O Tahiti E : les adieux au Heiva de Marguerite Lai

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Après la pluie, le bonheur. L’ultime soirée de concours du Heiva 2019 s’est achevée avec O Tahiti E, dont le spectacle avait été interrompu samedi par des trombes d’eau. Marguerite Lai tire sa révérence après plus de 50 ans de danse.

Publié le 16/07/2019 à 2:53 - Mise à jour le 07/02/2020 à 10:27

Après la pluie, le bonheur. L’ultime soirée de concours du Heiva 2019 s’est achevée avec O Tahiti E, dont le spectacle avait été interrompu samedi par des trombes d’eau. Marguerite Lai tire sa révérence après plus de 50 ans de danse.

Les groupes choisissent, la plupart du temps, une entrée fracassante sur la scène de To’ata : des to’ere, du bruit, de la joie. O Tahiti E fait tout le contraire. Un grand silence. Et puis, 180 artistes qui respirent. Rien de plus, rien de moins que la vie. Ils interprètent te aho nunui, le grand souffle vital. Dans la tradition polynésienne, le mourant lègue son savoir à ses descendants, à travers sa dernière expiration, le Ha. Sous la pleine Lune, cette aïeule agonisante est jouée par Marguerite Lai elle-même. Tout un symbole, pour celle qui referme une carrière d’un demi-siècle de danse, et qui aura marqué le Heiva, avec quatre premiers prix décrochés depuis 1997.

Dès ce premier souffle, To’ata est saisie. Pas un cri, pas un bruit. Des milliers d’yeux et d’oreilles concentrés vers la scène. Des frissons sur la peau, une émotion dans le ventre. Le thème de Jean-Claude Teriierooiterai est magistralement interprété. Ce qui faisait la faiblesse du groupe est devenu sa force : les deux tiers des danseurs sont débutants. Libres de tout a priori, ils ont plongé à corps perdu dans ce thème profond, qui relie le monde des morts à celui des vivants, et le passé au présent.

Marguerite Lai, dans le langage fleuri qu’on lui connaît, a exigé l’authenticité : « si je vois des faux cils, je vous les arrache, et si je vois du rouge à lèvres, je vous passe la main sur la bouche et je vous l’étale sur la joue ! » criait-elle à ses danseuses pendant les répétitions, déplorant tout à la fois les faux titis, l’indiscipline, l’oubli des traditions ou la perte du savoir-faire des costumes. Cette volonté de retour aux sources transparaît aussi dans la gestuelle. O Tahiti E va à l’essentiel.

L’essentiel, c’est aussi la transmission intergénérationnelle des connaissances. Et ces questions lancinantes que se pose la jeune héroïne en rangeant tristement sa tenue végétale après la colonisation : pourquoi ne plus s’habiller comme autrefois ? Pourquoi ne plus parler sa langue ? Pourquoi ne plus danser ? Un aparima tout en introspection, dans une austère robe blanche… et la danse triomphe à nouveau.

Alors, c’est vrai, la magie de samedi, qui avait saisi To’ata à la gorge comme un frisson d’outre-tombe, était un peu retombée lundi. L’effet de surprise était passé, les pluies torrentielles aussi. Quelques petites imperfections techniques, de son et de lumière. Et sans doute un peu d’énergie perdue, à refaire les costumes et replacer les lignes dans le week-end, en raison de danseurs indisponibles à cette nouvelle date. Le jury tiendra-t-il compte de sa première impression ? Quoi qu’il en soit, même lors de son deuxième passage, O Tahiti E a proposé plus qu’un spectacle : un conte enraciné dans la Polynésie d’autrefois.

Un nourrisson est venu incarner les générations futures, à l’aube du dernier tableau – Photo : Mike Leyral

L’orchestre, de taille réduite, surtout en comparaison du nombre de danseurs, est excellent. Bien sûr, les amateurs de otea endiablés regretteront sans doute que O Tahiti E, privilégiant les aparima, ne lâche jamais vraiment les to’ere.

Mais il y a tout de même des scènes enivrantes, comme ces échanges amoureux fort explicites en costume végétal, où la scène semble se muer en une immense forêt bruissant des plaisirs de l’amour. Ou ce pa’o’a hivinau en transe autour d’un fare où l’on devine un couple très occupé.

Mais globalement, le spectacle est apaisé. Comme la fin d’une vie, et le début d’une autre. Comme le regard serein qu’on porte sur sa descendance.

Lundi soir, Marguerite Lai avait plus de 180 enfants sur scène.

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