Hiipeva, un sauveur ordinaire

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Publié le 16/05/2017 à 8:18 - Mise à jour le 03/02/2020 à 13:45

Le 22 janvier, Hiipeva dort dans sa chambre, au rez-de-chaussée du lycée Taaone. Il est trois heures du matin quand il se réveille les pieds dans l’eau. Le surveillant doit évacuer ses élèves à l’étage du bâtiment, mais la grille est fermée. Il prend l’initiative de traverser la cour pour récupérer les clés dans un bureau situé à 50m du dortoir.
 
« A trois heures du matin, on n’en était qu’au début ». Après avoir mis tout le monde à l’abri, Hiipeva rassure les élèves. Personne ne peut venir les aider. « J’ai essayé d’appeler les pompiers, la police et le chef mais tout le monde était déjà débordé. C’est à ce moment-là que je me suis dit : personne ne viendra nous chercher » rapporte Hiipeva d’une voix hésitante.
 
Ce n’est qu’après s’être occupé de son groupe que Hiipeva remarque un autre problème. Dans un bâtiment plus loin, il y a deux étudiants de BTS, une fille et un garçon.  « Il fallait aller les chercher ».
 
Dehors, il pleut des cordes. Les torrents d’eau ont fait tomber rochers, détritus et troncs d’arbre de la montagne. A quatre heures du matin, l’eau arrive aux hanches de Hiipeva. « J’ai crié dans la nuit ». Mais le vacarme provoqué par les torrents d’eau et de débris rendent sa voix presque inaudible. « J’ai tapé sur toutes les fenêtres, je ne savais pas où était leur chambre ». Il finit par les trouver.
 
En se réveillant, les étudiants ne remarquent pas de suite qu’ils ont les pieds dans l’eau. La cour du lycée s’est transformée en rivière. En sortant de la chambre, le courant est tellement fort qu’une jeune fille doit s’agripper à Hiipeva. Arrivé au dortoir, il met ses protégés au sec. Impuissant, tout le monde attend.
 
Le surveillant a tout de même le réflexe de poster une vidéo sur Facebook pour rassurer les parents. « C’était pour leur dire « Taaone est sous les eaux, mais vos enfants sont en sécurité. Ne vous inquiétez pas ».
 
« A un moment, ils avaient faim et soif. On ne savait pas combien de temps ça allait durer. » Hiipeva redescend. Cette fois-ci, il se dirige vers le snack de l’école. Un étudiant en BTS décide de le suivre. « Je lui ai dit « Mets-toi derrière moi. Comme ça si un truc arrive, c’est moi qui ramasse. Je n’ai pas envie que tu te casses une jambe ». Après avoir forcé les cadenas avec des chaises, Hiipeva ramasse des packs d’eau et des biscuits pour ses élèves.
 
Vers huit heures,, l’eau est redescendue. Les autres surveillants arrivent au lycée. « Il a fallu réfléchir comment on allait nettoyer toute cette boue ». « On a essayé de s’organiser pour le repas de midi, comment on allait gérer les élèves ». Un service d’internat se met en place.
 
Le soir venu, l’électricité est coupée. Impossible donc de cuisiner. Grâce aux réseaux sociaux, Hiipeva trouve vite une roulotte qui accepte de faire un geste. Un grand élan de solidarité se forme alors. Chacun vient donner un coup de main pour permettre la réouverture du lycée une semaine plus tard. 
 
A la suite des inondations, un groupe de parole est formé pour que les élèves fassent part de leur ressenti. « Cela a été vraiment traumatisant ». « Il fallait que ça sorte ». Si quelques élèves ont préféré en rire, d’autres ont beaucoup pleuré. « Certains restent traumatisés: dès qu’ils entendent la pluie, ils s’inquiètent. Mais nous avons pris de nouvelles dispositions. Maintenant nous sommes à l’étage. »
 
Des élèves ont par la suite remercié Hiipeva. « La jeune fille en BTS m’a dit « Merci Monsieur, tu m’as sauvé la vie ». Mais moi je ne voyais pas ça comme ça. » Hiipeva reprend, les yeux humides. « Ma collègue m’a dit que j’étais fou, que j’aurais pu me ramasser de grosses dalles dans les jambes. Que j’aurais pu tomber à l’eau. Mais qu’est-ce que j’aurais dû faire alors ? ». « C’est après que j’ai pensé à mes enfants. Je me suis dis : mince, et s’il m’était arrivé quelque chose ? ».
 
A ce moment-là, Hiipeva marque une pause dans son récit et regarde dans le vide. Puis il continue d’une voix emplie d’émotions. « Si jamais cela devait se reproduire, je le referais. On en sort plus fort, plus armé. Ma relation avec mes élèves a changé aussi. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi. »
 
C’est son fils qui a insisté pour que son histoire se fasse connaître. Réticent au départ, Hiipeva reste très humble. « Je n’ai pas fait ça pour qu’on me reconnaisse. Les parents nous confient leurs enfants. Nous on essaie juste d’être dignes de leur confiance. Si mes enfants avaient été à leur place, j’aurais aimé que quelqu’un fasse la même chose. »
 

Evaina Teinaore

 

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