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Moetai Brotherson : « Être parents, ce n’est pas juste donner la vie »

Le président du Pays était l'invité du journal de TNTV, ce samedi soir.

Moetai Brotherson : « Être parents, ce n’est pas juste donner la vie »

TNTV : Avant d’évoquer votre déplacement à Paris, cette actualité qui s’est imposée au fenua et qui a provoqué indignation et questionnement : la mort de la petite Ayden, placée en famille d’accueil. On imagine aussi votre émotion…

Moetai Brotherson : « Je suis papa de cinq enfants, grand-père de cinq enfants également, les derniers ont l’âge de cette petite. Oui, c’est beaucoup d’émotions, beaucoup de tristesse, un peu de colère, mais que j’essaie de canaliser parce que je me dis que la colère ne sert à rien. Ce qu’il nous faut, c’est en tant que société, réfléchir tous ensemble à comment faire pour que ça ne se reproduise plus ».

TNTV : Avez-vous contacté la famille de la fillette ?

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Moetai Brotherson : « Par l’intermédiaire de la vice-présidente, le gouvernement a évidemment manifesté toute sa solidarité. C’est un peu compliqué puisque c’est une fillette qui a été extraite de sa famille génétique, qui a été placée en famille d’accueil, donc les parents eux-mêmes ne sont pas réellement…Voilà, c’est compliqué ».

TNTV :  Vous vous êtes entretenu avec la ministre des Solidarités qui s’est d’ailleurs exprimée sur TNTV vendredi soir. Des créations de postes ont été annoncées. La fragilité de la chaîne sociale était connue, vous en conviendrez. Pourquoi avoir attendu ? 

Moetai Brotherson : « C’est un cas sur lequel il ne faut pas se précipiter. J’ai lu tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux. C’est un peu comme d’habitude, on va dire. Mais il faut se garder de porter des jugements hâtifs. Ces enfants étaient placés, puisqu’ils sont trois, depuis des années. De nombreux contrôles par les services sociaux ont été effectués régulièrement. Le dernier date du mois d’avril. Qu’est-ce qui s’est passé ce soir-là ? Moi, je ne le sais pas à ce jour. Les enquêtes sont en cours. Il faut attendre tout ça. Maintenant, une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on fait ? Les postes, au niveau budgétaire, ils sont là. Ils ne sont pas pourvus aujourd’hui pour plusieurs raisons. D’abord, ce sont des métiers difficiles qui n’attirent pas forcément tout le monde. Quand on est assistant social, tous les jours, son boulot, c’est de rencontrer la misère humaine. Ce n’est pas évident du tout. Il faut arriver à susciter plus de vocations. Il y a quelques années, il y avait un centre de formation. Il a été fermé. Nous allons rouvrir les filières de formation à ces métiers, parce que c’est essentiel. Nous avons, depuis notre arrivée, amélioré les conditions d’exercice du métier en établissant les ISS, les indemnités de sujétion spéciales. En gérant la question de certaines indemnités, quand les personnes travaillent en dehors des horaires. Mais ça ne suffit pas. Il faut rétablir ces formations ».

TNTV : Et cette autre sordide affaire, celle d’un viol sous l’emprise d’ice, en plein centre-ville de Papeete, cela vous fait réagir ? 

Moetai Brotherson : « Je réagis d’autant plus que, comme vous le savez, j’ai fait de l’ice, et mon gouvernement a fait de l’ice, un combat ». 

TNTV : Vous avez nommé un nouveau délégué interministériel aux addictions et aux violences. Comment va-t-il s’emparer de ces deux affaires ?

Moetai Brotherson : « Le délégué interministériel aux addictions et aux violences, son rôle, c’est de faire le lien entre les associations, les ministères entre eux, et toutes les institutions. On va le laisser prendre ses marques. Il vient d’être nommé au conseil des ministres délocalisé de Rurutu. C’est un jeune qui connaît bien ces milieux-là ». 

TNTV : C’est-à-dire ?  Quelle expertise a-t-il en matière d’addiction et de violences ? 

Moetai Brotherson : « C’est quelqu’un qui vient du milieu carcéral, qui a exercé dans la pénitentiaire, et qui est spécialisé dans tout ce qui est addictions et violences ».

TNTV : Autre affaire, la saisie de 23 kilos d’ice, jeudi. Le délégué interministériel va-t-il s’emparer là-aussi de cette question ? 

Moetai Brotherson : « Oui, alors là-dessus, il faut être prudent et il ne faut pas tout mélanger. Il y a des compétences qui sont bien réparties entre l’État, qui s’occupe de la justice, de la police, ce genre de choses. Les compétences du Pays sont également bien définies. C’est la santé, la prévention, ce genre de choses. Donc le délégué interministériel, encore une fois, va faire le lien. Vous le savez, on a voté 250 millions de francs pour lutter contre ce fléau ». 

TNTV : A quoi a servi cet argent ?

Moetai Brotherson : « C’est justement un des rôles de ce délégué interministériel de s’assurer que l’argent est bien utilisé. Une partie de ce budget va être dévolue aux associations, notamment à travers la fédération qui s’est montée. Une autre partie va être utilisée par les services du Pays, notamment ceux qui prennent en charge déjà les addictions. Ce délégué interministériel, il est là aussi pour s’assurer que tout est fait, on va dire, de manière optimale ».

TNTV : La lutte contre la consommation d’ice a fait partie des sujets sur la table des discussions lors de votre déplacement à Paris. Vous avez échangé à ce sujet avec Manuel Valls. Que faut-il en retenir ? 

Moetai Brotherson : « J’ai eu des échanges avec Manuel Valls, et également avec le cabinet du garde des Sceaux, puisque c’est lui qui, finalement, a la clé des quantums de peines. Je me suis fait l’écho de quasiment tous les élus de Polynésie qui réclament un renforcement du quantum de peines ».

TNTV : Au sujet du séminaire de décolonisation de l’ONU qui s’est déroulé au Timor, un prochain séminaire du comité des 24 en Polynésie en 2027, vous y croyez ? 

Moetai Brotherson : « En tout cas, c’est la proposition qu’on a faite ».

TNTV : Le Tapura s’y oppose…

Moetai Brotherson : « Ce n’est pas le Tapura qui décide, c’est le comité des 24 ». 

TNTV : L’État dit non également…

Moetai Brotherson : « Ce n’est pas l’État qui décide, c’est le comité des 24. Donc on attendra. Moi, je fais la proposition. Ça ne me paraît ni saugrenu, ni complètement ubuesque, puisque ça s’est déjà fait dans une collectivité française. C’était en 2010, en Nouvelle-Calédonie ». 

TNTV : Que peut-on dire sur la plainte d’Antony Géros qu’il veut déposer contre l’État français pour entamer ce dialogue de décolonisation ?  Cela relève-t-il de votre compétence ? 

Moetai Brotherson : « Si vous voulez interroger Antony Géros sur sa démarche, je pense qu’il faut l’inviter ici. Moi, le dialogue que j’ai avec l’État, c’est justement de dire : ‘essayons de ne pas en arriver là. Essayons d’établir ce dialogue de manière sereine, de manière apaisée’, parce que si ça ne se fait pas de manière sereine, si ça ne se fait pas de manière apaisée, ça se fera d’une autre manière ». 

TNTV : Parmi vos prochains déplacements, il y a l’UNOC, début juin, la Conférence des Nations Unies sur l’Océan. Vous vous y rendrez avec des annonces concrètes ?

Moetai Brotherson : « J’y vais avec à la fois une annonce et puis surtout un enseignement que j’aimerais porter au monde. Ces grands pays se réunissent et sont là un peu pour donner des leçons. J’ai envie de leur dire : ‘écoutez, pour une fois, regardez les plus petits. Regardez ce petit pays, ce petit peuple qu’est la Polynésie, de 280 000 habitants, et essayez de capter les enseignements que nous ont laissés nos tupuna’. La notion de rahui, toutes ces pratiques ancestrales qui ont fait que nous gérons aujourd’hui mieux notre espace maritime et nos ressources naturelles que bien des grands pays ». 

TNTV : Pourquoi souhaitez-vous un passage de l’aire marine à l’aire protégée ? Pour des questions de financements ? 

Moetai Brotherson : « C’est en partie, effectivement, pour être en capacité de rechercher plus de financements. Nous, ce que nous voulons, c’est d’abord prendre une réglementation locale qui soit bien définie. Vous savez qu’aujourd’hui, on parle beaucoup de rahui. Eh bien, nulle part dans le Code de l’environnement, la notion de rahui n’est définie clairement. Donc, c’est ce que nous allons faire. Et ensuite, la démarche de classement à l’intérieur de notre ZEE que nous allons mener, nous pensons qu’elle correspond effectivement à certains standards internationaux. Donc, nous demanderons à l’IUCN de voir s’ils pensent aussi que ça correspond à leur classement ». 

TNTV : Merci d’avoir été notre invité, monsieur le président.  Votre calendrier s’annonce chargé avec votre déplacement pour cette conférence à Nice début juin, puis le sommet Pacifique-France….

Moetai Brotherson : « Je voudrais juste souhaiter une bonne fête des Mères à toutes les mamans, en rappelant tout de même qu’être maman, ce n’est pas juste donner la vie, ou être parents, ce n’est pas juste donner la vie. C’est avant tout aimer et éduquer ses enfants ».

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