Éric Spitz : « Il va falloir créer de la richesse » si la Polynésie veut mettre en place un revenu minimum

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Il vient de prendre ses fonctions de haut-commissaire de la République en Polynésie : Eric Spitz était l'invité de notre journal en français mercredi. Aides de l'Etat, transition énergétique, géopolitique... son interview complète :

Publié le 29/09/2022 à 18:17 - Mise à jour le 30/09/2022 à 9:13

Il vient de prendre ses fonctions de haut-commissaire de la République en Polynésie : Eric Spitz était l'invité de notre journal en français mercredi. Aides de l'Etat, transition énergétique, géopolitique... son interview complète :

TNTV : Fin août, Emmanuel Macron annonçait « la fin de l’abondance ». À votre arrivée au fenua, vous avez indiqué qu’il fallait cesser de demander toujours plus d’argent et plutôt créer de la richesse. Est-ce que cela signifie que les aides de l’Etat ont vocation à être limitées ?
Éric Spitz, Haut-commissaire de la République en Polynésie française : « Non, les aides de l’Etat n’ont pas vocation à être limitées. Je ne me souviens d’ailleurs plus avoir dit qu’il y aurait moins de subventions. J’ai simplement dit qu’il fallait créer de la valeur. Nous allons continuer à aider le Pays à travers le renouvellement des conventions sur les contrats de développement, la convention santé… On va continuer à aider les communes avec un fonds pour les déchets, un fonds pour les infrastructures. On va continuer à aider les entreprises, notamment pour ceux qui ont du mal à régler leurs dettes, en leur permettant de rembourser leur prêt garanti par l’État sur 10 ans.« 

Ce ne serait donc pas limiter les aides de l’État, mais les orienter ?
« Je dis simplement que dans un pays où il n’y a pas de minima sociaux, où on pourrait peut-être créer un minimum de revenu pour les gens qui n’ont plus rien, qu’il va falloir créer de la richesse si la Polynésie veut mettre en place éventuellement ce type de revenu. »

À quel secteur pensez-vous ?
« Je pense au RSA (revenu de solidarité active, dispositif déployé en métropole, NDLR), je pense à des personnes qui perdent leur emploi et se retrouvent du jour au lendemain sans aucun revenu. Il existe ce qu’on appelle d’un air un peu pompeux des amortisseurs sociaux, c’est-à-dire des choses qui permettent aux habitants de ne pas tomber dans le plus grand dénuement du jour au lendemain. Mais pour cela, il faut créer de la richesse. »

Vous avez aussi parlé de la transition énergétique , un secteur que l’État soutiendra activement via un fonds dédié de 5 milliards de Fcfp. Qui en bénéficiera et quand sera-t-il mis en place ?
« D’une manière générale, nous souhaitons que la Polynésie française soit la vitrine de la transition écologique et énergétique dans la France et pourquoi pas dans le monde. Le président a promis ce fond doté de 5 milliards de Fcfp. La condition, c’est que la Polynésie française transmette son plan pluriannuel d’énergie au ministère, qu’on le valide et qu’on mette en place ce fonds. Ce fonds, le Pays l’a transmis, c’est sur le point d’être validé. D’ici la fin de l’année ce fonds sera mis en place. Il a vocation à bénéficier aux entreprises. (…) La Polynésie dispose de tous les atouts pour être une vitrine des transformations majeures du XXIe siècle. Et ce fonds bénéficiera aux entreprises. Il n’y a pas encore d’arbitrage qui a été pris pour savoir s’il bénéficierait aux communes et moi je constate sur d’autres fonds qu’on a du mal parfois à engager tous les fonds et à dépenser l’argent. Donc le problème ce n’est pas vraiment ça. C’est de trouver des projets qui sont compatibles avec la transition écologique et la transition énergétique. »

Vous avez parlé d’aider les foyers polynésiens. Pour les foyers les plus modestes confrontés à l’inflation, comment pouvez-vous leur apporter votre aide ?
« On est typiquement dans une compétence du Pays. L’Etat ne va pas aller sur les compétences du Pays. Nous ce qu’on fait, on essaie d’aider le Pays, confronté à des difficultés par exemple de financement de la CPS. Le président Fritch a demandé 5 milliards de Fcfp par an pendant 3 ans. Donc là aussi ce sont des sommes très importantes qui sont à l’arbitrage. Et moi j’ai bon espoir qu’on y arrive. »

On continue de parler de la CPS. La Caisse de prévoyance sociale du pays compte aussi sur les frais médicaux que la CPS a engagé pour les victimes du nucléaire. Vous avez dit à votre arrivée qu’il y a un accord de principe de l’Etat. Comment est-ce que ça va s’organiser ?
« Non seulement il y a un accord de principe, mais grâce à la nouvelle organisation mise en place, on a de plus en plus de personnes à qui on reconnait des maladies, des cancers dus aux essais nucléaires. Il y en avait 200 en 10 ans. Là avec la mise en place de la mission haut-commissariat  « aller vers » -ce sont des jeunes polynésiens et polynésiennes qui travaillent pour nous et qui vont aux Tuamotu Gambier et qui sonnent, qui font du porte à porte, qui remplissent les dossiers pour les gens- on a réussi en moins de six mois à faire 130 dossiers. Donc il va y avoir de plus en plus de dossiers. Ça je pense que ça peut satisfaire tout le monde. Et deuxièmement, pour chacun de ces dossiers, la Sécurité sociale remboursera les frais à la CPS. Nous ne sommes pas loin d’un accord avec la CPS, sur un montant forfaitaire (…) J’attends encore quand même un mandat officiel du gouvernement pour finaliser cet accord mais là aussi je suis plutôt optimiste. »

La retraite supplémentaire des fonctionnaires d’Etat au fenua, l’ITR (Indemnité temporaire de retraite) doit s’éteindre en 2028. Les syndicats demandent une suspension de la réforme et la mise en place de mesures transitoires. Quelle est votre approche sur le sujet ?
« Le chef de l’Etat a promis effectivement la mise en place d’un groupe de travail qui s’est réuni à paris le 15 mars et qui est composé de 8 parlementaires et de 7 organisations syndicales. Le problème c’est que comme vous le savez, pendant 3 mois, les parlementaires n’ont pas siégé. Il y a eu des élections, il y en a qui ont été battus, donc il faut redesigner les parlementaires pour la deuxième réunion du groupe de travail mais j’ai bon espoir de pouvoir annoncer dans les prochaines semaines la date de la deuxième réunion du groupe de travail. Il y en aura un troisième et tout ça doit bien évidemment s’articuler avec des travaux qui ont lieu dans les autres outre-mer et la réforme globale des retraites. Donc c’est pour ça que tout ça est un peu compliqué. Initialement, l’ITR devait être revue à l’occasion de la réforme des retraites au niveau national mais celle ci n’a pas eu lieu, d’où le retard qui a été pris. »

Autre domaine : le président Edouard Fritch est actuellement au sommet des îles du Pacifique à Washington. Alors que les tensions entre la Chine et les Etats-Unis s’accentuent dans la zone indo-pacifique, comment la France se positionne-t-elle vis à vis de ces deux super puissances ?
« C’est une position assez classique de la France : on est pour le multilatéralisme, c’est-à-dire qu’on essaie de sortir de la confrontation entre deux blocs. Le deuxième point c’est qu’on considère que nos pays ultramarins français dans le Pacifique sont des atouts et des points d’appui. Et le troisième point c’est que nous n’avons pas rallié l’initiative américaine parce que l’initiative américaine a oublié toutes les initiatives déjà en cours dans le Pacifique et notamment ce qui se passe en Polynésie française. Donc il y a des discussions entre américains et français de manière à voir si on pourrait engager les choses autrement. Mais notre tradition c’est de ne pas rallier à un grand bloc. C’est notre tradition je dirai gaullienne, qui remonte à un demi siècle. »

Est-ce qu’on doit s’inquiéter pour la paix dans les années à venir ?
« On vit dans un monde, pour employer un terme de diplomates : multipolaire donc de plus en plus instable, de plus en plus dangereux. Les principaux foyers de tension sont en ce moment vous le savez, à l’Est de l’Europe. Peut-être demain en Asie. En tout cas la Polynésie française elle n’est pas au cœur pour l’instant des enjeux de belligérance on va dire. Bien évidemment, un certain nombre de grandes puissances s’intéressent à ce très beau territoire. On va veiller au grain. »

Le gouvernement doit aujourd’hui composer avec trois députés indépendantistes élus aux dernières législatives. Les Territoriales de 2023 s’annoncent incertaines quant à l’issue des votes. Cette situation politique est-elle une source d’inquiétude pour l’Etat ?
« Non. Je suis le garant de la neutralité, de la bonne organisation des élections, de la qualité des débats. Je n’ai pas à prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Quel que soit le vainqueur, il est évident que l’Etat continuera à travailler avec le Pays; je souligne simplement que le statut d’autonomie a des vertus. C’est lui qui a permis à l’Etat d’aider massivement la Polynésie au titre de la solidarité nationale. Je rappelle : 34 milliards d’euros (environ 408 milliards de Fcfp NDLR) d’aide aux entreprises, 50 milliards de Prêt garanti par l’Etat. Et puis c’est un statut où l’article 18 de la loi organique permet de protéger l’emploi local. Il y a d’ailleurs eu une loi de Pays. L’article 19 donne aussi des outils au Pays pour protéger le foncier donc je trouve que pour l’instant, ce statut joue son rôle. »

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