Les premières études remontent à 2007-2008. 15 ans plus tard, le creusement de la passe ne semble pas prêt d’aboutir. Si le Port autonome visait d’abord un début de chantier en 2020, les travaux ne devraient finalement démarrer qu’en 2027. Et encore. L’opération demande des « financements extrêmement importants qui nécessiteront un nouvel emprunt » alerte le conseil portuaire du port autonome dans sa séance du 5 octobre. Seulement voilà, « pour financer les 3 premières opérations (Terminal de croisière international, rénovation du quai au long court et du quai de cabotage n°6, NDLR), le Port s’est endetté à hauteur de 6 milliards, atteignant ainsi le seuil limite de ses capacités d’endettement » poursuit la note. « Sauf recettes supplémentaires, le Port ne pourra mettre en place un nouvel emprunt qu’un 2026-2027 ».
Au-delà du financement estimé à 1 milliard selon des professionnels du secteur, on évoque aussi un chantier complexe, que seules des sociétés ultra spécialisées et dotées d’équipements rares peuvent mener. Ce qui impliquerait de réserver un créneau quelques années à l’avance.
Pendant ce temps-là, les porte-conteneurs s’annoncent de plus en plus gros. Et la passe, avec ses 12,5 mètres de fond, n’est déjà pas assez profonde pour permettre le passage des navires à pleine charge. « Le risque majeur, c’est que ces cargos ne débarquent plus les containers à Tahiti sachant que cela représente environ 300 containers sur 5 500 » alerte le conseil portuaire. « Ils pourraient un jour décider de débarquer nos containers dans d’autres pays, tels que la Nouvelle-Zélande ou l’Australie ».
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Réduire de 40% les émissions de CO2 pour 2030
Ce n’est pas tout. Déjà sous-exploités à 30%, les cargos seront bientôt soumis à une nouvelle contrainte : la réglementation IMO2023 de l’Organisation maritime internationale (OMI). Celle-ci prévoit de « réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime ». De nouvelles normes qui entreront en vigueur l’année prochaine et de manière progressive jusqu’en 2026, afin d’obliger les compagnies maritimes à accélérer la décarbonation de leur flotte. Objectif : réduire de 40% les émissions de CO2 du transport maritime mondial pour 2030. « Nous ne pouvons pas y déroger. Les navires actuels qui sont des navires récents ne pourront pas circuler sur la ligne Europe à partir du 1er janvier 2026. Ils sont trop petits sur une route trop longue. Leur taux de pollution à la tonne transportée sera trop important » met en garde un transitaire du fenua.
Cette ligne de 52 000 kilomètres qui dessert les Etats-Unis et la Polynésie depuis l’Europe, avant de poursuivre vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande, serait alors fermée dès 2026, avec un impact non négligeable sur l’approvisionnement du pays. Exploitée par CMA-CGM et Marfret, cette route essentielle pour le fenua représente à elle seule 40% de nos importations.
Seule solution pour maintenir un service direct ? Ralentir très fortement les navires pour réduire leur consommation et donc leur pollution. Mais les temps de transit sur les destinations au-delà de Papeete seraient là aussi trop longs, obligeant les compagnies maritimes à rajouter des navires pour maintenir un service à jour. Pas tenable d’un point de vue commercial résument les professionnels du transport maritime.
Autre piste évoquée : doubler la taille des navires et donc la capacité d’emport. Car si un cargo de 4 000 conteneurs consomme 20% de plus que les navires actuels de 2 000 conteneurs, son taux de pollution par tonne transportée entre dans les normes. “Mais ces navires ont un tirant d’eau à 11,50 à 12 mètres” précise un armateur du fenua.
55 jours d’acheminement contre 30 aujourd’hui
Reste enfin la mise en place d’un service de transbordement via la Nouvelle-Zélande. Les conteneurs seraient alors déchargés avant d’être rapatriés vers Tahiti sur des “feeders”, des navires collecteurs de plus petit tonnage. Or, la mise en place d’un tel service viendrait allonger les délais d’acheminements à 52, voire 55 jours contre 30 actuellement. Se pose dès lors la question de la durée limitée des produits frais embarqués. Des nouveaux délais qui obligeraient également les importateurs du fenua à doubler leur fonds de roulement.
Mais la Polynésie développerait une certaine dépendance envers le “hub” du pays au long nuage blanc, ou 70% des volumes importés transiteront. “Si un feeder est mis en place cela voudra aussi certainement dire, l’arrêt des escales des gros navires qui viennent de Nouvelle-Zélande en plus de ceux qui viennent d’Europe. On peut donc s’attendre à la disparition d’un des trois acconiers” prédit un professionnel du milieu.
Des enjeux économiques que le Pays dit avoir bien saisi. Et de rappeler que ces travaux ne sont qu’une question de programmation budgétaire. Soit 50 milliards d’investissement sur 15 ans pour l’ensemble des travaux portuaires. Rentré de Huahine, le ministre de l’Equipement, René Temeharo devrait apporter des précisions dans la journée. La direction du Port autonome en revanche n’a pas souhaité s’exprimer.