Raymond Graffe : « Tous ceux qui sont malades peuvent être guéris par le feu »

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Publié le 25/06/2019 à 8:50 - Mise à jour le 25/06/2019 à 8:50

Votre première marche sur le feu, c’était en juin 1983. Quel souvenir en gardez-vous ?
« Le 23 juin exactement. J’en garde beaucoup d’émotion. Je n’ai jamais été initié. J’ai lu quelques ouvrages par-ci par-là qui indiquaient certaines choses, mais jamais je n’ai pratiqué. Mon père surtout m’interdisait d’aller voir ce genre de choses. Et dans le temps, en faisant les premières fouilles archéologiques dans la vallée de la Papenoo, c’est là, un après-midi à 14 heures, où je suis tombé évanoui, et pendant deux heures, j’ai reçu toute cette émanation de choses. Et à 16 heures, j’ai pris mon calepin et j’ai noté tout ce qu’il fallait faire. Et à partir de là, ça c’était en 1970, il faut attendre 1983, le 23 juin exactement, où ça s’est concrétisé, jusqu’à nous aujourd’hui. »
 
Quel est le sens de cette pratique exactement ?
« Jadis chez nous, entre tous les décès qui existaient dans les chefferies, il y avait énormément de guerres entre les différents royaumes, et c’est la population qui en souffrait. Et à partir de là, le grand prêtre officiait pour la marche sur le feu. D’abord pour savoir s’il détenait toujours son pouvoir, et en deuxième position, chaque chefferie amenait les racines de tubercule, suivant les clans et avec leur quantité exacte. Une fois la traversée effectuée et qu’il n’y a aucun brûlé, à partir de là, on prenait les tubercules, du ‘auti, de la cordyline, et on les faisait cuire pendant 4-5 jours. Ensuite on les ressortait et la distribution se faisait pour permettre à la population de pouvoir tenir la période de disette jusqu’aux prochaines récoltes de taro, de ‘uru et de tout ce qui est mangeable. »
 
Et aujourd’hui, qu’est-ce que la marche sur le feu apporte à ceux qui la pratiquent ?
« Aujourd’hui on est en 2019, il y a une évolution de tout ça. Effectivement, les disettes, on ne s’en aperçoit plus puisque ce sont les navires qui nous envoient à manger 98% de notre alimentation. Mais dans l’esprit des Polynésiens, des Ma’ohi, est toujours resté ce respect du pouvoir que quelqu’un peut détenir concernant cette activité de la traversée du umu ti, à laquelle on a ajouté aujourd’hui, à travers le feu, véritablement une purification. Tous ceux qui sont malades peuvent être guéris par le feu. »
 
Et sur cette fournaise, vous nous assurez qu’on ne se brûle pas ?
« On ne se brûle pas. Je crois que tu n’as jamais traversé, donc c’est l’occasion peut-être. Tu viendras, tu traverseras, et tu auras ton expérience personnelle. Ce ne sera pas rapporté de bouche à oreille, tu l’auras vécu personnellement. »
 
La marche sur le feu nécessite une très longue préparation. Chaque année vous allez en montagne pour chercher des bambous. Comme se déroule cette préparation ? Quelles sont les grandes étapes ?
« C’est un sacerdoce pour organiser une marche sur le feu. D’abord c’est le terrain, ce qu’il comporte, son nom… il faut analyser tout ça. Ensuite tout est calqué sur le calendrier lunaire ma’ohi. Ensuite il faut préparer à stocker les feuilles de cocotier séchées. Ensuite il y a la découpe du bois, parce que de plus en plus, on observe depuis 2-3 ans la diminution de récolte de bois de ‘aito, Casuarina equisetifolia, dans notre fenua. Les pierres, il n’y a pas de problème, on peut en trouver dans les embouchures. La fosse du umu ti a été diminuée de près de 1,80 mètre cette année. Au lieu de faire dans les 10 mètres, on l’a mis à 8,50 m cette année en raison de ce manque de bois. Et déjà après celle-ci, il nous faut préparer la recherche du bois pour 2020. »
 
Vous êtes le seul Ma’ohi aujourd’hui qui sache organiser la marche sur le feu, mais vous transmettez votre savoir à votre fils depuis quelques années. Comment se passe la relève ?
« C’est la quatorzième officialisation de mon fils concernant la cérémonie rituelle du umu ti. Ça n’a pas été difficile, puisqu’il était déjà plongé dans la culture dès sa conception. Ensuite il a fréquenté le Conservatoire et par la suite il était constamment avec moi, il a vécu, a été bercé là-dedans. Je pense que cela s’est fait tout de suite par rapport à ses autres frères, qui le soutiennent dans toutes les activités que nous faisons. Ils sont toujours avec nous, mais le principal officiant, c’est mon fils Te Arii o Tahiti te Papa Nui Arioi. »
 
 

Rédaction web avec Sophie Guébel

PRATIQUE

Marche sur le feu – Umu ti
Vendredi 28 juin à 18 heures au Mahana Park.
Tarif unique : 3 500 Fcfp
Billets en vente à la Maison de la culture, dans le hall du grand théâtre
Renseignements auprès de Nini au 87.78.54.75.

 

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