Bernard Poirine : « Il faut des « aimants » pour attirer les touristes de loin »

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Publié le 09/02/2015 à 13:08 - Mise à jour le 09/02/2015 à 13:08

Le gouvernement polynésien a mis en place plusieurs grands projets parmi lesquels le Tahiti Mahana beach, le parc aquacole de Hao ou encore le partenariat avec le groupe Hainan pour le golf d’Atimaono. Pensez-vous que de tels projets contribueront réellement au redressement de l’économie polynésienne ?
« Tout ce qui peut amener des capitaux extérieurs à s’investir dans le pays contribue à relancer l’économie.  La relance d’une petite économie insulaire ne peut venir que des investissements étrangers créateurs d’exportations de biens ou de services touristiques (ou bien de transferts publics, mais là il ne faut pas trop espérer).
L’économie est tirée par les ressources extérieures. Voir ce qui s’est passé en Nouvelle Calédonie avec le nickel  (sociétés canadiennes, chinoises, françaises) : longtemps au même niveau de PIB, à partir de 2003 la Nouvelle-Calédonie a connu un boom pendant que la Polynésie connaissait la crise. Maintenant le PIB calédonien dépasse de 40% celui de la Polynésie.
Dans mon livre, Tahiti une économie sous serre (2011), je suggérais un tel projet de grande envergure à Punaauia avec golf, Casino, centre de congrès : il faut des « aimants », des locomotives, pour attirer les touristes de loin. Une fois venus pour le congrès, le casino ou le golf, ils reviendront peut être dans les îles (si les billets ne sont pas trop chers, voir plus bas). C’est comme cela que cela se passe avec Waikiki à Hawaii. »

Selon vous, quels secteurs doivent encore être développés pour permettre la relance ?
« Le tourisme, sans aucun doute. Si on pouvait déjà avoir autant de touristes qu’en 2000, ce serait bien… La crise que l’on ressent c’est la crise des ressources extérieures, dont le tourisme est la plus importante, après les transfert de l’Etat, et avant les  retraités fonctionnaires (frappés par la réforme Jego, ils ne viennent plus dépenser leur pension ici). »

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Selon les derniers chiffres de l’Institut de la statistique en Polynésie française, la perle polynésienne reprend de la valeur. Est-ce un bon signe pour le secteur ?
« Comme toutes les matières premières, les cours de la perle sont très aléatoires, difficile de savoir si c’est une tendance de fond ou pas.  Il faudrait réguler la production comme en Australie, où les producteurs respectent des quotas de greffe, ce qui les incite à améliorer la qualité, plutôt que la quantité. »

Dans une de ces dernières publications, l’Institut d’émission d’outre-mer montre que la Polynésie reste à l’écart de la croissance du tourisme mondial. Dans la région Asie-Pacifique en particulier, le tourisme est en plein essor et Hawaii domine le marché. Que manque-t-il à la Polynésie pour se mettre au niveau des autres destinations du Pacifique ?

« Il y a le goulot des transports aériens, surtout pendant la haute saison, qui est celle où les résidents voyagent, notamment les fonctionnaires : i l y a ceux qui ont le billet payé (voyage administratif, arrivé et départ des expatriés,  personnels des compagnies avec billets GP), et il y a ceux qui paient très cher (dont les touristes) car les compagnies ajustent les tarifs à la hausse dès que les avions se remplissent…de gens qui ne paient pas leur billet. Il faut déplacer les vacances scolaires et universitaires en décembre, comme en Nouvelle-Calédonie, cela ne coûterait rien…. et cela éviterait que les tarifs s’envolent en juillet août à des niveaux stratosphériques, chassant les touristes en plein dans la haute saison.
Il manque une « locomotive » comme Waikiki (ou le MahanaBeach…) .  Les hôtels sont trop dispersés et isolés, les activités insuffisantes : pas de casinos, pas assez de golfs, pas de centre de congrès. Voir les destinations concurrentes comme l’île Maurice, Guam (18 golfs), Hawaii (50 golfs).
Il y a un effet de seuil : il faut dépasser un certains nombre de chambres au même endroit pour que toutes ces activités soient rentables. Une fois que les touristes sont venus une fois pour « la locomotive » (pour un congrès pas exemple), ils reviendront dans les autres îles avec leur famille (si le voyage aérien n’est pas trop cher). »

Dans une interview récente, le P-dg d’Air Tahiti Nui, Michel Monvoisin maintient que les prix des billets d’avion ne freinent pas les touristes. Qu’en pensez-vous ?
« J’en ris, il a le sens de l’humour en tout cas. La Polynésie est la destination la plus chère du monde, au moins en partant d’Europe. Du moins cela ne freine pas le tourisme (à l’étranger) des personnels d’ATN…
Je vois tous les jours sur internet des forfaits d’une semaine tout compris pour l’île Maurice au même prix que le « vol sec » pour la Polynésie en août. Une bonne partie des touristes qui viennent encore de France sont des « affinitaires » qui peuvent se payer le voyage une fois dans leur vie mais rien d’autre, donc qui résident chez leur famille et ne créent pas d’emplois dans le tourisme. »

Comment le Polynésien peut-il, à son niveau, participer à la relance de l’économie du Pays ?
« En investissant et en voyageant ici, s’il en a les moyens…plutôt qu’ailleurs. »

La création d’entreprise est-elle une solution face au manque d’emplois ?
« Jusqu’à un certain point, oui.  Mais il faut d’abord qu’il y ait une demande solvable, donc il faut des locomotives, des grands projets qui développent le tourisme et l’aquaculture, qui créent des emplois, qui injectent des revenus dans l’économie locale, ce qui suscitera la demande pour justifier la création  de PME et TPME : ce sont les wagons derrière la locomotive (ou les poissons pilotes qui mangent les miettes du requin). »

Comment l’Etat français peut-il encore aider la Polynésie à sortir de la crise ?
« En donnant « des sous, des sous », mais il ne faut pas espérer des miracles en ce moment (à moins de devenir un département d’outre-mer pour recevoir les fonds européens).
Peut-être aussi en annulant la loi Jego qui a tari le flux des retraités (touristes permanents), et qui a aussi obligé les jeunes fonctionnaires d’Etat locaux (instituteurs, professeurs, douaniers, policiers) à réduire leur train de vie pour faire face à une baisse forte de leur revenu prévisible au moment de leur retraite (puisque celles-ci ne seront pas majorée).
Enfin l’Etat pourrait susciter l’essor d’une vraie compagnie lowcost, comme à la Réunion. Il n’y a pas de concurrence actuellement, ATN a des coûts trop élevés, des sureffectifs, et le fait payer au consommateur. Air France s’entend avec ATN pour pratiquer les mêmes tarifs. Il faut une véritable concurrence de compagnies lowcost, charter ou non (on espère que les chinois vont s’y mettre enfin). »

En tant qu’économiste, quelles idées aimeriez-vous soumettre au gouvernement polynésien ?
« Je voudrais leur soumettre l’idée de lire mon livre « Tahiti, une économie sous serre » (l’Harmattan 2011). Il y a tout ce qu’il faut savoir pour relancer l’économie dans ce livre.  Malheureusement, il n’est plus distribué par Hachette Pacifique, pour des raisons qui m’échappent, mais on peut le commander sur Internet et je l’offre gratuitement à tout responsable politique désargenté qui ne pourrait pas se le payer. »
 

Propos recueillis par M.K

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