Jean-Michel Monot : « il faut revoir la répartition des aides »

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Publié le 05/03/2015 à 9:00 - Mise à jour le 05/03/2015 à 9:00

Le gouvernement l’a répété à maintes reprises : il faut être unis, « État, Pays, communes » et entreprises, pour faire avancer le Pays. À votre avis, comment une entreprise locale comme les Jus de Fruits de Moorea pourrait contribuer au redressement du Pays ?
« Nous avons œuvré (Jus de Fruits de Moorea et Manutea) depuis plus de 10 ans à travailler sur la qualité qu’elle soit organisationnelle (ISO 9001), sécuritaire (22000), produit (laboratoire interne) ou bien environnementale (études énergétiques et bilan carbone). Malgré quelques soutiens dans le domaine des énergies, globalement, nous avons été peu soutenus. Néanmoins, nous continuons à penser que la stratégie de notre entreprise agroalimentaire doit maintenir son cap en matière de qualité et d’innovation, en espérant que l’image dégagée engendrera des prises de parts de marché et surtout la reconnaissance à l’extérieur pour entrer sur des marchés exports. Mais pour cela, encore faut-il avoir une source d’approvisionnement local suffisamment fiable et régulière… Ce qui n’est pas le cas malheureusement. »

Quelles idées aimeriez-vous soumettre au gouvernement ?
« Dans le domaine de l’agroalimentaire et plus particulièrement des ressources locales en matières premières « fruits », inciter le S.D.R. (Service de Développement Rural) a mieux contrôler les différentes filières en anticipant les besoins sur les 10 prochaines années et d’influer ainsi sur les planteurs et sur l’organisation à mettre en place.
D’autre part, il y a un potentiel agricole dans les îles autres que Tahiti ; mais quel industriel va investir là bas au vu des contraintes budgétaires existantes : fret, coûts de construction, d’aménagement, faibles avantages fiscaux… Il faut revoir la répartition des aides octroyées pour qu’elles soient véritablement efficaces et pourvoyeuses d’emplois nouveaux. La création de filières complètes, c’est-à-dire de la matière première jusqu’aux produits transformés, peut générer des embauches. »

Le climat économique actuel permet-il à une entreprise comme la votre de créer des emplois ?
« Non, pas encore. Les résultats sont encore très faibles, non sécurisés, et les perspectives de développement mises en avant par les politiques n’offrent pas encore de résultats concrets ou même d’espérance affirmée. »

En quoi le gouvernement pourrait-il aider une entreprise comme celle que vous dirigez à se développer ?
« Le gouvernement gère l’argent public ; il y a sans doute des modifications à apporter dans la répartition de certains investissements ou d’aides. Il ne faut pas freiner les locomotives qui ont réussi dans notre pays car elles génèrent des résultats et donc de l’emploi ; il faut au contraire les inciter à avancer en faisant en sorte que d’autres entreprises se développent en parallèle.
D’autre part, dans le domaine de l’industrie, la petitesse de notre marché (270 000 habitants) pèse sur les coûts de production ; l’exportation permettrait d’augmenter les volumes et donc de diminuer les charges fixes de l’entreprise ; un soutien à l’export serait donc le bienvenu car les frais d’implantation, surtout en terme de marketing, sont énormes pour des moyennes structures comme les nôtres. »

Avec la crise et le manque d’emplois, de plus en plus de personnes décident de créer leur propre entreprise. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une solution ?
« L’emploi est effectivement le sujet le plus important en ces périodes de crise. Notre pays importe environ 93% de ce qu’il consomme. Cela signifie que seulement 7% sont produits ici. Quand on sait que le secteur industriel valorise l’emploi (2 à 5 fois plus d’emplois qu’un produit importé), les politiques devraient inciter les importateurs ou investisseurs à s’orienter vers des transformations locales. De plus, l’avantage du secteur industriel est qu’il génère des emplois techniques poussés, valorisant pour le salarié ; et en général, la multitude d’emplois dans ce domaine permet une évolution de carrière non négligeable.
La problématique reste de savoir dans quel secteur de l’industrie on peut investir… Il est nécessaire de clarifier cela et de mettre les incitations suffisantes dans les bonnes filières. De plus, une fiscalité proportionnelle aux nombres de salariés (ratio par rapport à la masse salariale ou au nombre d’employés) serait incitative pour embaucher (pas suffisante actuellement).
Pour répondre à votre question, je pense qu’il est bon également qu’il y ait une augmentation de création d’entreprise ; il n’y a pas de « petits boulots », et il y a justement de la place pour de nouveaux métiers (prendre exemple sur les Etats Unis ou l’Asie du Sud-Est). »

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes entrepreneurs ?
« Conseil ? Innover et ne pas chercher à copier. Il y a tant de choses à imaginer pour satisfaire les clients, qu’ils soient locaux ou visiteurs. Si on décide que le Tourisme devienne la première industrie du Pays, il va falloir innover dans ce domaine et surtout monter le niveau de compétence afin de séduire le visiteur ; pour cela, nos jeunes entrepreneurs doivent envisager des soutiens auprès des sociétés existantes et maintenir un niveau de formation suffisant.
Ensuite, jouer fortement la carte « développement durable » ou « écologie » ; éloignées du reste du monde, nos îles gardent cette image pure et propre. A nous de le mettre en avant en prenant les bons axes de développement. Ensuite, avec de l’animation suffisante, le touriste viendra. »

Conseilleriez-vous aux étrangers d’investir en Polynésie ?
« Oui. S’ils respectent notre culture et les choix environnementaux (qui devraient d’ailleurs être clarifiés), en apportant ce qu’il nous manque le plus : des animations et du professionnalisme. »

Quels secteurs méritent selon vous d’être développés au fenua ?
« Je vais me répéter, mais les secteurs touristiques (avec plus de professionnalisme), industriels (éco-industries) et agricoles (cultures raisonnées et bio) et maritimes (pêche, fonds sous-marins et énergie des mers) sont selon moi nos principales forces de développement économiques et d’emplois. Mais pour cela, de nombreux secteurs d’activité vont devoir se remettre en question et évoluer. Les pouvoirs publics auront-ils le courage de prendre ce virage et de revoir leur stratégie d’ensemble ?
Je l’espère, car chez nous à JFM-Manutea l’une de nos valeurs est le « Positivisme » ! »

Propos recueillis par M.K

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