Edouard Fritch : « Il y a un mécontentement fort contre ce gouvernement »

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Défaite du Tapura Huiraatira aux élections législatives, territoriales à venir, taxe de 1 000% et hausse des hydrocarbures... Le président de la Polynésie Edouard Fritch était l'invité du journal :

Publié le 27/06/2022 à 12:23 - Mise à jour le 27/06/2022 à 12:23

Défaite du Tapura Huiraatira aux élections législatives, territoriales à venir, taxe de 1 000% et hausse des hydrocarbures... Le président de la Polynésie Edouard Fritch était l'invité du journal :


TNTV : Comment comptez-vous regagner la confiance des électeurs polynésiens ?
Edouard Fritch, président du Pays : « Ce sera difficile, bien sûr. Lorsque l’on examine le report de voix, on retrouve un regroupement des voix des candidat malheureux au 1er tour sur les candidats du Tāvini huiraʻatira. Le surplus de votants venus au deuxième tour est largement inférieur au gain du score du Tāvini. Il y a un mécontentement fort contre ce gouvernement. Il faut faire son examen de conscience, écouter les gens. C’est ce que je fais depuis une semaine, j’ai vu les organisations patronales, la semaine prochaine je convoque mon conseil politique et je vais faire l’analyse avec eux, savoir pourquoi nous avons perdu ces élections. Dans un deuxième temps, on va prendre des mesures pour que la situation puisse être redressée en fonction des reproches qu’on nous fait aujourd’hui. Je pense à l’exemplarité, l’arrogance. Je pense aussi à des mesures qui paraissaient justifiées. Par exemple, le fait de demander à la population de se faire vacciner : nous récoltons les fruits de cette obligation vaccinale puisque que contrairement à ce qui se passe ailleurs, nous sommes isolés par rapport au virus. Et puis, cette contribution sociale a fait couler beaucoup d’encre, même si c’était nécessaire. J’ai voulu protéger cette population qui vit essentiellement des allocations familiales ou vieillesse puisque ces allocations étaient mises en danger du fait de la situation financière de la CPS. Dans cette stratégie de protection que j’ai adoptée depuis deux ans, les choses n’ont pas été bien comprises donc il faut mieux communiquer. »

Vous regrettez certains choix ?
« Ce qu’il faut regretter c’est ce qui est lié au comportement. C’est vrai que ce mariage nous a pesé, la non-application de la loi par certains d’entre nous… Je crois qu’il ne faut pas recommencer ce genre d’opérations. Sur les mesures prises en matière sociale, j’ai mis en avant l’urgence sociale. Tout bon politique n’augmente jamais les impôts avant les élections, mais je ne pouvais pas me permettre d’avoir aux mois d’octobre/novembre des difficultés de paiement d’allocation pour nos petites gens. »

« Il faut donner des mesures sociales fortes pour que cette injustice soit rayée de notre pays« 

Edouard Fritch, président du Pays

C’est une décision que certains qualifient d’erreur politique. Ça fait beaucoup d’erreurs politiques, non ?
« Il ne faut pas qualifier cela d’erreur politique. En fin de compte, ça dépend des objectifs que se donne le gouvernement. L’urgence sociale est une réalité chez nous. Encore aujourd’hui on parle de cette pauvreté qui s’installe de plus en plus chez nous. Il faut trouver les moyens de faire face, il faut donner des mesures sociales fortes pour que cette injustice soit rayée de notre pays, il faut créer de l’emploi, suivre les mesures économiques que nous avons mis en place et les booster pour que la création d’emploi soit une généralité. Depuis le début de l’année l’emploi a augmenté chez nous, en matière touristique notamment. Mais ce n’est pas suffisant, il faudrait aller beaucoup plus loin. »

Vous parlez de la pauvreté et du pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat est justement la priorité des Polynésiens, on l’a vu lors de cette campagne électorale. Comment le garantir malgré les hausses à l’international ?
« Là aussi, à mon avis, nous n’avons pas suffisamment communiqué. Depuis le début de l’année, on a tout fait pour que la liste des produits de première nécessité (PPN), qui sont des produits hors taxe, complètement défiscalisés, qui sont consommés en grande partie par cette petite population, soit élargie. Aux mois de février-mars, nous avons tout fait pour que la TVA soit retirée sur certains produits et je vais continuer parce qu’il faudra lutter contre la hausse des matières premières, la hausse des prix de fabrication à l’extérieur, et lutter contre le transport maritime qui ne cesse d’augmenter. Ce sont des facteurs exogènes dont nous ne pouvons pas avoir la maîtrise. Il faudra vraisemblablement solliciter encore plus le contribuable parce que ce sera un manque à gagner pour le pays, qui sera une conséquence directe de cette maîtrise du coût de la vie. »

Vous avez annoncé sur notre antenne des ajustements quant aux prix des hydrocarbures. Quels sont ces ajustements, peut-on les connaître aujourd’hui ?
« Vous savez, nous sommes pratiquement le seul pays dans la zone Pacifique à avoir maintenu notre coût des hydrocarbures en février dernier. En métropole par exemple on est à 240 Fcfp le litre d’essence, ici nous sommes à 148 Fcfp. En Nouvelle-Zélande, ils s’approchent des 240 Fcfp, en Nouvelle-Calédonie ils s’approchent des 200 Fcfp. Nous avons essayé de tenir, nous avons mis en action un fonds qui vient soutenir ce prix. Mais aujourd’hui, on a versé 7 milliards de Fcfp à ce fonds pour soutenir les hydrocarbures. Quant aux produits de première nécessité, tout ce qui est protection des matériaux de construction, il nous faudra, et ça passera mardi à l’assemblée de Polynésie française, 9 milliards de Fcfp pour répondre. Ce n’est pas suffisant, il faut aller au-delà. Au niveau des hydrocarbures, nous ne pouvons plus tenir parce que les prix continuent à augmenter, donc nous allons augmenter demain en conseil des ministres le prix chez nous, et toutes les strates seront touchées. Je pense aux boulangers, je pense aux pêcheurs, au transport maritime… Mais selon ma vision des choses, ce sera pour économiser un peu plus sur les deniers publics pour soutenir encore plus fort les produits de grande consommation, les produits nécessaires à la vie de tous les jours. Je pense par exemple aux produits d’hygiène pour les femmes, pour les enfants, car ce sont des produits qui sont consommés tous les jours par nos familles. »

Au prochain collectif budgétaire, vous prévoyez de réabonder le FRPH (Fonds de régulation des prix des hydrocarbures). Il faudra quand même ajuster les tarifs des hydrocarbures dès juillet. Est-ce qu’il y a des abaissements des taxes qui sont prévus également ?
« Je ne peux pas m’avancer là-dessus. Les opérations que nous mettons en place, c’est pour sortir les taxes telles que la TVA ou les droits de douane de ces produits que nous voulons privilégier. Ces produits pour lesquels nous voulons maintenir le coût puisque sur le reste, nous n’avons aucun levier possible, que ce soit sur le transport maritime où au départ, dans les pays où nous commandons nos produits. Je suis décidé à agir dès le mois d’août. Il nous faut, avant de prendre de telles décisions, voir les conséquences liées à ce type de mesure. Nous ne pointons qu’un produit, mais il y a des conséquences à la fois sur le plan budgétaire et sur d’autres produits liés. »

« Nous ne voulons pas priver nos générations futures d’accès à la propriété »

Comptez-vous revenir sur la taxe de 1 000% ?
« Ce qu’il faut savoir, c’est qu’aujourd’hui le Haut-Commissariat de la République en Polynésie française a fait un recours contre cette loi. Plusieurs personnes ont fait les mêmes recours. La question qui se pose, c’est de savoir s’il ne faut pas suspendre momentanément cette taxe de 1 000% afin de solder ce qui est en cours, parce que certaines personnes qui étaient en cours d’acquisition sont privés de ces droits d’acquisition, compte tenu de l’augmentation du prix. Il faut attendre les recours qui vont nous arriver pour prendre des mesures qui ne soient plus attaquables à l’avenir. Le souci du foncier ici en Polynésie française est un réel problème. Le prix de vente du foncier polynésien est très élevé. Ce que nous craignons, c’est que les générations à venir ne pourrons même plus faire l’acquisition de biens fonciers s’ils doivent acheter leur terrain à des prix aussi élevés. Nous ne voulons pas priver nos générations futures d’accès à la propriété. »

Les territoriales sont dans moins d’un an. Après ce vote sanction aux législatives, peut-on s’attendre à des changements drastiques sur la liste du Tapura ?
« C’est la raison pour laquelle je consulte aujourd’hui. Je vais entendre le conseil politique en début de semaine. »

Il y aurait des tensions au sein du parti ?
« Pour l’heure, il n’y a pas de tensions. Nous sommes tous abattus par ces résultats, c’est certain. Il faut faire le point, savoir s’il y a d’autres raisons que celles qui sont évoquées par les médias. Il faut que j’analyse avec mon équipe les points faibles qui font que nous avons perdu ces élections, et prendre des mesures dans un deuxième temps pour ne plus se retrouver dans des scénarii comme ceux que nous venons de connaître. Mais je suis bien décidé à relever notre équipe, réunir tout le monde et maintenir notre cohésion. C’est important pour la stabilité politique de notre pays. Ensuite, voir les mesures qui sont à prendre pour soutenir nos relations avec le gouvernement central. Je compte toujours sur le gouvernement central pour nous donner un coup de main. J’ai vu beaucoup de promesses ces derniers temps, au cours de la campagne législative. Les engagements de Jean-Luc Mélenchon sur l’énergie à 120 milliards, un engagement de 100 milliards sur la CPS. Bien sûr que je compte beaucoup sur le travail que feront aussi nos députés demain, pour venir soulager la Polynésie française de cette situation lourde de conséquences en matière financière. »

Votre discours a changé depuis la soirée électorale. Vous vous dites prêt à travailler avec nos élus indépendantistes ?
« Je n’ai jamais dit que je n’étais pas prêt à travailler avec eux. Je pensais quand même pouvoir passer un de nos candidats, je pensais à Nicole Bouteau ou à Tepuaraurii (Teriitahi) sur la 2ème circonscription. J’étais effondré, mais je n’ai pas à faire du boudin parce que je n’ai pas mes députés, ce sont eux qui sont nos porte-paroles, ce sont eux qui vont se battre pour nous. »

Ces députés pourraient changer puisqu’on parle d’une possible dissolution de l’Assemblée d’ici la fin de l’année…
« C’est le Président de la République qui décidera ainsi. »

Êtes-vous prêt à retourner aux urnes ?
« On va voir. Ce qui est certain, c’est que si un pays est ingouvernable parce qu’on n’a pas de stabilité politique, une majorité garantie sur laquelle s’appuyer, ça devient compliqué. Nous en avons fait l’expérience de 2004 à 2013. Pour nous, en Polynésie française, il ne faut pas perdre notre crédibilité. Nous sommes des gens sérieux et nous voulons travailler pour cette Polynésie française. »

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