Le Feu pour Moorea, l’Eau pour O Tahiti E

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Les groupes de Moorea (Heihere en danse, Te noha no Rotui en chant) ont enflammé To’ata, pour une soirée qui devait s’achever en apothéose avec les adieux au Heiva de Marguerite Lai, et un spectacle puissant sur le grand souffle de vie pour O Tahiti E. La pluie en a décidé autrement.

Publié le 14/07/2019 à 4:54 - Mise à jour le 07/02/2020 à 10:27

Les groupes de Moorea (Heihere en danse, Te noha no Rotui en chant) ont enflammé To’ata, pour une soirée qui devait s’achever en apothéose avec les adieux au Heiva de Marguerite Lai, et un spectacle puissant sur le grand souffle de vie pour O Tahiti E. La pluie en a décidé autrement.

La soirée commence pourtant sans la moindre goutte, avec Pupu Tuhaa pae en chant. Le groupe des Australes, mené par Arsène Hatitio, a presque tout raflé en chants au début de la décennie. Il revient au premier plan avec la légende de la chute de Tapuata, l’histoire d’un fils qui veut venger son père, piégé et tué par ses ennemis.

Pupu Tuha’a pae a ouvert la soirée en tarava Tuha’a pae – Photo : Mike Leyral

Le groupe amateur Heihere, lui, vient de Moorea… avec son public ! Avant même le premier tableau, les gradins sont conquis par cette troupe menée par Herenui et Heifara Papu. D’autant plus que le costume végétal est grandiose : chaque artiste paraît incarner à lui tout seul un pandanus, au centre du thème de Heihere, écrit par Tauapaohu Léonard, également auteur des chants. Il va décliner sa vision du fara sous tous ses aspects, fonctionnels et symboliques, à l’exception des racines, ce qui manque peut-être.

Mais quelle énergie ! Et quelle meilleure danseuse ! Léticia Sclabas, vice-championne du monde de ori Tahiti en 2016, propose un solo aussi brillant dans l’interprétation que dans le rythme et la technique. Un vrai coup de cœur.

Heihere existe depuis 2013 et a fini troisième du Hura ava tau en 2015, et deuxième en 2017. Il ne lui manque plus qu’une place à décrocher sur le podium…

Léticia Sclabas, rayonnante meilleure danseuse de Heihere – Photo : Mike Leyral

Te noha no Rotui a dû venir par le même ferry. Ce groupe de l’île-sœur se présente en tarava Tahiti. Son chef est Maurice Rurua, et sa fille, Teremuura Kohumoetini-Rurua, dirige les chanteurs. Le groupe a déjà remporté le premier prix du ute paripari en 2016. Il va livrer un vibrant plaidoyer pour défendre la langue ma’ohi, un leg de Ta’aroa. Une langue qui risque de disparaître : un déchirement pour Teremuura Kohumoetini-Rurua, qui appelle de toutes ses forces à la sauver.

Puis c’est au tour de Teva i Tai, qui étire sur la scène une colonne infinie de chanteurs… la plupart sont en fait les danseurs du même groupe.

Belle idée que de disputer un Heiva complet, en chants et danses, avec le même groupe. Ma Zinguerlet le conduit.

Le thème, lui, est écrit par Steve Chailloux pour les chants comme pour les danses : les constellations servent de guide, maritime et symbolique, et le peuple doit retrouver le chemin des étoiles pour ne pas se perdre dans l’individualisme et le déracinement.

Et O Tahiti E entre dans un silence funèbre, seulement perturbé par quelques cris d’encouragement venus du public. Des cris dont on aurait pu se passer, en laissant Moeho Vahine, jouée par Marguerite Lai, exhaler son dernier souffle dans une atmosphère respectueuse.

Moeho Vahine, jouée par Marguerite Lai, transmet son dernier souffle à sa descendante – Photo : Mike Leyral

Car c’est de cela qu’il s’agit : la mort, et la transmission du savoir par le souffle ultime du défunt, porteur des connaissances de sa lignée. Près de 190 danseurs respirent ensemble, comme autant de générations liées les unes aux autres, dans un souffle puissant qui emporte To’ata… et semble déchirer le ciel.

Des trombes d’eau s’abattent alors sur la scène et le public. Mais pas un danseur ne flanche. Et le public, recroquevillé sur des estrades gorgées d’eau, reste aussi. A la mort succède la vie sur scène, avec des échanges amoureux d’un érotisme torride. Mais les éléments, eux aussi, se déchaînent. Marguerite Lai prend un micro, demande au jury de reporter le spectacle. Pour sauver les costumes, trempés jusqu’en coulisses (les paniers de certains danseurs se sont remplis d’eau), et par sécurité.

« On n’y peut rien, c’est la nature » constatait Marguerite Lai après avoir interrompu son spectacle. Tout en regrettant de ne pas être passée à l’heure : « si on n’avait pas commencé avec une heure de retard sur le programme, on aurait pu finir ».

Devant ses danseurs qui courent dans les flaques pour mettre leurs plumes à l’abri, la chorégraphe fait passer un autre message : « Il faudrait une salle couverte… et puis le Heiva, ça devrait être fin octobre ou début novembre : en juillet, beaucoup de danseurs tombent malades à cause du froid, et surtout, il y a beaucoup moins de fleurs. »

Dans l’immédiat, O Tahiti E va devoir se réorganiser, pour présenter son spectacle intégral lundi à 19h. Certains danseurs s’envolent ce week-end pour des vacances, et il faudra refaire certaines parties de costumes. Pas un problème pour les artistes que nous avons rencontrés, heureux de l’ovation reçue par To’ata, et de danser à nouveau.

Le groupe sera le seul se produire, et les billets de samedi seront toujours valables, a indiqué le ministre de la Culture. Le coût d’une telle soirée à reprogrammer s’élève à plus d’un million pour la Maison de la Culture. Et c’est déjà la deuxième, car la soirée de vendredi a entièrement été décalée à dimanche, 17 heures. Le Heiva joue les prolongations, et la pluie ne le gâchera pas : cette année est fantastique.

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