Bruno Lasserre : « Il faut que les institutions de la République montrent qu’elles sont utiles »

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Publié le 04/03/2019 à 12:25 - Mise à jour le 04/03/2019 à 12:25

La dernière visite d’un vice-président du Conseil d’État remonte à 5 ans. C’était important que vous fassiez régulièrement le point avec les présidents des différents tribunaux administratifs ?
« Oui c’est important parce qu’il faut aller sur le terrain voir quelles sont les attentes concrètes que placent les justiciables et les administrations dans la justice administrative. À l’heure du grand débat national, il faut que les institutions de la République montrent qu’elles sont utiles, qu’elles rendent un service concret à ceux qui les saisissent et c’est le cas du tribunal administratif qui fonctionne bien. Les affaires sont jugées dans un délai moyen de 5 mois, c’est rapide, et le contentieux diminue, ce qui est le signe aussi d’une confiance dans le juge et du fait aussi que les administrations produisent moins de contentieux et il faut plutôt s’en réjouir. »
 
Pourtant l’une des raisons de votre visite est la mise en place de la médiation, qui évite d’avoir recours à un juge. Finalement est-ce bien nécessaire quand le nombre de recours est en diminution ?
« Il ne faut pas simplement évaluer la médiation par rapport au nombre d’affaires dont est saisi le tribunal administratif de Papeete. Une affaire de moins devant le tribunal administratif, c’est une affaire de moins en appel et c’est possiblement une affaire de moins en cassation, donc il faut voir l’intérêt pour toute la chaîne juridictionnelle. Ce que je crois, c’est que la médiation peut apporter dans certains cas, pas dans tous les cas, une solution plus rapide, plus efficace, plus consensuelle aussi à des litiges qui peuvent survenir entre des citoyens, des entreprises et des administrations, dans le domaine de la fonction publique, dans le domaine des marchés ou des contrats publics, dans le domaine de l’urbanisme ou de l’environnement. »
 
Et qu’en pensent les avocats ?
« Les avocats, il faut qu’ils s’ouvrent, parce que la demande est là. Les justiciables veulent avoir une réponse rapide, une réponse concrète et comprendre aussi finalement la solution qui est appliquée au litige et qui souvent les préoccupe. Et donc nous avons rencontré l’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, j’espère qu’une convention pourra être signée avec l’Ordre des avocats pour encourager la médiation, parce que c’est aussi pour les avocats un service nouveau qu’ils peuvent rendre dans certains cas. Plutôt que de plaider devant un tribunal, aider les justiciables à rencontrer l’administration et finalement à rapprocher les points de vue, en vue d’une solution concrète. »
 
À plusieurs reprises, certains de nos dirigeants politiques, certains syndicalistes également, ont reproché au Conseil d’État un manque d’impartialité, comme par exemple pour l’annulation de l’élection du leader indépendantiste Oscar Temaru. Comment réagissez-vous à ces accusations ?
« Vous connaissez le football. Quand l’arbitre exclut un joueur du terrain, on dit qu’il est partial, qu’il n’a rien compris ou qu’il est mauvais. C’est un peu pareil pour la justice. Nous disons le droit. Nous défendons l’État de droit, la Constitution, les principes généraux du droit, la loi commune, et sans loi commune il n’y a pas de vie en société. Là, en l’espèce, il s’agissait d’un dépassement des comptes de campagne qui ne retraçait pas l’ensemble des dépenses publiques. Eh bien nous en avons tiré la conséquence, c’est que la loi n’avait pas été respectée, et donc le candidat ne pouvait plus être éligible et siéger au sein de l’assemblée. Mais nous sommes une juridiction à la fois indépendante et impartiale. Toutes les décisions sont prises par des formations collégiales et nous nous assurons bien sûr qu’aucun des juges n’a un conflit d’intérêt qui perturberait la fonction juridictionnelle. »
 
Donc vos relations avec le gouvernement sont quasi-inexistantes, même si le président du Conseil d’État est un membre du gouvernement ?
« Non, le président du Conseil d’État, c’est moi. C’est bizarre qu’une institution soit présidée par un vice-président, mais je suis le président du Conseil d’État. Contrairement à la légende, ça n’est ni le président de la République, ni le Premier ministre qui est le président du Conseil d’État. Nous avons une double fonction de juridiction, aussi de conseil indépendant du gouvernement, mais dans ces deux fonctions qui sont séparées, nous veillons à ce que les règles d’impartialité très stricte soient respectées. »
 
Le Pays souhaite que les lois du Pays ne soient plus mises en suspens lorsqu’elles sont attaquées devant le Conseil d’État au motif que cela freine considérablement la mise en place de la politique gouvernementale. Qu’en pensez-vous ? Est-ce qu’elles sont régulièrement invalidées, et quelle est la nature des irrégularités ?
« Sur environ une trentaine de lois du Pays adoptées par l’assemblée de la Polynésie chaque année, pas plus d’une demi-douzaine, cinq à six par an, font l’objet de recours et peu sont annulées sur des motifs de procédure ou de fond. La loi prévoit que normalement nous devons statuer dans un délai de 3 mois, de manière à ne pas paralyser trop longtemps l’application de la loi du Pays. Ce délai n’est pas toujours respecté, je le reconnais, nous sommes plutôt sur une moyenne de 4 mois et je prends l’engagement de faire en sorte que le délai de 3 mois soit strictement respecté. Je ferai passer clairement le message à mon retour à Paris.
La loi organique est en cours de modification en ce moment. Elle a été devant le Sénat, elle va passer devant l’Assemblée nationale, et elle devrait permettre au président du gouvernement de faire entrer en vigueur la loi sans attendre le jugement des recours par le Conseil d’État. Mais encore une fois, il s’agit d’un léger dépassement et nous sommes d’accord avec la solution qui se dessine. »

 

Rédaction web avec Tamara Sentis

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