Polynesia tātau, les Marquises… et les autres

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Publié le 02/04/2016 à 9:32 - Mise à jour le 02/04/2016 à 9:32

Un puissant mave mai suspend les aiguilles des tatoueurs quelques secondes : Kaipeka, un groupe d’une cinquantaine de danseurs marquisiens, entame un haka au milieu du Festival international Polynesia Tatau. Les hommes arborent des dents de cochons sauvages autour du cou, les femmes préfèrent les plumes et les coquillages. Mais tous sont tatoués : les Marquises sont le berceau de l’art ancestral du tātau, mot polynésien à l’origine du mot anglais tattoo en anglais, qui a lui-même donné le mot tatouage en français. 

Dans les petits box de bois habillés de draps noirs, touristes et autochtones prêtent leur peau aux cinquante tatoueurs invités. Beaucoup sont Polynésiens : ils viennent des Marquises, des Îles-Sous-Le-Vent, de Moorea et bien sûr de Tahiti. Ils préfèrent le tatouage maohi, à base de formes symboliques, qui dégagent une grande force. « C’est une armure qui me protège des mauvais esprits » assure Mahiti Napotahi, un Paumotu. Aujourd’hui, il aide les artistes qui tatouent à l’ancienne : il faut deux personnes pour tendre la peau des clients, tatoués avec un petit peigne en os de cochon trempé dans de l’encre, lui-même frappé avec une petite baguette. C’est le claquement répétitif de cette petite baguette qui aurait donné le mot tātau. Pour une meilleure hygiène et plus de précision, le peigne en os est le plus souvent remplacé par une série d’aiguilles, mais la technique reste la même.

« Un jour, j’ai vu un Tahitien entièrement tatoué, et je me suis dit qu’un jour je serai comme ça », confie Aito, un tatoueur suisse, dans un autre stand. Et il a tenu parole : à quarante ans, il est devenu tatoueur. Dix ans plus tard, il est tatoué de la tête aux pieds, avec des motifs polynésiens. « C’est ça, le patu tiki, qui a la symbolique la plus forte : même à Lausanne où je travaille, c’est très demandé », assure-t-il.

Aux côtés des Canadiens, Chiliens et Brésiliens, les meilleurs Japonais sont aussi là, comme Taku Oshiwa, spécialistes de formes arrondies très fluides, ou Sousyu Hayashi, qui impressionne avec une technique de levier entre ses doigts. Mais ses carpes aux ombres travaillées sont un peu isolées parmi les motifs traditionnels. Mayo Landicho, un tatoueur philippin, montre les photos de ses œuvres aux visiteurs polynésiens. Et il assure que leurs motifs sont cousins : « c’est une même culture, très lointaine, qui s’est répandue dans tout le Pacifique ».

Dans la moiteur de cette fin de saison chaude, les nombreux visiteurs admirent le travail des artistes par-dessus les petites palissades qui séparent chaque box. Parmi eux, Estelle Anania. Les dessins les plus variés ondulent sur son corps de mannequin : « je crois en des forces protectrices, religieuses ou spirituelles, comme le tenga tenga (poisson perroquet), c’est pour ça que j’ai ses écailles sur le bras, mais aussi un ange, une croix, des fleurs, ce signe japonais, et puis ce personnage mi-ange mi-démon, c’est tout moi », s’amuse-t-elle.

« En vingt ans, tout a changé » explique l’organisateur du festival Thierry Pirato : « avant les femmes se tatouaient peu, et puis elles ont voulu un bracelet ou un papillon, et maintenant elles demandent tout le dos : le tātau, maintenant, c’est vraiment pour tout le monde ici ».

Même le monde du tatouage est gagné par le marketing et les nouvelles technologies : certains tatoueurs ne jurent plus que par les machines rotatives, qui permettraient un travail plus précis. Mais sur les stands des anciens, bercés par les vagues toutes proches de la pointe de pêcheurs, on entend toujours le même bruit qu’autrefois : tā-tau, tā-tau.

Mike Leyral

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