« Les professionnels de l’immobilier sont harcelés par des familles qui veulent se loger dignement »

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En 2022, les huit études notariales ont reçu près de 75 000 personnes à la recherche d'un toit. Entre le retard de 500 logements par an, des prix inabordables et le casse-tête de l’indivision, le président de la chambre des notaires, Jean-Philippe Pinna attire l’attention sur le quotidien d'un grand nombre de Polynésiens qui "ne peuvent plus ni louer, ni acheter".

Publié le 27/02/2023 à 12:58 - Mise à jour le 27/02/2023 à 16:02

En 2022, les huit études notariales ont reçu près de 75 000 personnes à la recherche d'un toit. Entre le retard de 500 logements par an, des prix inabordables et le casse-tête de l’indivision, le président de la chambre des notaires, Jean-Philippe Pinna attire l’attention sur le quotidien d'un grand nombre de Polynésiens qui "ne peuvent plus ni louer, ni acheter".

Dans son bilan du marché immobilier, la fédération polynésienne des agents immobiliers déplore « un parc immobilier très limité face à une demande qui s’accélère « , faites-vous le même constat ?  
« N’importe quel professionnel de l’immobilier vous dira qu’on est harcelé par des familles qui veulent se loger dignement et à un coût accessible. Les agences immobilières sont harcelées par des gens qui cherchent et qui ne trouvent pas. Elles sont aussi confrontées au fait que les promoteurs cherchent du foncier accessible pour faire du logement, et elles n’en trouvent pas.
En 2022, il y a eu 228 ventes d’appartements neufs, ce qui n’est pas beaucoup. Il faut entre 580 et 750 logements par an pour ne pas prendre de retard. Donc tous les ans on prend un retard de 500 logements par an. Alors ça se vend parce qu’on en produit peu, mais ça se vend à des gens qui ont entre 4 et 10 Smig. Notre vrai problème, ce sont les gens qui ont moins de 4 Smig. »

Ces gens-là représentent quelle part de la population ?
« 80% de la population gagne moins de 4 Smig et 57% du foncier est en indivision. Or, pour produire du logement il faut du foncier, et tant que les familles ne sortent pas de l’indivision elles ne peuvent pas elles-mêmes construire sur leur foncier. Elles sont propriétaires de beaucoup de terrains, mais elles ne peuvent pas aller dessus, parce que ces terrains ne sont pas partagés. Conséquence : elles cherchent ailleurs pour acheter. Et quand on a des revenus de 3 à 4 Smig, acheter un terrain à 40 000 Fcfp le mètre carré, plus le coût de la construction, ce n’est pas possible. »

« Pour produire du logement il faut du foncier, et tant que les familles ne sortent pas de l’indivision elles ne peuvent pas elles-mêmes construire sur leur foncier. »

Est-ce qu’il existe des pistes aujourd’hui pour sortir de l’indivision rapidement ?
« Pour sortir de l’indivision, encore faut-il savoir qui est dans l’indivision et le problème c’est que la généalogie n’est pas fiable. L’accès à l’information, à l’état civil et à la certification n’est pas fiable. La solution c’est d’arriver à un statut généalogique successoral et non plus familial pour arriver à des validations certifiées des dévolutions successorales en Polynésie.

Depuis les Tomite (titre de propriété issu des procédures de déclaration foncière qui ont été mises en place après l’annexion à la France du “Royaume POMARE” en 1842, NDLR), il s’est passé 3 à 7 générations de successions qui n’ont pas été réglées. Une personne décédée en 1920 qui n’a pas eu d’acte de notoriété, on ne sait pas réellement qui sont ses descendants. Il faut donc aller dans tous les fichiers d’actes de naissance et de mariage pour savoir qui sont les descendants de qui. La DAF (direction des Affaires foncières, NDLR) a mis en place un fichier généalogique mais qui peut être parfois incomplet ou erroné.

« La question, c’est comment peut-on certifier les descendants des personnes de façon claire et nette ? De façon irrévocable ? »

Donc la question, c’est comment peut-on certifier les descendants des personnes de façon claire et nette ? De façon irrévocable ? C’est très compliqué de régler une succession de quelqu’un qui est mort en 1912 et qui va se retrouver avec 300 descendants, six souches et quinze branches.
En gros quand on a un bien qui vaut 10 millions qui appartient à la personne qui a déposé le titre de propriété du terrain en 1890, pour arriver à titrer les 300 personnes, ça va coûter 25 millions de frais d’acte. Notoriété, attestation de propriété, partage, etc. Ça coûte extrêmement cher et les familles ne le font pas ».

La défiscalisation de logements intermédiaires pour les primo-acquéreurs a été adoptée avec le budget en décembre dernier. Quel regard portez-vous sur ce dispositif ?
« C’est un dispositif qui a très bien fonctionné entre 2008 et 2013. Dans les agréments de défisc’ pour des « logements aidés ou subventionnés », on pouvait avoir des appartements de type F4 à 18 millions, ou des F6 à 26 millions. Je me rappelle d’un programme de 125 logements dans Papeete qui s’était vendu en quelques semaines et on avait des centaines de familles en liste d’attente. Les conditions étaient très simples, on disait aux gens : on vous fait une faveur mais vous achetez moitié prix votre logement, mais vous devez y habiter à titre principal, on vous interdit de spéculer, de louer, ou de mettre en AirBnB pendant 10 ans. L’effort du Pays était étudié pour que le foyer soit logé dignement et la cellule familiale stabilisée. Passés 10 ans, ils reprennent leur liberté, ils pouvaient vendre ou louer aux prix du marché. Ce qui permettait d’avoir un ascenseur très favorable aux familles. Le plus intéressant c’est que ces programmes défiscalisés interviennent sur des logements de standing, sauf que l’aide du Pays permet une baisse de prix mathématiques. Ce qui permet d’avoir du logement salubre de bonne qualité mais à un prix fortement décoté. »

« Systématiquement les gens nous demandent comment on fait pour être propriétaire en Polynésie ? Comment on fait pour partager et construire chez nous ?« 

C’est donc une bonne nouvelle pour les familles en recherche de logement.
« On comprend qu’il y a eu une vraie sensibilisation du côté du Pays. On a d’ailleurs été beaucoup consultés sur ce dispositif et on comprend que c’est une fusée à plusieurs étages, que c’est une première réponse.
Mais c’est encore insuffisant rapporté à la demande qui est énorme. Les notaires ont reçu l’année dernière environ 75 000 personnes dans les huit études. Et systématiquement les gens nous demandent comment on fait pour être propriétaire en Polynésie ? Comment on fait pour partager et construire chez nous ? C’est un sujet vraiment central du quotidien des familles polynésiennes. »

Les agences immobilières pointent également du doigt les conséquences de la loi des 1000%. À quel point a-t-elle engendré une perte de confiance ?
« Vu de l’intérieur, il y a eu une réaction épidermique. Les gens se sont demandé pourquoi une réaction aussi dure, aussi péremptoire sur des cas qui sont absolument symboliques -50 ventes sur 1 900 ça fait 2% des transactions-, sinon les gens qui ont moins de 10 ans (de résidence, NDLR) sont aussi des gens qui s’insèrent totalement dans le tissu local et de façon productive pour le foncier et l’activité économique.
Ensuite de l’extérieur, du côté de la sphère économique, on se dit que si on interdit à l’extérieur d’investir ou de venir en Polynésie, on favorise en gros les monopoles. On favorise certaines personnes qui ont les moyens d’acheter, puisque si on interdit aux autres de créer de la concurrence on se retrouve avec un système en autarcie, où seuls ceux qui ont de l’argent peuvent investir en Polynésie. En bref, ça a créé une instabilité et une défiance de tous les côtés. »

« Pour éviter la spéculation (…) il faut peut-être aussi encadrer la fiscalité pour les biens mis en location à des prix exorbitants. »

Comment cette loi a-t-elle été perçue par les Polynésiens ?
« Elle a été extrêmement mal perçue par les Polynésiens en premier parce qu’ils ont eu l’impression qu’on arrivait dans une insécurité juridique et fiscale du jour au lendemain et que quelque part on leur interdisait en gros de faire ce qu’ils voulaient avec leur terrain.
On n’a pas compris d’où ça venait et ça ne correspond à aucune réalité. Les personnes de moins de 10 ans représentent 30 à 50 ventes par an sur 1 900 ventes, donc ça ne touchait personne. Le problème n’est pas là, ce que veulent les Polynésiens c’est se réapproprier leur terre, construire sur leur propre terrain et être chez eux. S’il y a bien un endroit où les gens sont chez eux, c’est en Polynésie, grâce aussi quelque part à l’indivision qui a permis de geler le foncier. Mais le gros inconvénient, c’est que les terrains sont tellement gelés qu’eux-mêmes n’y ont plus accès, et c’est finalement la prime à certains membres de la famille de s’installer de façon un peu sauvage sur certain terrain et d’évincer les autres. Ce qui créé bien sûr beaucoup de colère et beaucoup de ressentiment. »

Comment faire alors pour protéger le foncier ?
« On peut prendre l’exemple Corse, mettre des zones de droit de préemption renforcées, modifier les règles de l’urbanisme pour empêcher la constructibilité de certain foncier ou créer des zones naturelles. Pour éviter la spéculation, en vente et en location, il faut encadrer fortement le AirBnb, ce qui a d’ailleurs commencé, mais il faut peut-être aussi encadrer la fiscalité pour les biens mis en location à des prix exorbitants ». 

La location saisonnière ne devait-elle pas venir en renfort des hôtels ?
« Comme on avait un manque d’hôtels, on a effectivement fortement incité à faire de la location saisonnière type Airbnb. Ce qui a contribué à tirer les prix vers le haut et aujourd’hui, les Polynésiens se retrouvent avec des loyers inabordables. Ils sont dans une situation où ils ne peuvent plus louer et ils ne peuvent pas non plus acheter. Donc forcément c’est explosif. »

À quoi faut-il s’attendre en 2023 ?
« Pour la centaine de logements intermédiaires qui vont sortir, ils seront moins chers, mais pour le reste à mon avis on va continuer sur une gamme de prix haute, inabordable pour le commun des mortels. Il y a eu une baisse des transactions en 2022, parce qu’on a un vrai problème : les taux d’intérêt augmentent, mais les prix aussi. Donc forcément, on a de moins en moins de personnes accessibles à l’achat. Ce qui est sûr c’est qu’il y a moins de transactions, les prix ont augmenté et le Pays a touché beaucoup plus de taxes et d’enregistrements. »

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