Emmanuelle Piirai : d’ingénieure qualité à proviseure, parcours d’une vahine déterminée

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À 16 000 km des siens, Emmanuelle Piirai réalise son rêve : devenir cheffe d'établissement. Le concours pour accéder à l'Institut des Hautes Études de l'Education et de la Formation est réputé difficile, mais elle l'a eu du premier coup. Rencontre avec une Polynésienne déterminée.

Publié le 04/12/2022 à 10:37 - Mise à jour le 04/12/2022 à 15:03

À 16 000 km des siens, Emmanuelle Piirai réalise son rêve : devenir cheffe d'établissement. Le concours pour accéder à l'Institut des Hautes Études de l'Education et de la Formation est réputé difficile, mais elle l'a eu du premier coup. Rencontre avec une Polynésienne déterminée.

Rien ne prédestinait Emmanuelle Piirai à travailler dans l’éducation, et encore moins à diriger un établissement scolaire. Originaire de Faa’a, elle s’est envolée toute jeune pour la métropole où elle a suivi des études dans un tout autre domaine. Un Master en bio ingénierie science et process de l’agroalimentaire et de l’environnement en poche, elle a d’abord exercé en tant qu’ingénieure qualité environnement puis en tant qu’ingénieure de production dans des entreprises en métropole puis au fenua.

« Le monde de l’entreprise, ce n’était pas du tout ce que je recherchais. Me lever chaque matin pour aller faire du chiffre (…) ça ne correspondait pas du tout à mes valeurs. C’est par le biais de rencontres professionnelles que je me suis tournée vers l’éducation », raconte-t-elle. On lui conseille alors de passer le CAPLP (Certificat d’aptitude au professorat en lycée professionnel). Certificat qu’elle obtient haut la main, dès la première tentative.

« J’ai fait mon stage à Tahiti au lycée polyvalent Taiarapu Nui à Taravao. J’ai exercé pendant 11 ans là bas et j’ai adoré ces années ». Emmanuelle se découvre une passion pour le monde de l’éducation. Mais elle n’en reste pas là. À 36 ans, poussée par ses collègues, elle se lance dans le concours pour intégrer l »Institut des Hautes Études de l’Education et de la Formation. Le but : devenir proviseure.

J’étais arrivée au bout. J’avais envie de faire autre chose »

Emmanuelle Piirai

Durant près de 7 mois, elle se prépare, mettant sa vie personnelle entre parenthèses. « Quand j’ai dit à mon compagnon que je voulais passer le concours, il n’était pas content. Je lui ai dit que j’étais arrivée au bout, que j’avais envie de faire autre chose. Il m’a dit ‘chiche, vas y je te soutiens' ».

Et le travail paie. Emmanuelle peine à y croire, mais elle réussit le concours. « C’est quand même un concours très sélectif. Je ne pensais pas l’avoir du premier coup. On était 3400 à l’écrit, pour 600 postes et, comme c’est un concours national, on le passe en même temps que toutes les académies. Pour eux, en France métropolitaine, ils l’ont passé de 9h30 à 13h. Nous, on l’a passé de 20 heures à minuit. Ensuite, l’oral était à Paris. »

Pour se préparer à cette nouvelle épreuve loin du fenua, la future cheffe d’établissement rencontre pas moins de 17 chefs d’établissements et inspecteurs de l’académie de Polynésie. « Tous m’ont dit « vous allez l’avoir ». Et effectivement. Le 28 avril 2022, elle réussit son pari.

En métropole, une fleur à l’oreille, Emmanuelle n’oublie pas son fenua. Crédit : DR

Depuis le 1er septembre, elle est en poste en tant que principale adjointe dans un collège à Mayenne près de Nantes. Emmanuelle espère ensuite revenir rapidement au fenua. « Je suis venue avec mon fils ainé mais mon cadet est resté avec son papa à Tahiti ». Une situation difficile mais un sacrifice qu’elle ne regrette pas.

« Quand j’ai passé le concours de cheffe d’établissement, je me suis dit que j’avais trouvé ma voie dans l’accompagnement d’élèves issus de milieux fragiles. (…) Si j’ai un conseil à donner aux jeunes Polynésiens, c’est de ne pas attendre, de passer le concours et de ne pas craindre de partir, parce que la mobilité est formatrice. Depuis que je suis ici, j’apprends plein de choses qu’on n’a pas en Polynésie. Je découvre des dispositifs et des structures et je pense pouvoir emmagasiner un maximum d’idées avant de rentrer au fenua, et développer des compétences. « 

Emmagasiner un maximum d’idées avant de rentrer au fenua, et développer des compétences.

Emmanuelle Piirai

La future proviseure compte donc bien se servir de ses expériences loin du fenua, même si elle reste consciente que les problématiques sont bien différentes en métropole et dans nos îles… « Chaque académie même en métropole, a ses propres problématiques de terrain. Et nous, nous avons cette complexité géographique qui est en décalage avec la métropole. La Polynésie a quand même une superficie égale à l’Europe. Et entre les îles, il n’y a que de l’eau. Ce n’est pas la même problématique par exemple quand on se dit qu’il faut faire des repas pour une école de Makemo avec un bateau qui passe une fois toutes les trois semaines. Et quand on est dans un très beau collège de Paris où les livraisons sont beaucoup plus faciles. »

La petite vahine avec sa fleur à l’oreille, elle envoie du lourd !

Emmanuelle Piirai

Et si elle devait donner un dernier conseil à ceux qui envisagent de suivre cette voie, c’est d’être polyvalents et de se préparer à tout… « Je pense que la situation de crise la plus dure que j’ai eue à gérer, c’était de sauver une prof. C’était un matin en salle des profs. J’ai vu des profs se rassembler autour d’elle. Elle était en arrêt respiratoire. Et comme je suis formatrice de secourisme, j’ai tout de suite les bons réflexes d’appeler le Samu, vérifier ses constantes et de réaliser un massage cardiaque. Elle est en vie. Mais moi, quand j’étais prof je n’aurai jamais pensé qu’un jour j’aurai à faire ça en tant que chef. Quand on est chef, il faut savoir prendre des décisions vite, et agir. Ensuite il a fallu gérer les profs, les élèves. Il n’y avait pas de CPE, pas d’infirmière; ils étaient en formation. Pas de chef, il était en déplacement ce jour-là. »

Après cet épisode, Emmanuelle reçoit les félicitations de sa hiérarchie pour sa réactivité et sa gestion d’un moment de crise. Un épisode qui l’a confortée dans la voie qu’elle a choisi. « Je me suis dit : la petite vahine avec sa fleur à l’oreille, elle envoie du lourd ! »

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