23 octobre 1987: le jour où Oscar Temaru a failli disparaître

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Publié le 25/03/2017 à 10:03 - Mise à jour le 25/03/2017 à 10:03

« Le 23 octobre 1987, il y a eu la grève des dockers et la ville de Papeete a été incendiée. Plusieurs de nos collègues ont été emprisonnés. » Oscar Temaru plante le décor. « Derrière tout cela, il y avait vraiment une volonté de m’éliminer physiquement ou de me mettre en cabane. » Il tient son auditoire, en fin orateur qu’il est.

« C’était un vendredi après midi, se remémore t-il, les jeunes touchent leur paie et commencent à boire, et à ce moment là le haut commissaire de l’époque, décide d’envoyer la troupe pour dégager les quais de Motu Uta. »

La tension monte entre les deux camps et les émeutes éclatent. « Au milieu de tout cela, on m’appelle  pour que je me rende sur place et voir ce qu’il se passe. »

Au volant de sa Land Rover, au niveau du quai des yachts, il aperçoit des flammes et des volutes de fumée qui embrasent le ciel au dessus de Motu Uta. « Je continue jusqu’au pont de Fare Ute, et là, je vois d’un coté, la population et de l’autre des garde mobiles qui lui font face, séparés par un barrage. »

S’ensuivent des jets de grenades de la part des gardes mobiles, tandis que la population répond avec ce qui lui tombe sous la main. Et pendant ce temps, Papeete s’embrase.

« La première personne à qui j’ai pensé, c’est Jean Juventin. Je trouve un téléphone et l’appelle.  ‘Eh tavana, ta commune est en train de flamber, il faut que tu viennes’. Il me demande où je suis, je le lui indique, et je l’attends. »

Jean Juventin arrive. Il arbore son écharpe de maire, sauf-conduit qui lui permet de passer le barrage des gardes mobiles. « Quand ils l’ont vu arriver avec sa voiture, son écharpe et son chauffeur, ils l’ont laissé passer. On a pénétré ensemble dans motu Uta. »

« Cela courait et saignait de partout. Moi je voulais rencontrer les dockers afin de savoir ce qu’il se passait ». Les dockers, c’est dans les bureaux de l’entreprise Cowan qu’il les retrouve. « Nous avons passé une grande partie de la nuit à parler de leurs revendications » se rappelle Oscar Temaru.

Soudain, une sommation se fait entendre. « Dégagez de là, ou sinon on tire ». Ne faisant qu’un, Oscar Temaru et les représentants syndicaux des dockers descendent voir ce qui se passe.

« il y avait là, un inspecteur, je crois, qui me lance, ‘On vous attend à RFO, venez avec nous. Il faut que vous interveniez à la télévision’. Il était accompagné de policiers locaux. »

Flairant un coup de Jarnac, il retourne dans les bureaux de Cowan et appelle la télé locale. « On me répond, ‘personne ne t’attends ici, tout est fermé’. Je redescends et dis à l’inspecteur que je ne le suivrai pas, à moins qu’il ait un mandat d’amener ».

Un peu plus tard, de retour sur Papeete, c’est un spectacle de désolation qui s’offre à lui. « Des voitures renversées, des magasins brûlés. »

Arrivé à son domicile de Faa’a, sa femme l’informe que peu de temps avant, sa maison était encerclée par l’armée, un hélicoptère tournoyant au-dessus, projecteur allumé. « Je pense qu’ils cherchaient ma voiture, et ils ont vu que je n’étais pas là. Mais ils ont dû se renseigner pour savoir où je me trouvais. »

Le lendemain matin, après une courte nuit, Oscar Temaru apprend qu’un de ses amis, Léon Tefau, est à l’hôpital. « Je me rends à l’hôpital, et je le vois avec… une jambe en moins. » Il avait été touché par une grenade. « Pas une grenade lacrymogène, une grenade de guerre. »

Lui demandant où il se trouvait quand il a été blessé, Léon Tefau lui répond: « Là où tu étais ». « Là où j’étais. J’ai tout de suite compris que c’était pour moi. »

Pour le leader du Tavini, il ne fait aucun doute que c’est à sa personne que la grenade était destinée. La tentative d’enlèvement, un peu plus tôt à Motu Uta, ayant échoué.

Loin de l’avoir découragé, ce fait l’a semble t-il stimulé pour poursuivre son combat. « Je suis toujours vivant, et je serais toujours là et continuerais à me battre jusqu’à mon dernier souffle pour que ce peuple retrouve sa dignité et reprenne son destin en main. »
 

Rédaction Web

Pour mémoire

Le 23 octobre, les dockers du port de Papeete, en grève depuis le 21 pour des revendications professionnelles, se heurtent aux forces de police. Les affrontements tournent à l’émeute.

Le 24, l’état d’urgence et le couvre-feu sont décrétés. Trois escadrons de gendarmes mobiles sont appelés en renfort. La politique du gouvernement outre-mer est vivement critiquée en métropole par les partis de gauche, mais aussi par certains membres de l’U.D.F., qui dénoncent une « politique caractérisée par l’injustice sociale ».

François Mitterrand demande, le 28, devant le Conseil des ministres, que soit « restauré le dialogue social ».

Le couvre-feu ne sera levé que le 1er novembre et l’état d’urgence le 5 novembre, tandis que plusieurs émeutiers arrêtés seront condamnés à des peines de prison ferme.

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