Vaccin, nucléaire, social : l’interview en Polynésie de Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer

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La visite du ministre des Outre-mer en Polynésie s'est achevée vendredi après un passage dans l'archipel des Marquises. Sébastien Lecornu était l'invité de notre journal avant de repartir en métropole :

Publié le 15/05/2021 à 11:23 - Mise à jour le 15/05/2021 à 12:31

La visite du ministre des Outre-mer en Polynésie s'est achevée vendredi après un passage dans l'archipel des Marquises. Sébastien Lecornu était l'invité de notre journal avant de repartir en métropole :

Vous vous êtes rendus aux Marquises pour la première fois. Et vous l’avez dit, les Marquises ont une identité culturelle forte. Vous l’avez profondément ressenti ?
« Oui c’est clair. Patrimoine naturel, patrimoine évidemment aussi culturel propre aux populations des Marquises. Que ce soit bien sûr l’artisanat, la langue, les tatouages, mais pas que. Et je pense que c’est un point important qu’il nous faut valoriser davantage parce que, on voit bien qu’il y a un enjeu important entre développement d’un côté et protection de l’autre. J’ai entendu des maires qui étaient engagés, qui voulaient qu’un certain nombre d’infrastructures nouvelles soient financées par le Pays ou par l’Etat. Et qu’en même temps il y a aussi une volonté de protection. C’est d’ailleurs ce que le dossier Unesco peut prévoir. Ça c’est un équilibre qui est intéressant. Rien n’est pollué, rien n’est dénaturé. Il y a effectivement une entité culturelle qui est très puissante. Je pense que tous les ingrédients sont réunis pour faire avancer le dossier main dans la main les différentes communes, le Pays et l’Etat. »

C’est passé assez inaperçu mais c’est probablement l’un des moments forts de votre séjour : hier (jeudi, NDLR) vous avez signé un protocole d’accord qui prévoit une aide d’1.5 milliard au secteur de la santé en Polynésie. C’est pourtant une compétence du Pays. Pourquoi l’Etat va aider et à quoi va servir cette enveloppe ?
« Alors c’est une enveloppe effectivement, je ne suis pas encore très bon en francs pacifiques mais en gros cela fait 13 millions d’euros. Dans ces 13 millions, 8 millions d’euros sont issus de mon ministère. C’est une convention à laquelle j’accorde énormément d’importance parce que j’ai la faiblesse de penser que dans tout l’après nucléaire il y a un enjeu majeur de porter des politiques de santé publique puissantes ici en Polynésie française. C’est la question bien sûr de la relation au cancer. La covid bien sûr vient accélérer les choses parce qu’elle nous rend très vulnérables par rapport aux épidémies. Et en repartant du centre hospitalier, avec l’ensemble de l’irrigation que cela produit dans l’ensemble de la Polynésie française, il y a des équipements ou des formations qu’il nous faut accompagner financièrement. Cette convention c’est ça. Ça vient aider le Pays à accélérer certains équipements ou à accélérer certaines mises à disposition de personnels soignants formés. Ça va dans le bon sens, ce n’est pas une fin en soi. Vous avez raison, c’est passé un peu inaperçu. On a voulu la signer aux Marquises parce que les Marquises vont aussi bénéficier de cette convention, mais ça sera aussi suivi d’autres effets, d’autres projets. je l’ai dit aux personnels soignants notamment de l’hôpital : on a véritablement quelque chose à faire ici en Polynésie en matière de santé y compris d’ailleurs dans notre rayonnement régional ici dans le Pacifique. »

Toujours sur le volet santé, monsieur le ministre vous avez insisté sur ce taux de 70% de vaccinés à atteindre pour rouvrir les frontières. mais de l’aveu même du ministre de la Santé en Polynésie Jacques Raynal, ce ne sera pas possible d’ici juillet. Ne serait-ce parce que les enfants ne sont pas vaccinés et qu’on est qu’à 18% depuis janvier. Si on n’y parvient pas, cela veut dire que les frontières ne rouvriront pas ?
« On va être précis sur tout ça parce que j’ai entendu beaucoup de choses inexactes tout à l’heure (…) peut-être par incompréhension, je me suis mal exprimé. Enfin j’ai aussi entendu des mots durs. Dire qu’il y a un problème de psychologie et de mépris… S’il y avait vraiment du mépris, ça ne ferait pas trois fois que je viens en Polynésie française. Et s’il y avait du mépris, alors que précisément vous l’avez rappelé, l’Etat n’est pas compétent en matière sanitaire, l’Etat ne fournirait pas de vaccins. Donc je crois qu’il ne faut pas qu’on dise tout et son contraire.
Aujourd’hui les frontières sont sous restriction pour les Français. Elles sont fermées pour les touristes. On vient d’élaborer un protocole sanitaire particulier pour les touristes américains. Première exception. Mais pour les citoyens français, ces frontières sont sous restriction de motifs impérieux. Elles ne sont pas fermées. C’est important de le dire. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les motifs impérieux sont analysés par le haut-commissariat à chaque fois qu’il en est fait demande. Et globalement, dans les situations les plus douloureuses, ça a été dit, des parents malades, une visite à faire pour des proches dans l’hexagone, très franchement, les fonctionnaires de l’Etat qui examinent ces motifs impérieux, je les ai rencontré, font preuve de discernement. Donc s’il y a des cas particuliers qui ont fait l’objet d’un refus, j’invite nos concitoyens à se manifester auprès du haut-commissaire, auprès de ses équipes et de ne pas laisser accréditer cette idée que ce contrôle serait fait à l’aveugle.
Deuxième chose : dès lors que la vaccination avance, ce n’est pas 70% de la population générale, c’est 70% de la population cible, c’est-à-dire des plus de 16 ans. Déjà ce n’est pas tout à fait la même chose. Et puis pardon mais la Polynésie c’est grand comme l’Europe ! On n’a jamais dit qu’on atteindrait 70% de manière homogène. Il est évident que Tahiti par exemple, est une ile prioritaire en la matière. Dès lors que des personnes seront vaccinées, elles pourront évidemment circuler plus librement on le sait. Et quand le monsieur qui a fait la pétition dit « mais les Américains eux ils rentrent avec un même protocole, je veux le même protocole », pardon c’est un protocole qui inclus la vaccination typiquement. Donc il ne faut pas se raconter n’importe quoi. Le sujet c’est la vaccination. Et ce n’est pas qu’un sujet de réouverture de frontières. Et là je veux qu’on ai un ton plus grave parce que la vraie psychologie c’est de comprendre qu’il y a eu plus de 140 victimes ici et que malheureusement si on n’atteint pas cette immunité collective rapidement, l’épidémie peut recommencer, peut redémarrer. Et ça il faut le redire. Parce que, même quand on est vaccinés, malheureusement on peut être contagieux. Alors une chose est certaine : c’est quand une population sur une ile n’est pas vaccinées, malheureusement ça peut repartir. Et si on tient ces motifs impérieux, ce flux de contrôles, ce n’est pas de la Polynésie vers Paris, c’est là où il y a une forme un peu de mépris pour le coup par rapport à ce que j’ai dit, le sujet c’est de revenir ici. C’est de revenir de Paris vers le fenua. Et là vous avez la question des variants. Et elle est toujours sur la table. Donc je pense que le jour où le variant sud-africain rentrera ici en Polynésie française, on viendra chercher les responsables politiques ou le haussaire, ou le ministre en disant ‘mais pourquoi un variant très grave est rentré sur le territoire ?’ Donc moi j’appelle aussi à la responsabilité, à la cohérence. C’est trop facile de montrer du doigt le Pays, Edouard Fritch ou le haut-commissaire ou l’Etat. Moi je n’ai qu’un seul objectif, et celui là ne me semble vraiment pas méprisant et me semble au contraire faire preuve de psychologie, c’est faire en sorte qu’on en finisse avec cette maladie et qu’on arrive à tourner la page et qu’on arrive à protéger nos concitoyens. Bon sang, l’automne dernier ce n’est pas si loin que ça. Donc moi j’appelle de nouveau à la vaccination parce que c’est une des réponses essentielles. D’ici le 9 juin je serai amené à préciser de toute façon un certain nombre de règles de déplacement en outre-mer, pas que pour la Polynésie française. Mais si je passe des messages aussi forts sur la vaccination, c’est bel et bien qu’il y a un lien. »

Vous avez annoncé une fin progressive des aides. Est-ce qu’elles se poursuivront au moins en partie jusqu’à la fin de l’année le temps que le tourisme reprenne ?
« Ça va dépendre des secteurs et effectivement on va adapter. Tout simplement parce que la circulation de l’épidémie et donc les mesures de restriction n’ont pas été les mêmes d’un territoire à l’autre. Là j’ai pu voir des restaurants ouverts. Au moment où je vous parle, ils sont fermés en Guyane. Donc il est évident qu’on va adapter en fonction de la circulation de l’épidémie, des secteurs touristiques concernés, on voit bien que les compagnies aériennes vont faire l’objet d’une attention particulière parce qu’on touche désormais à des problèmes qui sont très structurels, ça va dépendre aussi de notre capacité à rouvrir les frontières petit à petit, c’est pour ça aussi que la vaccination une fois de plus a son importance, mais effectivement, on ne va pas rompre brutalement les mécanismes d’aide parce que ça viendrait abimer le tissu économique et social. »

Abordons maintenant le fait nucléaire. Pour préparer la table ronde de fin juin à Paris, vous avez nommé un coordinateur Alain Rousseau. Et Edouard Fritch a nommé lui le sien, Joel Allain, en précisant que c’est lui qui choisirait les participants. Mais alors quel sera le rôle de votre « champion » ?
« Il fera des propositions pour formaliser une délégation. Ce n’est pas ce qu’Edouard Fritch a dit, il a dit – je l’ai entendu j’étais là- qu’il souhaitait une délégation unie, c’est-à-dire en clair qui fait équipe et qui a surtout travaillé en amont pour que les questions soient les plus précises possibles. C’est ce qu’Edouard Fritch a dit aux différents participants de la table ronde. Moi je remercie une fois de plus le président Fritch parce qu’il aurait très bien pu considérer que c’était l’affaire de l’Etat et pas la sienne. C’est à la présidence de la Polynésie qu’on a organisé cette rencontre. Maintenant effectivement il faut travailler. Travailler c’est composer la délégation, moi je serai très ouvert. Typiquement je vois l’ancien maire de Hao qui s’est exprimé dans le reportage. Bon, on va inviter la nouvelle maire de Hao puisque le maire qui s’exprime et qui donne des bons points et des mauvais points à tout le monde a perdu les élections municipales. Donc il y a une nouvelle maire qui elle a la confiance de ces concitoyens, que j’ai rencontrée et typiquement elle fait partie de ces visages que je souhaite voir venir à Paris pour cette table ronde. Effectivement les pollutions à Hao sont un vieux dossier et c’est dommage que l’ancien mais ne l’ai pas fait avancé donc on va pouvoir discuter et travailler avec la nouvelle maire. »

Confirmez-vous que cette table ronde sera présidée par le Président Emmanuel Macron et connaissez-vous sa date ?
« La date va être arrêtée à mon retour. Là je prenais du temps avec l’ensemble des partenaires et des interlocuteurs de ce dossier. L’idée évidemment c’est de la faire au mois de juin avant la venue du Président de la République. Et le Président de la République participera à un moment de ces tables rondes. je pense que le sujet est suffisamment vaste pour qu’il y ai pratiquement deux jours de travail et sur ces deux jours, le Président s’est engagé auprès d’Edouard Fritch d’y passer. Mais beaucoup de questions techniques parce que malheureusement beaucoup de questions sont redoutablement techniques ou scientifiques, doivent aussi faire l’objet de tables rondes approfondies qui se feront soit avec le ministre, soit avec le CEA (Commissariat à l’énergie atomique, NDLR), soit avec les armées, soit avec le ministère de la Santé ou mon ministère. »

Vous dites que l’Etat va assumer les essais nucléaires. Les associations, comme le député Moetai Brotherson, attendent un mot, « pardon ». La France est-elle capable de prononcer ce mot ?
« Moi je l’ai dit plusieurs fois depuis mon arrivée ici sur ce dossier. Je trouve que le fait d’assumer est plus fort que le pardon. Je le dit comme je le pense. Les gens que j’ai vu, sauf ceux qui font peut-être de la politique, ça moi je ne suis pas venu pour faire de la politique, les gens viennent avec des questions très précises : « on a du mal à se faire indemniser ». En dépit du travail que mène le Civen, le cadre global il faut le reconnaitre, parait parfois terriblement technocratique même si les équipes font du mieux qu’elles peuvent pour ouvrir ses droits. Moi j’ai aussi envie qu’on aille sur ce terrain là. Parce que la phrase ou le mot qui fait que dans 5 ans on nous reposera encore des questions très précises et très pratiques sur ce qui s’est passé, sur la vérité sur les essais, sur l’indemnisation, sur aussi les vérités globales autour du nucléaire y compris fiscales économiques et financières, il ne faudrait pas qu’un seul mot vienne gommer tout ce travail. La vérité c’est d’assumer, c’est de faire justice. C’est marrant mais ce sont des mots qui me semblent très forts aussi. »

Vous avez rencontré dimanche dernier les grévistes de Sabena technics et vous vous êtes engagé à donner plus de visibilité. C’était il y a 5 jours. On parle de 90 emplois menacés. Que pouvez-vous dire ce soir ?
« Je me suis arrêté très tôt pour les rencontrer (…) mon cabinet est en relation avec eux. J’ai saisi la ministre des Armées ma collègue Florence Parly parce que ça dépend d’un marché public qui est passé par le ministère des Armées. Pour que tout le monde puisse bien comprendre, on est sur l’entretien de deux types d’avions militaires. Un contrat a été attribué à une société qui n’est plus Sabena, un autre dépend toujours de la Sabena. Donc effectivement il y a un énorme problème de visibilité pour les salariés. Nous on est complètement mobilisés pour les salariés (…) On ne pourra pas revenir en arrière : pas de démagogie, pas de mensonges. On ne peut pas annuler le marché public tel qu’il a été passé. En tout cas il faut désormais donner de la clarté et clarifier les choses en interne. Ça c’est le boulot aussi de la direction actuelle de la Sabena. J’ai vu son directeur qui est un homme engagé. En tout cas qui de bonne foi c’est engagé à faire le maximum, et il faut surtout négocier avec le repreneur, une société dont les responsables vont venir au fenua dans les tout prochains jours et le ministère des Armées aura des contacts avec eux en amont. »

Une dernière question qui concerne la venue du Président Macron, en Polynésie au mois de juillet, du moins en « été ». Est-ce qu’à cette occasion le Tapura Huiraatira le parti du Président Fritch et la République en marche vont officialiser un partenariat pour les prochaines élections ?
« Non. Tout simplement parce que c’est le déplacement du chef de l’Etat et que le chef de l’Etat est au-dessus des partis. Il vient ici pour toutes les Polynésiennes et tous les Polynésiens qu’elles que soient leurs convictions politiques. Il est le Président de toutes les Françaises et tous les Français et on ne vient pas pour conclure un accord partisan. Moi-même, c’est mon troisième déplacement ici en Polynésie. Je n’ai jamais participé à une réunion électorale. D’ailleurs pour être totalement transparent, j’ai même proposé à Oscar Temaru un entretien. Il n’a pas donné suite. Ça ne me dérange pas. Mais moi je suis disponible pour l’ensemble des formations politiques polynésiennes dès lors qu’elles sont démocratiques et qu’elles ont des représentants à l’assemblée de la Polynésie. C’est ça aussi la République, c’est bien de le rappeler. »

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