Au large d’une vie, un film « vitrine » des compétences du fenua

Publié le

Publié le 20/04/2015 à 8:18 - Mise à jour le 20/04/2015 à 8:18

Teva, a young Tahitian with a passion for filmmaking, was compelled to leave his homeland to fulfill his ambitions….

Posted by Au large d’une vie on mercredi 25 mars 2015

Au large d’une vie est le premier court-métrage 100% polynésien. Réalisé par Claire Schwob et produit par Christine Tisseau Giraudel, de Creative.tv, le film raconte l’histoire de Teva, jeune polynésien passionné de cinéma. Il fait le choix de partir en métropole afin d’étudier et vivre sa passion pleinement. Laissant derrière lui sa famille, sa terre, son île… 
Dix ans plus tard, il revient à Tahiti à l’occasion d’un festival de court-métrage pour lequel il est Président du jury. Le paysage audiovisuel qui a beaucoup évolué, les rencontres avec ses anciens amis, les retrouvailles avec sa famille bouleversent totalement Teva. Il est à nouveau confronté au même choix si difficile d’il y a dix ans : doit-il rester ou partir ?

Ce « film-vitrine » selon les mots de sa productrice, est une démonstration des talents de l’audiovisuel polynésien, tant au niveau technique que de la réalisation et du jeu des acteurs… « Vous n’imaginez pas le nombre de diffuseurs ou de producteurs métropolitains qui ne savent pas encore qu’il y a les compétences ici. C’est notre façon de leur expliquer, de leur démontrer », explique Christine Tisseau Giraudel.
À l’affiche de ce court-métrage, on retrouve des figures connues du fenua : Sabrina Laughlin, Taina Fabre ou encore Tuarii Tracqui… Le film a déjà été diffusé dans les salles du fenua et sera bientôt sur les écrans du festival de Cannes. 

Au large d’une vie a été sélectionné pour le Short Film Corner. L’événement qui se déroulera du 13 au 24 mai prochains, propose des films venus de plus de 95 pays, pour la plupart inédits ainsi que les films présentés à la compétition officielle, la Cinéfondation, la Quinzaine des Réalisateurs et la Semaine de la Critique.  « Cette intégration au Short Film Corner est importante puisqu’elle permet notamment au film Au large d’une vie d’être reconnu pour avoir des qualités susceptibles d’intéresser des diffuseurs internationaux, mais aussi d’être intégré au catalogue de courts-métrages du prestigieux festival de Cannes », explique la productrice.
« Cette visibilité va nous permettre d’optimiser notre déplacement à Cannes, accompagnés de deux des acteurs du film, pour rencontrer des diffuseurs, des producteurs, des partenaires potentiels, etc. Pour ce film, mais aussi pour nos projets à venir », annonce-t-elle. Christine Tisseau Giraudel et Claire Schwob s’envoleront prochainement pour la métropole avec deux acteurs du film. 

Au large d’une vie sera diffusé en exclusivité en septembre sur Tahiti Nui Télévision. 

 

Manon Kemounbaye

 

Christine Tisseau Giraudel, productrice

Comment est née l’idée d’un court-métrage 100% polynésien ?
« Je travaille avec une scénariste installée depuis 1998 en Polynésie française et qui vient de la fiction. Dès son arrivée, elle a souhaité que nous fassions des films de fiction ici. Mais à l’époque, il y avait peu de techniciens, une seule chaîne de télévision, les professionnels ne s’étaient pas encore fédérés, il n’y avait pas de fonds de soutien, les producteurs n’avaient pas accès aux aides du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), etc.
Nous avons alors fait le choix de produire une banque d’images et de nous orienter plus vers le magazine télé mais aussi d’accueillir et ou d’accompagner des équipes de productions étrangères auxquelles nous avons systématiquement associé des stagiaires et des techniciens locaux.
En un peu plus de 15 ans, le contexte a très largement évolué : tous les points bloquants évoqués plus haut ont été petit à petit levés, sous l’impulsion à la fois du dynamisme des professionnels du secteur et d’une volonté politique locale, puis nationale.
La filière documentaire a été celle qui a répondu le plus vite, en 2007 presque aucun documentaire n’étaient produits par des producteurs polynésiens, cette année une trentaine d’œuvres seront produites et diffusées tant en local, qu’en métropole. C’est un véritable succès pour le développement de la filière audiovisuelle polynésienne, tant en termes de retombées économiques que d’exportation de l’image de la Polynésie française sur les médias nationaux voire internationaux.
La fiction demandant, elle, plus de moyens : lorsqu’il faut 10 millions et en moyenne 5 techniciens pour produire un documentaire, il en faut au minimum entre 5 et 10 fois plus pour produire une fiction télévisuelle de durée équivalente… Nous savions que son développement prendrait plus de temps.
Nous avons considéré en 2013 que les conditions étaient suffisamment réunies pour produire un premier court métrage cinématographique.

Ce film poursuivait cinq objectifs majeurs :

  • S’inscrire dans le souhait de développement de la filière audiovisuelle et cinématographique en Polynésie française à travers la production de films de fiction, en commençant par le court-métrage,
  • Concevoir un film de court-métrage, s’appuyant principalement sur les expertises locales, optimisé pour une très large diffusion en festivals, au cinéma, à la télévision, etc. en local et à l’international,
  • Mettre en œuvre les expertises locales en termes de tournage de films de fiction, intégrant sur un même tournage une grande partie des techniciens, acteurs, silhouettes et figurants locaux, soit au total plus de deux cent personnes,
  • Croiser les expertises extérieures à celles présentes en Polynésie française et accompagner les techniciens et acteurs locaux dans leur évolution de poste,
  • Sensibiliser le public polynésien à la fabrication d’un film de fiction en lui faisant vivre de l’intérieur l’expérience d’un tournage, en commençant par le court-métrage.

Pour ce premier court-métrage, nous souhaitions faire un film vitrine, intégrant le meilleur des techniciens et acteurs locaux,  un peu comme la démonstration de ce que nous pouvons faire ensemble en terme de production de fictions. Vous n’imaginez pas le nombre de diffuseurs ou de producteurs métropolitains qui ne savent pas encore qu’il y a les compétences ici. C’est notre façon de leur expliquer, de leur démontrer.
Les premiers retours que nous avons sont très encourageants, l’adage « une image vaut mieux que mille mots » a vraiment pris tout son sens.
L’ensemble des objectifs sont en train d’être atteints même si, comme pour toutes les premières fois, le chemin suivi n’a pas été sans embûche.
Nous sommes aujourd’hui ravies d’avoir cru en ce projet et enchantées de la tournure qu’il prend. Je suis particulièrement fière de l’ensemble des techniciens et des acteurs qui ont collaboré à celui-ci. »


Qu’est-ce qui vous a décidé à présenter votre film pour la sélection du Short Film Corner du festival de Cannes ?
« La vie d’un film commence lorsqu’il est prêt à être diffusé. S’inscrire à de tels événement fait partie du parcours typique d’un film de court métrage de fiction cinématographique. Franchir l’acceptation du film au Short Corner du festival de Cannes est l’un des objectifs que nous nous étions fixés.
Cette intégration au Short Film Corner est importante puisqu’elle permet notamment au film Au large d’une vie d’être reconnu pour avoir des qualités susceptibles d’intéresser des diffuseurs internationaux mais aussi d’être intégré au catalogue de court-métrages du prestigieux festival de Cannes, cette visibilité va nous permettre d’optimiser notre déplacement à Cannes, accompagnés de deux des acteurs du film, pour rencontrer des diffuseurs, des producteurs, des partenaires potentiels, etc., pour ce film mais aussi pour nos projets à venir.
C’est une première pour la Polynésie française.
Parallèlement à cette inscription,  le film a été soumis à de nombreux festivals dans le Monde entier, je ne doute pas qu’il soit diffusé aux quatre coins de la planète. Le Short Film Corner du festival de Cannes nous permettra aussi en un temps records (12 jours) de rencontrer tout ce qui compte dans le monde comme acteurs majeurs du courts métrage et notamment des programmateurs de festivals et des diffuseurs  internationaux. »


Avez-vous d’autres projets de courts-métrages Polynésiens ?
« Le film Au large d’une vie n’est qu’une première étape franchie avec succès dans la stratégie de développement de la filière fiction que nous avons mise en place, la vie de la fiction en Polynésie française ne fait que commencer. Nous souhaitons avancer prudemment, mais surement.
Dans le cadre de cette stratégie, nous écrivons en ce moment une série de fictions courtes (20 x 13 minutes), destinée à la télévision en Polynésie française (Tahiti Nui Télévision) et en métropole, puis nous développerons un second projet de court-métrage cinématographique que nous proposerons cette fois aux autres compétitions du festival de Cannes. »

Pensez-vous réaliser un jour un long-métrage 100% local ?
« La suite logique de la production de courts ou moyens métrages est le long métrage.
Il faut cependant être réaliste et considérer les marchés qui s’offrent à nous. Les budgets en jeu ne sont pas les mêmes que sur des œuvres plus courtes : sur un téléfilm nous sommes sur une centaine de millions de francs, sur un long métrage destiné au cinéma sur 800 millions et plus. Les enjeux sont plus importants et nous n’avons pas le droit à l’erreur.
Une fois avoir validé les compétences des techniciens locaux et l’excellence des acteurs polynésiens, la plus grande difficulté reste le financement d’un tel projet.
En métropole par exemple, une fiction télévisée est financée à 70% par les chaînes de télévision (Source : dernier rapport CNC sur la production aidée en 2014), ce qui ne nous arrivera jamais à Tahiti au vue de la petitesse de notre territoire. Il faut donc trouver des sources de financement alternatives. L’une d’entre elles sont les chaînes de télévision métropolitaines qu’il faut séduire en proposant des scénarios qui ont une résonance aussi là-bas, il est indispensable que les histoires que nous voulons mettre en images soient aussi compréhensibles ailleurs, sans grille de lecture. L’importance de l’écriture, de s’appuyer sur un ou des scénaristes professionnels, est ici primordiale.
Nous souhaitons avant de nous lancer dans une telle aventure et même si nous maîtrisons les étapes de la production de fiction en Polynésie française, nous assurer d’avoir mis de notre côté tous les éléments indispensables à la réussite d’un tel projet. La prise de risques concerne non seulement notre société de production mais également la filière dans son ensemble. Un échec nuirait à la crédibilité des professionnels polynésiens sur laquelle nous travaillons tous depuis plus de 15 ans.
Chaque tournage de court métrage est en quelque sorte une répétition grandeur nature de projets de plus grande importance : il permet de valider et d’améliorer notre expertise, de nous assurer des compétences des techniciens, des acteurs, etc. mais aussi des points bloquants restant à lever.
Sur ces bases, un long métrage de fiction est actuellement en cours de développement. Celui-ci s’appuiera, comme nous l’avons fait sur le court-métrage Au large d’une vie, majoritairement sur des compétences, tant artistiques que techniques, polynésiennes. Lorsque sur certains postes l’expertise locale est encore un peu juste au vue des enjeux, nous ferons venir des techniciens d’ailleurs qui accompagneront, entre autres, les futurs chefs de postes, jusqu’à ce qu’ils puisent être à leur tour autonomes.
 
Nous nous inscrivons comme vous le voyez dans une stratégie à moyen et long terme, mais aujourd’hui je ne doute pas un instant qu’à l’instar de la filière documentaire locale qui s’est développée en moins de 10 ans et rencontre aujourd’hui un véritable succès tant localement qu’en national voire à l’international,  la filière fiction naissante en Polynésie prenne son envol et rencontre à son tour le succès escompté.
La Polynésie française aujourd’hui possède de véritables atouts, au-delà des décors et des histoires, en termes de coûts de production et de facilité de tournage sur lesquels nous comptons bien surfer. »

 

Propos recueillis par Manon Kemounbaye

Claire Schwob, co-auteur, réalisatrice

Vous avez travaillé sur de grands projets en métropole. Comment êtes-vous arrivée en Polynésie ?
« Le fruit du hasard : j’ai fait une escale d’une semaine lors d’un voyage en Nouvelle-Calédonie en 1998. Un mois plus tard, plutôt que de rentrer en Métropole, j’ai souhaité revenir une ou deux semaines à Tahiti. Cela fait aujourd’hui plus de 15 ans… » 

D’où vient votre attachement au fenua ?
« Les rencontres humaines, sans hésitation. »

Comment est né ce projet d’un court-métrage polynésien ?
« Au-delà de mon intime conviction que nous pouvons aujourd‘hui produire de la fiction en Polynésie française sans rougir au regard de ce qui se fait ailleurs, il s’agissait de répondre à une demande grandissante à la fois des techniciens locaux qui eux ont l’habitude de travailler sur des  fictions étrangères et qui se languissaient de voir naître un projet local, mais aussi des jeunes travaillant ou souhaitant travailler dans le secteur audiovisuel.  L’émergence de talents et leur mise en lumière grâce aux différents festivals de court-métrages organisés depuis quelques années ont été déterminants. Il se trouve que ces jeunes sont le cœur même de la problématique du film : partir ou rester ?
Pourquoi ne pas faire en sorte que rester tout en vivant sa passion soit possible ? Encore faut-il que la fiction soit reconnue en tant que telle, comme réel secteur économique. Pour ce faire, il faut poser une première pierre. C’est ainsi q’est né le projet. »

Pourquoi ce thème de l’attachement à la terre ?
« J’ai été très touchée par tous les jeunes Polynésiens, qui, à un moment de leur vie ont un choix à faire : partir réaliser leurs rêves, leur passion à l’étranger et souffrir de la séparation d’avec leur terre natale ou rester mais mettre ainsi un voile sur leurs ambitions.
Quels que soient les choix faits, la souffrance en chacun était toujours intense et quasiment indicible.
J’ai voulu essayé de parler de ces émotions perçues en chacune des personnes rencontrées, tenter que chacun se retrouve en l’un des personnages ; créer un moment de partage ni plus ni moins, le temps d’un film. »

Tuarii Tracqui, Taina Fabre, Sabrina Laughlin… Au large d’une vie rassemble des personnalités connues du fenua. Est-ce volontaire ?
« Les sessions de casting pour le film ont été nombreuses. Le fait qu’une partie des acteurs soit des personnalités tient certainement au fait qu’ils ont l’habitude de la scène (chanteur, danseur, etc.), des caméras, et qu’ils furent rapidement et de façon évidente les plus aptes à jouer les personnages du film.
Cela a été aussi l’occasion de faire de jolies découvertes de futurs acteurs. »

Quel est votre sentiment suite à la sélection de votre court-métrage pour le Short film corner du festival de Cannes ?
« Je suis heureuse que la Polynésie soit représentée à ce festival. C’était l’un des objectifs du film : montrer aux professionnels nationaux et internationaux que les compétences cinématographiques existent sur le territoire.
Je pense qu’on peut tous, techniciens et acteurs, être fiers que le film ait été retenu. C’est une reconnaissance professionnelle importante pour chacun d’entre nous.
C’est aussi une première pour une société de production polynésienne et je ne doute pas que d’autres films emboîteront le pas d’Au large d’une vie. » 

Propos recueillis par Manon Kemounbaye

Dernières news