Médiapart : artistes, scientifiques, chercheurs… ils se demandent « à quoi joue l’Etat français » en Polynésie

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Anthropologues, philosophes, chercheurs... Ils sont une vingtaine de signataires d'une tribune publiée simultanément sur les sites de Médiapart et de Reporterre, ce mardi, et intitulée "En Polynésie française, à quoi joue l'Etat ?".

Publié le 16/06/2020 à 9:54 - Mise à jour le 17/06/2020 à 11:52

Anthropologues, philosophes, chercheurs... Ils sont une vingtaine de signataires d'une tribune publiée simultanément sur les sites de Médiapart et de Reporterre, ce mardi, et intitulée "En Polynésie française, à quoi joue l'Etat ?".

Alors que le leader indépendantiste Oscar Temaru a entamé une grève de la faim – suspendue un week-end sur les conseils de son médecin – pour dénoncer la saisie sur son compte de plus de 11 millions de Fcfp et un « acharnement » de l’Etat contre lui, certains se questionnent sur le rôle et l’attitude de la France au fenua.

Lire aussi – Saisie sur le compte d’Oscar Temaru : le procureur réagit dans un communiqué

« Dans son rapport de 2015, la mission d’information parlementaire dirigée par Jean-Jacques Urvoas soulignait la situation sociale et économique préoccupante de cette collectivité d’outre-mer. Il rappelait que plus d’un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté », écrivent les signataires de cette tribune qui estiment que l’État français devrait « réfléchir, avec l’ensemble des acteurs polynésiens concernés, à un processus maîtrisé de décolonisation, comme c’est le cas depuis plusieurs décennies en Nouvelle-Calédonie : non pour réduire l’avenir de la Polynésie française à un choix binaire entre la France ou l’indépendance, mais pour mettre en œuvre tous les moyens de nature à donner aux Polynésiens une meilleure maîtrise de leur pays, de leur économie et de leur destin. »

Parmi la vingtaine de signataires, Christophe Serra-Mallol, sociologue bien connu au fenua, Chantal Spitz, écrivaine polynésienne ou encore Tahitua Oopa, descendant de Pouvaana a Oopa.

Viri Taimana. Crédit Tahiti Nui Télévision

Viri Taimana, artiste polynésien et directeur du Centre des métiers d’art, est un de ces signataires. Il explique que le collectif regroupe des « lanceurs d’alertes » dont l’objectif est de « sensibiliser sur les sujets importants : des sujets de développement humain, des sujets de développement économique dans le respect de l’environnement. Nous échangeons régulièrement au sujet des problématiques que l’on retrouve dans différents territoires français : Nouvelle-Calédonie, Guyane… Je considère que ce collectif est intéressant dans le sens où il n’y a pas de parti pris : on veut juste que les choses se fassent dans le sens du développement humain. »

« On ne peut pas rester insensible à ce qu’il se passe dans notre pays. Cette affaire qui connaît de nombreux rebondissements nous permet à un moment donné de nous poser les vraies questions par rapport à la loi, l’impartialité de la Justice. Qu’est-ce qui se fait, et est-ce que tout cela se fait dans les règles ? Malgré le fait que le procureur l’affirme : est-ce que nous sommes jugés comme tout le monde ? J’ai des doutes ! Est-ce qu’il y a un acharnement sur Oscar Temaru ? Les faits sont là !, estime Viri Taimana.

« Nous voulons que Justice soit rendue mais dans une relation apaisée« 

Viri Taimana, artiste, membre du collectif de signataires

Nous sommes dans un contexte où l’Etat fait la démonstration de ses pouvoirs régaliens. Nous voulons que Justice soit rendue mais dans une relation apaisée. Personne n’est au-dessus de la loi : Nous sommes tous des citoyens et nous voulons que Justice soit rendue. Je reprendrai Jean-Marc Regnault qui dit que dans ce coin du monde, la France est bien souvent à l’opposée d’elle-même. Il est temps, à présent, que nous ayons une relation apaisée, qu’il y ait une vraie construction de la Polynésie et que nous ne soyons pas les rejetés de la République…

En 2020, à partir du moment où on a été inscrits sur la liste des Pays à décoloniser, il faut maintenant engager le dialogue pour que chacun soit gagnant. La France doit respecter ce qu’elle a signé »

« On sent qu’effectivement, il y a un certain acharnement »

Edgar Tetahiotupa, chercheur et anthropologue et citoyen

Edgar Tetahiotupa, chercheur et anthropologue, a une approche différente : « C’est tout d’abord, me concernant, un soutien moral à la personne : une personne qui a fait énormément de choses ici. C’est un leader politique et il représente une grande marge de la population. Parmi les soutiens, il y a de nombreuses personnes qui ne font pas du tout de politique. J’en fais partie. Il y a au moins une idée qui a émergé : c’est la question de l’acharnement. Et on sent qu’effectivement, il y a un certain acharnement : c’est très mal considéré en Polynésie française. Lorsqu’on dit quelque chose, on laisse les choses se dérouler : les échéances vont venir, ce n’est pas la peine de s’acharner. S’acharner, c’est vraiment de la provocation dans la conscience collective de la population. Ici, ce qui a été la goutte d’eau c’est la pression, l’oppression, sur quelqu’un qui est considéré comme intègre… sans doute comme gênant aussi.

Edgar Tetahiotupa Crédit Tahiti Nui Télévision

L’Etat, dans cette position, n’est jamais neutre. L’Etat gagnerait davantage d’estime de la société polynésienne dès lors où il commencerait à créer des liens et à apaiser les tensions. Si on veut réellement que des problèmes puissent être résolus, on ne peut pas rester l’Etat d’un côté, la société Polynésienne de l’autre. On devrait essayer d’établir un pont entre les gens qui habitent ici, et l’Etat. Là, on sent la faille, la rupture, de plus en plus fort. On ne peut pas régler des problèmes s’il n’y a qu’un seul parti qui conçoit, sans qu’il y ait dialogue et discussions pour trouver une solution commune. On ne peut pas oublier la population polynésienne. »

Au fenua, les sympatisants d’Oscar Temaru préparent une action collective pour les prochains jours.

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