et gaz naturel, NDLR) donc on pouvait travailler de n’importe quel pays tant qu’on avait internet ». Une belle aventure pour Vaitea, « mais je me suis rendue compte que ça me manquait d’avoir des collègues, un environnement de travail… Et je ne me sentais pas assez investie dans le travail que je faisais. Je n’avais pas l’impression que ce que je faisais avait un impact ».
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Elle découvre alors un projet d’hydrogène solaire qui la fascine : « J’ai lu des articles sur une famille allemande qui ne voulait pas utiliser de carburant fossile et donc ne pas avoir de groupe électrogène, mais qui voulait vivre en autonomie énergétique complète et verte, et cela m’a rappelé le club au collège dont je faisais partie, de quand j’avais fait une levée de fonds au lycée pour sauver les forêts… J’avais déjà cette affinité environnementale, et je connaissais les solutions d’énergie renouvelable solaire et éolienne, mais je ne connaissais pas du tout l’hydrogène. J’étais curieuse de mieux connaître cette technologie et les personnes derrière cette vision. Je suis donc allée les rencontrer comme ils étaient en Thaïlande aussi. J’ai imprimé mon CV, j’ai acheté des gâteaux, et je suis allée chez eux pour me présenter et en savoir plus sur ce qu’ils faisaient ». Sans le savoir, elle rencontre ceux qui vont devenir ses co-fondateurs d’Enapter.
« je voulais faire quelque chose qui avait de la valeur et où je pouvais être moi-même. »
Vaitea Cowan
« Pendant deux ans, c’était un projet philanthropique, on travaillait sur d’autres choses chacun en parallèle pour gagner notre vie. Au début, je les ai beaucoup aidés à se faire connaître, j’ai organisé des événements, des journées portes ouvertes etc. Leur maison est maintenant devenue un projet phare pour l’hydrogène en Asie du sud-est où on démontre que l’hydrogène vert est un fuel alternatif qui peut être généré à partir d’électricité solaire et d’eau, et qu’on n’a pas besoin de dépendre de générateurs. Car en Asie du sud-est, en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti, on utilise des groupes électrogènes pour le stockage énergétique, et on va dépendre d’eux si on n’a pas d’électricité, alors qu’en fait, on n’en a pas besoin » explique Vaitea.
Une énergie du futur, accessible à tous
En novembre 2017, à seulement 23 ans, Vaitea rachète avec deux associés la société allemande qui devient Enapter : « D’avoir été en Nouvelle-Calédonie, à Tahiti… de voir le récif, de passer énormément de temps à l’extérieur, dans la nature, je me suis dit que c’était une manière où je pouvais finalement préserver notre environnement. J’ai vu cette société comme une occasion pour lutter contre le changement climatique. (…) Je voulais cartonner, je voulais faire quelque chose qui avait de la valeur et où je pouvais être moi-même. Je voulais faire quelque chose de grand et qui allait inspirer le plus de personnes possible. Je pense qu’on peut faire tout ce qu’on veut si on travaille et si on y croit. Il faut se donner les moyens. Je me suis laissée guider par mon cœur ».
« Je pense qu’on peut faire tout ce qu’on veut si on travaille et si on y croit. »
Une des grandes forces de l’hydrogène, est qu’il est un vecteur énergétique, et qu’il peut donc être utilisé dans tous les secteurs énergétiques. Mais bien que cette énergie soit propre, elle ne l’est pas encore non plus à 100% : « C’est sur qu’aujourd’hui, pour produire des panneaux solaires, on utilise des carburants fossiles. Pour conduire une voiture électrique, on la recharge avec de l’électricité produite à partir de carburants fossiles. L’hydrogène est un vecteur énergétique déjà développé depuis longtemps et qui est aujourd’hui principalement fait à partir de carburants fossiles. Il faut faire la différence entre l’hydrogène vert fait à partir d’énergies renouvelables avec un électrolyseur par opposition à l’hydrogène fait à partir de carburants fossiles » rappelle Vaitea, qui voit l’hydrogène comme une énergie du futur : « les carburants fossiles, on doit les éliminer. Il faut les remplacer, parce qu’aujourd’hui, 20% de notre consommation d’énergie est sous forme d’électricité, mais les 80% ce sont des carburants ».
Enapter produit des électrolyseurs qui se veulent compacts et standardisés. Ce sont des systèmes qui utilisent l’électricité pour séparer l’eau en hydrogène et en oxygène. La mission de la société -qui a remporté en 2021 le renommé et prestigieux prix environnement Earthshot Prize– , est de réduire les coûts de cette technologie afin que l’hydrogène soit accessible à tout le monde, des particuliers aux grandes sociétés : « le particulier ne va pas forcément savoir comment installer son électrolyseur, alors il va faire appel à une société qui va être un intégrateur, et les intégrateurs sont nos clients. Ils installent les électrolyseurs soit pour les particuliers soit pour des communautés. Par exemple, il y a des villages en Malaisie, une île en Thaïlande et une ville à La Réunion qui sont alimentés avec un système énergétique solaire batterie et hydrogène, via un intégrateur qui fait tout le calcul de la consommateur d’énergie, du nombre d’électrolyseurs nécessaires à installer etc. Les intégrateurs peuvent également intervenir dans le domaine de la mobilité, des transports : leur rôle sera d’intégrer l’électrolyseur dans une station de recharge pour faire le plein d’hydrogène pour les voitures, les camions ou encore les avions ».
Et en Polynésie ?
Pour le moment, l’hydrogène n’est pas encore arrivé jusqu’au fenua : « Il faut d’abord réduire le coût de l’hydrogène vert pour l’emmener dans les îles. Il faut que notre prix soit compétitif si on veut remplacer tous les groupes électrogènes » précise Vaitea. Mais la jeune femme espère bien que ce jour arrivera : « C’est carrément dans mes projets ! Mon ambition personnelle, c’est d’emmener l’hydrogène vert en Polynésie. Mais on a plusieurs contraintes. Je n’ai pas encore trouvé d’intégrateur ou de société prêts à y emmener l’hydrogène, et qui savent installer un électrolyseur. J’ai donc du mal à trouver les bons partenaires qui sont prêts à intégrer l’hydrogène, qui sont motivés et avec un peu d’expérience, et il faut qu’il y ait une demande ou un intérêt politique. Et comme cela fait au moins six ans que je ne suis pas rentrée au fenua, je n’ai pas encore eu l’occasion d’être présente. Je n’attends qu’une chose, c’est de revenir dès que la situation sanitaire le permettra ».
Car avec le réchauffement climatique, pour Vaitea, il est plus qu’urgent aujourd’hui que la Polynésie se penche sérieusement sur l’hydrogène : « Le niveau de la mer va continuer à monter. Et de toute façon, quoi qu’on fasse, même si on passe aux énergies renouvelables, il y aura 2 mètres de plus au niveau des océans. Il faut que la Polynésie se motive pour faire tout ce qu’elle peut ! ».
Celle qui a été en 2020 dans le classement prestigieux du magazines Forbes des « 30 under 30 » qui récompense annuellement 30 jeunes de moins de 30 ans, vit aujourd’hui en Allemagne : « C’est un pays qui veut promouvoir l’hydrogène vert et soutenir cette filière. (…) C’est comme ça que j’ai atterri à Berlin et qu’on a aussi ouvert nos bureaux là-bas, notre 5e bureau. Et c’est là où on va avoir notre siège et nos plus grands bureaux, car on va faire de la production en masse de nos électrolyseurs, 10 000 unités par mois produits dans le nord-ouest de l’Allemagne où l’hydrogène vert sera moins cher que le carburant fossile. (…) Le ‘campus’ ne sera qu’alimenté en énergies renouvelables, donc la productions de nos produits sera 100% aux énergies renouvelables. On n’aura pas d’empreinte carbone dans la production de nos systèmes qui seront alimentés aux énergies renouvelables. On sera sur du 100% propre ».
« On veut, à terme, créer une sorte de modèle qui peut être répliqué pas qu’en Allemagne, mais aussi en Asie, en Afrique, en Amérique… L’idée, c’est qu’une fois qu’on a établi ce modèle et qu’on peut le multiplier, c’est d’en avoir d’autres, car au final, on va avoir besoin de beaucoup d’hydrogène vert » ajoute la co-fondatrice.
« Même si on a tous nos différences, au final, on est tous humains, on a tous des émotions, et c’est ça qui nous unit. »
Et bien que l’ambitieuse Vaitea est aujourd’hui à des milliers de kilomètres du fenua, elle ne l’oublie pas pour autant, et se remémore régulièrement ses souvenirs avant de s’en faire de nouveaux, elle l’espère, d’ici 2022 : « Ce que je retiens de Tahiti, de Raiatea… c’est à quel point les gens sont non seulement chaleureux, mais également authentiques. Il y a cette sorte de magie humaine, cette culture du partage, ce respect de la nature, de notre environnement, des humains. C’est l’honnêteté, la simplicité, la beauté, la chaleur humaine. Quand je vais dans les îles, ce sont mes racines, mais c’est aussi là où on retrouve ce contact humain où on se méfie pas des uns des autres, comme avant que la technologie arrive. Un contact qu’on cherche à préserver. C’est vraiment spécial et unique aux îles, c’est quelque chose que je n’ai jamais retrouvé ailleurs, et que j’apprécie énormément. Et mes valeurs viennent de là. Dans les grandes villes, il y a énormément de distance, on se méfie des gens… Même si on a tous nos différences, au final, on est tous humains, on a tous des émotions, et c’est ça qui nous unit ».