Les violences conjugales explosent à la Presqu’île

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Les coups pleuvent dans les couples à la Presqu’île. L’association Vahine Orama Tahiti iti alerte : depuis le début de cette année elle a procédé à près de 300 interventions pour des violences conjugales. Soit plus d’une par jour. Et le rythme ne décélère pas...

Publié le 26/09/2020 à 18:50 - Mise à jour le 27/09/2020 à 18:46

Les coups pleuvent dans les couples à la Presqu’île. L’association Vahine Orama Tahiti iti alerte : depuis le début de cette année elle a procédé à près de 300 interventions pour des violences conjugales. Soit plus d’une par jour. Et le rythme ne décélère pas...

299 interventions pour venir en aide à des victimes de violences conjugales ont été comptabilisées, à la Presqu’île, depuis le début de l’année. Ce chiffre est en forte hausse. Elles sont déjà 31 à avoir sollicité l’aide de Vahine Orama Tahiti Iti rien que pour le mois de septembre, qui n’est pas encore terminé.

Au local de l’association, mis à disposition dans les locaux de la mairie de Taiarapu Est, nous croisons une jeune femme, sonnée. Elle nous raconte qu’elle a reçu trois coups de la part de son beau-père.

Depuis un an et demi elle vit dans la famille de son compagnon. Sans emploi : elle est dépendante du bon vouloir de son entourage pour pouvoir se nourrir, se soigner, se déplacer ou même téléphoner. Après avoir été frappée par son beau-père, sur fonds d’alcool et de pakalolo : la jeune trentenaire a fait son sac et a trouvé refuge auprès de Marie-Noëlle Epetahui : la présidente de Vahine Orama Tahiti Iti.

 » J’ai reçu trois coups de poings : je n’ai rien vu venir. Le troisième, si. J’ai dit à mon compagnon : Et toi? Tu restes là debout, et tu ne fais rien??? Je suis allée chez les voisins, parce-qu’ils ont la tête sur les épaules, et je leur ai demandé si je pouvais appeler les gendarmes. J’ai déposé plainte« .

Cette victime, qui souhaite rester anonyme, subit des violences depuis des années.

Violences sur fonds d’alcool et de stupéfiants

« J’ai déjà reçu des coups. Ce n’est pas la première fois. D’abord ma mère, ma soeur, puis mon copain et maintenant mon beau-père… C’est surtout le paka et l’alcool le problème. Tous les jours, tous les jours...« .

La trentenaire n’est pas la seule à faire appel à l’association.

Une montée inquiétante des actes de brutalité

« On a limite doublé les requêtes » explique David Faaio, agent administratif. « L’an dernier, sur 12 mois, nous étions à 198. C’est dû probablement au Covid mais pas que. Le confinement a joué. Mais les autres facteurs sont la perte d’emploi, et d’autres problématiques ». Le bénévole, très impliqué, décrit : « On fait beaucoup de prévention. Dans un premier temps, on essaie de les détendre, de les faire rire, et quand on les voit sourire à nouveau, on tente d’établir le dialogue. On n’a pas de formation spécifique, on a tout appris sur le tas, et on leur transmet tout notre amour ».

Plusieurs maillons de la chaîne d’assistance sont défaillants. « Des assistants sociaux, des psys, il y en a : mais quand? C’est pendant la crise que les femmes ont besoin d’aide! Et quand on appelle, le soir, la nuit, les week ends : les agents ont terminé leur service (…) Ce sont les victimes qui quittent le foyer, et qui, en plus, doivent se débrouiller pour ne pas perdre le reste de leurs repères ».

Marie-Noëlle Epetahui et David Faaio sont les derniers recours de nombreuses victimes. Leurs anges-gardiens.

C’est chez elle que la présidente de Vahine Orama Tahiti Iti accueille ses protégées pour lesquelles aucune autre solution n’est trouvée. Elle leur a aménagé trois chambres au sein de son foyer. Par ailleurs, des matelas et peue sont aussi disponibles dans le salon.

« J’aimerais pouvoir vivre comme tout le monde »

« Heureusement qu’elle est là », s’exclame la victime que nous avons croisé à l’association. « Je ne travaille pas. Je n’ai pas de téléphone et je ne peux rien payer. Ce que j’aimerais, c’est gagner mon indépendance, me projeter. Pour y parvenir : c’est un combat. J’aimerais avoir ma petite famille à moi ».

L’écoute et le partage comme thérapie

Marie-Noëlle n’est pas matérialiste : les murs de sa maison sont bruts. Pas de décorations et de mobilier dernier cri. L’évier est à l’extérieur. Tous les revenus de Marie-Noëlle sont destinés à aider les victimes. Elle finance tout ou presque. Elle partage tout, et se débrouille par ses propres moyens.

« Parfois, je reçois des coups de fil au milieu de la nuit. Même des gendarmes ou des urgences. Où vont-ils placer les victimes? Alors je prends ma voiture, et je vais les chercher. Je leur donne la main bénévolement. Toutefois, j’aimerais que l’on m’aide un peu pour les moyens », explique Marie-Noëlle Epetahui. « Ca fait plus de vingt ans que je fais ça. J’ai toujours voulu aider ces personnes. Quand on en arrive à la violence : c’est une perte de contrôle. Plusieurs facteurs interviennent : les mots dérapent, il peut y avoir de la jalousie, de l’incompréhension. J’essaie de dialoguer avec les deux parties : le mari et la femme. Parfois, les auteurs de violences sont les épouses… » , nuance la présidente de Vahine Orama Tahiti iti.

« Il y a des femmes qui retournent chez elles. Une femme qui ne quitte pas son mari, c’est parce-qu’elle espère qu’il va changer. Parfois il faut que l’on fasse de la prévention pendant longtemps pour aboutir à une prise de conscience ».

« La prise de conscience : c’est le début du chemin »

Des structures d’accueil existent dans la zone urbaine, au Nord de Tahiti. Mais ce n’est pas toujours adapté. « Qui les emmène jusque là? » interroge David Faaio. « Et si on les installe en ville, comment font-elles pour continuer à travailler et à scolariser leurs enfants? ». Plusieurs fois, des structures d’accueil adaptées ont été promises à l’association… à ce jour, c’est au point mort : « On demande depuis des années des structures d’hébergement d’urgence. Personne ne répond ».

L’association ne réclame pas d’argent mais des moyens d’action

Au début du mois, Marie-Noëlle et ses protégées ont reçu la visite du commandant de la gendarmerie outre-mer : « Ils étaient 8/9 à se déplacer. Ca arrive si rarement! J’ai été très contente de cette visite. J’ai reçu des armoires et quelques matelas de la gendarmerie. Ils ont compris. Les seuls qui comprennent la situation c’est l’Etat. La gendarmerie. Je suis fatiguée. Même si me sens jeune pour aider ces personnes : je suis fatiguée de me débrouiller toute seule. Vous savez, je ne demande pas d’argent. Ce que je demande ce sont des moyens. « 

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